411 Quand de la langue du bull-frog Chacun craint le plus grand outrage, Qui de la gueule du bull-dog Saura entendre à temps la rage? Le paquebot qui fait naufrage Dont le pilote se plaint fort De la lenteur du nettoyage Aux employés du bar du bord.
412 Un homme à la mer crie « À mort!» À l'autre qui de sa cabine Ne sort que s'informer du sort Du mauvais film qui se termine.
Les chiens, les rats et la vermine Quittent le pont pour l'océan. Mais l'officier de discipline N'en veut qu'au mousse fainéant.
413 Tu es là dans le trou béant Où plongent tant de mes pensées ; Tu m'y refais l'air bienséant Qui me vaut bien des fiancées.
Leurs claques ne me sont lancées Que sur mon cœur trop mis à nu, Et mes façons trop nuancées Pour mon niveau de revenu.
414 Du monstre en moi entretenu Par la radio à fort volume, Personne n'en a reconnu Que les dégâts sur mon costume.
Le film d'horreur qui me consume, Nul ne le prend trop au sérieux ; Mais qu'un sang coule de mon rhume, Chacun devient soudain curieux.
415 Un grand patron se dit furieux Contre ma flamme entretenue : Pourquoi les cris si victorieux Des employés qu'il diminue?
Le dictateur qui s'insinue Dans les propos des gens de bien Ne prendra place sur la nue Que lorsque nul n'y pourra rien.
416 C'est dans le grand froid sibérien Que s'est échoué un train de rêve, Mais le grand but du Canadien Est un cerveau toujours en grève.
Au stade où le grand jeu s'achève Après des lustres de retard, Un voile religieux se lève Quand plus n'y pointe aucun regard.
417 Le match est à son dernier quart Pour le sommeil de la piétaille Dans l'estrade où un peu plus tard Beaucoup mourront dans la bataille.
Nul ne reçoit une médaille Que pour manquer exprès un but, Mais jamais le champion ne braille Que lorsqu'il est mis au rebut.
418 Quand l'hymne est à son tout début, Le serment se prête à la reine, Mais quand se verse le tribut C'est à sa Majesté la Haine.
L'être vivant perd son haleine Quand se font raides ses habits ; Le mort-vivant s'en vêt sans peine Si lourdement qu'il soient fourbis.
419 Les gens des plus pauvres gourbis Ne plaignent que la grande actrice Car dans l'alcool de leurs débits Gronde une antenne réceptrice.
On voit courir au même office Les filles et les puritains, Pour ne combattre qu'un seul vice, Avoir les yeux trop mal éteints.
420 De l'écriture des destins On veut apprendre les algèbres Que font valoir les sacristains Du nouvel-âge des ténèbres.
D'un monstre on croit voir les vertèbres Dans l'eau depuis le bar du bord, Mais de l'orchestre aux chants funèbres, Aucun marin ne se plaint fort.
431 Quand tant de pauvres gens d'ailleurs Goûtent la trêve canadienne, Les derniers cris de nos veilleurs Leur sont de la musique ancienne.
La forteresse sicilienne Qui se bâtit sur nos échecs, Le mat sans contre-jeu qui tienne À l'adversaire en deux coups secs.
432 Du temps des fleurs et des bons becs Le sida est tout l'héritage ; Les ménestrels et leurs rebecs Ont le même opprobre en partage.
Ce qui fut notre long métrage Est avorté pour des navets ; Le rejetons du Nouvel-Âge Rêvent d'un monde plus mauvais.
433 Les grands romans que j'écrivais Sont emportés par l'eau du Gange ; Le dépôt des meilleurs brevets Se fait dans les ruisseaux de fange.
Le soleil même nous dérange Après le gel des grains germés ; Chaque regard un peu étrange Frappe en vain sur les cœurs fermés.
434 Les meilleurs vœux sont désarmés Un après un par cette angoisse Coulant des disques programmés Pour que la bête en nous s'accroisse.
Au clair spectacle de la poisse Où tombent tous les amoureux, L'homme qui va passant se froisse Face aux visages trop heureux.
435 C'est tout parler trop digne et preux Que de soupçons le peuple accable ; Sans ton de voix bien fourbe et creux On passe pour le plus minable.
Quand de l'époque formidable On foule aux pieds tous les projets, Du maître le plus effroyable Sont rassemblés tous les sujets.
436 On croit mériter les objets Que maintenant nous vend l'Asie En accablant de durs rejets Tout ce qui sent la poésie.
Des râles et de l'aphasie Des gens du pauvre Canada S'élève une chanson nazie En hâte d'un second mandat.
437 Voyant la fange et le barda Où vit ton peuple qui espère, Notre plus malheureux soldat Se croit imbu de savoir-faire.
Quand les enfants du prolétaire Deviennent de trop grands savants, Les seuls enfants qu'il laisse faire Seront faits par les morts-vivants.
438 En soignant sur tant de divans Toutes les âmes trop sensibles, On laisse les jobs énervants Aux chiens qui les prendront pour cibles.
De looks toujours plus impossibles Chacun doit faire ses habits Face aux cuirasses invincibles Qui font tourner l’oeil des brebis.
439 Le luxe inouï de nos fourbis Et nécessaires de ménage Nous font tenir dans nos gourbis Jusqu'au retour du Moyen-Âge.
Chacun se croit un personnage Très admiré au cinéma Sans voir l'agence d'espionnage Qui règle ainsi tout le climat.
440 La lourde ardoise du karma Est là pour tuer le goût de vivre Et vendre plus de doux soma Qui de mort lente nous enivre. Sous un vaste plateau de givre De petits hommes aux yeux secs S'apprêtent à fermer le livre Où sont prévus tous nos échecs.