431 Quand tant de pauvres gens d'ailleurs Goûtent la trêve canadienne, Les derniers cris de nos veilleurs Leur sont de la musique ancienne.
La forteresse sicilienne Qui se bâtit sur nos échecs, Le mat sans contre-jeu qui tienne À l'adversaire en deux coups secs.
432 Du temps des fleurs et des bons becs Le sida est tout l'héritage ; Les ménestrels et leurs rebecs Ont le même opprobre en partage.
Ce qui fut notre long métrage Est avorté pour des navets ; Le rejetons du Nouvel-Âge Rêvent d'un monde plus mauvais.
433 Les grands romans que j'écrivais Sont emportés par l'eau du Gange ; Le dépôt des meilleurs brevets Se fait dans les ruisseaux de fange.
Le soleil même nous dérange Après le gel des lis germés ; Chaque regard un peu étrange Frappe en vain sur les cœurs fermés.
434 Les meilleurs vœux sont désarmés Un après un par cette angoisse Coulant des disques programmés Pour que la bête en nous s'accroisse.
Au clair spectacle de la poisse Où tombent tous les amoureux, L'homme qui va passant se froisse Face aux visages trop heureux.
435 C'est tout parler trop digne et preux Que de soupçons le peuple accable ; Sans ton de voix bien fourbe et creux On passe pour le plus minable.
Quand de l'époque formidable On foule aux pieds tous les projets, Du maître le plus effroyable Sont rassemblés tous les sujets.
436 On croit mériter les objets Que maintenant nous vend l'Asie En accablant de durs rejets Tout ce qui sent la poésie.
Des râles et de l'aphasie Des gens du pauvre Canada S'élève une chanson nazie En hâte d'un second mandat.
437 Voyant la fange et le barda Où vit ton peuple qui espère, Notre plus malheureux soldat Se croit imbu de savoir-faire.
Quand les enfants du prolétaire Deviennent de trop grands savants, Les seuls enfants qu'il laisse faire Seront faits par les morts-vivants.
438 En soignant sur tant de divans Toutes les âmes trop sensibles, On laisse les jobs énervants Aux chiens qui les prendront pour cibles.
De looks toujours plus impossibles Chacun doit faire ses habits Face aux cuirasses invincibles Qui font tourner l’oeil des brebis.
439 Le luxe inouï de nos fourbis Et nécessaires de ménage Nous font tenir dans nos gourbis Jusqu'au retour du Moyen-Âge.
Chacun se croit un personnage Très admiré au cinéma Sans voir l'agence d'espionnage Qui règle ainsi tout le climat.
440 La lourde ardoise du karma Est là pour tuer le goût de vivre Et vendre plus de doux soma Qui de mort lente nous enivre. Sous un vaste plateau de givre De petits hommes aux yeux secs S'apprêtent à fermer le livre Où sont prévus tous nos échecs.