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ALBUM NIGRUM

Invocation à Erzulie Dantor
 ​      La Tête Chercheuse

1

     Pour fuir le pauvre Canada,
    Il n'est Floride trop affreuse :
 J'en connais qui jusqu'à Ouiddah
Ont pataugé dans l'eau fangeuse.

Ma barque vague et voyageuse
 Qui vogue au but sans se hâter,
    Ma tête ogive si chercheuse
     Que je sens pleine à éclater.

2
     Tu m'as fait signe de monter
    Jusqu'en ton cent-unième étage ;
 Au bout portant, fais-moi sauter
Un soir sur Manhattan en rage.

Noire Erzulie, entends l'orage
 Qui luit dans mes yeux de merlan!
    Permets qu'en vers du moyen-âge
     Je te dépose mon bilan.

3
     Je te soumets un dernier plan :
    Apollinaire est mon modèle ;
 Si tu veux, brise mon élan:
Je te serai toujours fidèle.

Je veux monter en ta nacelle:
 Je suis tanné de mon bazou ;
    Je veux jeter une étincelle
     Dans l'atmosphère de grisou.

4
     Laisse jouer pour mon gazou
    Un concerto démagogique ;
 Fais que le feu de ton bisou
Éclate en champignon magique!

Souffle un nuage analgésique
 Au plus profond de mes poumons!
    Fais-moi danser sur la musique
     Qui mette en fuite les démons.

5
     Mets en déroute les limons
    Qui font obstacle à la rivière!
 Guide-moi jusqu'aux plus hauts monts
Dans l'eau de source de la bière!

Viens me tirer de cette ornière
 Où pleut à seaux le café noir!
    Je veux poursuivre ma carrière
     Dans un missile du Grand Soir.

6
     Décolle-moi de mon perchoir!
    Évite-moi la route large,
 Car l'adversaire pourrait voir
Si j'écris trop hors de la marge.

Ne permets plus que je m'enfarge
 Dans les panneaux des carrefours
    Quand, comme un orignal, je charge
     À l'appel rauque des amours.

7
     Fais que mon cœur compte à rebours
    Les barres d'une Marseillaise
 À rassembler tous les tambours
En une seule bouille à baise.

Orne à jamais de fleurs de fraise
 La trace de tous mes timons,
    Et je saurai choisir le treize
     À la roulette des Mammon.

8
     Vois se débattre les saumons
    Dans les bouillons de l'onde fière!
 Sous le brouillage des sermons,
Perçois le fil de ma prière.

Viens assister à ma première
 Fais des éclairs au magnésium!
    Laisse le vent de la lumière
     Me pousser jusqu'au millénium.

9
     Ne laisse pas au plutonium
    La floraison de nos folies!
 Les feux pétants du géranium
Font des terreurs bien plus jolies.

Cahier de chant que tu relies,
 Je veux ton numéro spécial ;
    Fleur des champs que tu exfolies
     J'attends après ton cri nuptial!

​10
     Interromps donc le commercial
    Fais museler la bière blonde!
 Fais voir ces lettres en oncial
Aux gens de tout chemin de ronde.

Sens le trottoir qui déjà gronde
 Et mon ogive en toi monter ;
    C'est dur d'attendre la seconde,
     Mais rien ne sert de trop hâter.


       Saint-Germain-des-Prés

​11

     Rien ne sert de vouloir sauter
    Sous la pression de l'humeur rance ;
 J'en viens pourtant à regretter
D'avoir manqué la guerre en France :

Les bercements de mon enfance
 Aux airs de Saint-Germain des Prés,
    Les lendemains de la souffrance
     À l'aube des auvents pamprés.

12
     Prix littéraires célébrés
    Sur une nappe prolétaire,
 Chandails de laine délabrés :
Rations-textiles de misère

Lotion-miracle qui s'opère
 De sucre et d'eau, cheveux zazous,
    Sur un corps maigre qui espère
     En trouver une à ses bisous.

13
     Instant sacré, cœur de dix sous,
    Blanches mamelles de Montmartre,
 Furoncles printaniers absous
Par une peau brune de dartre.

Billet du pape Jean-Paul Sartre
 Glané dans l'ombre d'un caveau,
    Air de musette qui entartre
     Tous les conduits de mon cerveau.

14
     Mur craquelé, mal à niveau,
    Esprit qu'un vieux phono délivre,
 Matin toujours d'autant nouveau
Qu'on n'était pas né pour le vivre.

A-t-on manqué le bateau ivre
 Faute d'avoir sur persister,
    Ou autre part que dans un livre
     A-t-il jamais pu exister?

15
     Faut-il cesser de s'attrister,
    Et bien montrer que l'on s'en moque,
 Pour peu qu'on veuille subsister
Sous les amplis de notre époque?

Plus d'un vieux loup nourrit son phoque
 De ceux qui furent ses poissons
    Rouges et c'est en Amerloque
     Qu'il nous vient dire ses leçons.

16
     Où sont les rêves des chansons
    Qui me tenaient l'âme ravie?
 Où est la chair des hameçons
Qui nous donna goût à la vie?

Sens-je un grand vide qui convie
 À d'autres et plus mauvais jours?
    À tant priver de voix la vie,
     N'entendra-t-on que ses tambours?

17
     Que peler de topinambours
    Pour retrouver goût aux oranges?
 Que ne faut-il remplir de fours
Pour la ration de pain des anges?

Que ne faut-il louer de granges,
 Que ne faut-il creuser d'abris
    Pour que les yeux un peu étranges
     Goûtent la trêve du mépris?

18
     Ne crois pas trop en mes gris-gris :
    Vivre à Paris, c'est la galère!
 Et jamais je n'en fus épris
Que les grands soirs de sa colère.

C'est un ciel gris qui ne s'éclaire
 Que lorsqu'à dos des grands chameaux,
    Parvient là-bas la sève claire
     Qui coule de nos chalumeaux.

19
     Évite de confier ces mots
    Pleins de notre nouvelle flamme
 À ces petits bourgeois normaux
Dont se fait rance la réclame.

Maintenant que les porteurs d'âme
 Sont chassés de tous les bistros,
    Toi, l'autre et noire Notre-Dame,
     Mène le bal de leurs bons trots.

20
     Vois projeter par les vitraux,
    En contre-jour sous l'arche ogive,
 Plus rouge que tous les Castro,
Le soir de gloire qui arrive.

Toi qu'on dit sœur contemplative
 Rêvant en vain de ciels nacrés,
    Sens mon missile qui s'active

     À la chaleur de tes degrés.


      New Orléans

21

     Sens de ma langue aux becs sucrés
    Monter vers toi la chaude flore :
 Je ne sais d'autres feux sacrés
Sous mon ciel qui se décolore.

Les derniers pas de mon folklore
 Dansés dans l'île d'Orléans,
    Celle où Leclerc faisait éclore
     Un nouveau cycle de péans.

22
     Ne sommes-nous que fainéants?
    Prenons refuge sous la liane !
 Chantons comme à New Orléans
Quand nous serons dans la Louisiane.

Les nuits où le vieux jazz piane,
 Je serai ton beau nègre blanc,
    Toi ma négresse Rosie-Anne
     Fleur à ma bouche et à mon flanc.

23
     Ce soir où reviendra le Klan,
    Pour ton amour me faut-il croire,
 À laisser là mourir mon plan
Qu'un peuple heureux n'a pas d'histoire?

Fais-toi prier ô Vierge Noire
 Par les porteurs du Vieux Marché,
    Et entends leur chanson à boire
     Dont le créole m'a touché.

24
     Parole d'un pays lâché,
    Vieille légende d'Angoulême,
 Violon qui pleut d'un bar perché
Que la clocharde céleste aime.

Si tout le monde ici blasphème,
 Serait-ce après un cheval mort?
    Je crois devoir avec le thème
     De la complainte être en accord :

25
     Trois ouragans auront du Nord
    Pris les modernes par surprise,
 Deux ont déjà semé la mort,
L'autre ne semble encor que brise.

Sous de hauts murs de marchandise,
 Chacun s'enferme à double tour ;
    Je vole dans la ville grise
     Comme un rebut d'arrière-cour.

26
     J'y vois rouiller de jour en jour
    Les trains en quête d'aiguillage ;
 Je monte dans ma haute tour
Pour voir la gare de triage.

Par la fenêtre au lourd grillage,
 Je trace un plan vers l'horizon.
    Hélas, les traits du quadrillage
     Sont les barreaux de ma prison.

27
     J'entends venir sur ma maison
    Comme un rouleau d'acier qui broie ;
 Garde mon cœur et ma raison
De la musique qui guerroie.

Il n'est personne qui me croie :
 Je parle de l'arrière-cour ;
    Puisqu'il me faut être une proie,
     Viens m'embrasser, ô mon vautour.

28
     Sous les arpents de neige autour
    Dans leurs silos rêvent les bombes ;
 Ne cède pas, ô mon amour, 
Leurs lits sont froids comme des tombes.

Ne juge pas aux longues rhombes
 Sacré le feu des Iroquois :
    Souvent les plus féroces trombes
     Laissent les flèches de guingois.

29
     Fais-moi entrer en ton carquois :
    J'ai à ma plume un jus caustique ;
 Ne laisse plus aux Québécois
Les seuls emplois de domestique.

Fais-moi foncer dans la boutique
 Comme un taureau de Bilbao!
    Fais de moi ta tête atomique
     Comme on nomma en vain Mao.

30
     Le long chemin de ton Tao,
    Tout en méandres sous la liane,
 Sortira-t-il de mon chaos
Tel une ogive de Guyane?

Combien long fil, fusée Ariane,
 Semas-tu par les océans?
    S'il faut tomber sur la Louisiane
     Rendez-vous à New Orléans.


      L'Agneau

31

     Être sortis des trous béants
    Où prêcha le Curé Labelle,
 Et refuser d'être géants :
Faute de goût souvent mortelle.

Le couteau fou de Riopelle
 Beurrant les gigues de Vigneault,
    Ma déception qui en appelle
     Au sacrifice de l'agneau.

32
     Qu'est-ce qu'indiquent les signaux
    Faits par l'aurore boréale,
 Quand le pays des orignaux
Devient immense cathédrale?

De quelle rampe colossale
 Vient la clarté des mille plis
    De ce rideau dont le percale
     Semble tissu de longs oublis?

33
     Lorsque seront tous accomplis
    Les ans de grâce qu'on m'accorde,
 Fais déverser dans les amplis
Ton ouverture qui déborde.

Je n'ai plus crainte que me morde
 Le peuple dit des verseurs d'eau
    Que les faussaires en concorde
     Tiennent en hâte d'un cadeau.

34
     Tombe n'importe quel bardeau
    Du toit du monde sur ma tête,
 Pourvu qu'y tienne mon bandeau
Qui seul peut la garder en fête!

Quand au sortir de la tempête,
 J'ai le cerveau tout tuméfié,
    Est-ce d'attendre ta conquête,
     Ou d'être trop radiographié?

35
     Au cœur trop tendre sacrifié
    Par la musique électronique,
 Je te sais gré d'avoir confié
Les mots qui la rendront tonique.

Fais que le bang supersonique
 S'intègre à un puissant accord :
    Ne pas le rendre symphonique,
     C'est le laisser semer la mort

36
     Quand tout regard un peu trop fort
    Passe pour l'agression d'un faune,
 Se bat la sorte de record
Dont le Québec d'aujourd'hui trône

Entends ce cri que Louise Beaulne,
 Tombant du pont Jacques Cartier,
    Aurait confié au journal jaune,
     Exhibant son suicide altier!

37
     Je veux finir ce livre entier
    S'il peut sauver une seule autre ;
 Fais-moi laisser là ce métier
S'il n'en pouvait sauver quelque autre

Fais de cette encre où je me vautre
 Un fleuve dont sasser l'or fin ;
    Je n'ai su faire un bon apôtre
     Au blanc pays de Séraphin.

38
     Fonds cette terre de Baffin
    Au clair de mon étoile filante!
 Trop m'ont hélé comme un dauphin
Dans le ruisseau de la mort lente.

Trop m'ont pris pour chaise roulante
 Vers les psychiatres de Saint-Luc ;
    Je veux virer bombe volante
     Au son d'un reel de la Bolduc.

39
     Que brûle ce décor de stuc
    Où toute chair se pétrifie!
 Quand les victimes sont sans suc,
C'est en vain qu'on les sacrifie.

À couteau fou on déifie
 Les saints du culte d'Ahriman,
    Mais gare au disque qui se fie
     Au juste tir du recordman.

40
     Mets dans mon casque de walkman
    Un rigodon funèbre espiègle ;
 Rend-nous les rêves que Bronfman
Noya dans son whisky de seigle.

Quand sur mon cœur qui se dérègle
 On remet l'hymne* de Vigneault,
    Comme saisi par un grand aigle
     Je crois voler comme un agneau.
      Destination-Soleil

​41

     Je vois passer les orignaux ;
    Ma route en est toujours barrée.
 Serait-ce un autre des signaux
D'aller te voir dans ta purée?

Les quais putrides du Pirée
 D'où trois enfants m'avaient souri,
    Leur mouise que j'ai désirée
     Quand la chantait la Mercouri.

42
     Entends mon triste amphigouri
    Toujours en quête de musique!
 Pour m'en être trop bien nourri
J'ai voulu un destin tragique.

Espérant un effet magique,
 J'ai fait dans le théâtre grec :
    Je fus le spectateur unique
     De mes premières fleurs au bec.

43
     Jamais je n'ai pu voir de grec
    Que l'épicier doublement traître
 Appelé pour voter l'échec
D'un peuple qui a voulu être, 

Jamais celui qu'on laissa paître
 Du temps de Papadopoulos
    Dans les crevasses de salpêtre
     Du camp de l'Île de Patmos.

44
     Si mièvre qu'en soit le pathos,
    Laisse le chant de ma complainte
 Porter les termes de l'éthos
Mettant mon rêve à mon atteinte.

Comment atteindre ton étreinte
 Plus haute que tout l'Univers
    Quand on est rat du Labyrinthe
     Et du confort de nos hivers?

45
     J'aurais aimé prendre à l'envers
    L'avion de l'immigrant barbare
 Pour mieux nous voir jusqu'à travers
La mer qui vit tomber Icare.

Mais le Soleil, sans crier gare,
 Abat sitôt de son faisceau
    Quiconque vole dare-dare
     Pour ne pas prendre le ruisseau.

46
     Lorsque j'aurai comme un pourceau
    Franchi la fange de la honte,
 Fais-moi sauter dans ton cerceau
Sur l'autre rive qui remonte.

La bête humaine que j'affronte
 Ne pourra plus jouer au martien
    Quand, de ta force que je dompte,
     Je saurai être musicien.

47
     Je n'attends plus en grec ancien
    L'ordre donné du coryphée :
 Au péristyle qui est sien,
Tu m'appelas d'un cri de fée.

Ta robe rouge dégrafée
 Me fera voir tes seins de jais,
    Ma lettre noire ici griffée
     T'ayant fait croire en mes projets.

48
     En dépit de tous les rejets
    Qu'a jusqu'ici subi ma thèse,
 Je tiens là-bas tous les objets
De peur du monde pour fadaise.

Je vois partir mes gens à l'aise
 Chaque hiver pour un lieu vermeil :
    J'ai droit aussi ne leur déplaise
     À ma destination-soleil.

49
     De ton pays à nul pareil
    Je n'ai rien vu au loin encore
 Qu'une cité sans appareil
Au beau nom que chacun déplore.

Le pouvoir de la mandragore
 La retiendrait dans un trou noir,
    Mais sur les murs qu'on y décore
     On ose encore écrire « espoir ».

50
     J'y crois voir vivre le Grand Soir
    Où tout Paris soudain en rage
 Me signifia quel beau devoir
Incombe à moi l'enfant peu sage :

C'est quand sous les pavés la plage
 S'effeuille comme une houri
    Que l'esprit perce et se dégage
     Du piège de l'amphigouri.


      La Seine

​51

     Et c'est pour m'être trop nourri
    Du plus précieux de ta salive
 Que me voilà, enfant pourri,
Dans le ruisseau de ta lessive :

La Seine lente et corrosive
 Des premiers disques de Ferré,
    Tout ma vie à la dérive
     Du charme qu'ils ont opéré.

52
     Conduis mon char mal éclairé
    Par les panneaux de la réclame!
 Réduis le phare exagéré
Dont m'a tant ébloui Paname.

C'est mon autre et noire dame
 Qui tailles mon accent pointu,
    Non pas le zut! qu'on y exclame
     Dans ses autos qui font tu! tu!

53
     Quand bousculé comme un fétu
    J'entre dans le café de Flore
 Prendre un petit café battu,
C'est l'addition qui me picore,

Pas l'albatros qu'en vain j'implore.
 Pas même le chant d'un corbeau :
    Séjour plus triste et vide encore
     Que la visite d'un tombeau.

54
     J'ai beau chanter « Pont Mirabeau! »,
    Le taximètre de la zone
 Passe un viaduc aussi peu beau
Que ceux du grand Montréal jaune.

Assis à l'ombre d'un pylône,
 Je gueule à mon copain Léo :
    « L'amour au bec de quelle faune
     Anoblira le Pont Viau? »

55
     Trop fredonner avec brio
    Mène à l'eau sale de Venise,
 Ou aux favelas de Rio
Que la misère télévise.

Quand des pays toujours en crise
 Parviennent tant de belles voix,
    On veut garder sa ville grise
     Pour y garder les bons emplois.

56
     On croit savoir faire son choix :
    Le beurre ou bien l'argent du beurre :
 La maisonnette du bourgeois
Qui veut garder son âme à l'heure,

Ou bien le noir ruisseau qui pleure
 À l'ombre glauque du pilier
    Où couche qui ne veut que meure
     Son vieux poème d'écolier.

57
     On couche alors sous l'escalier
    Que d'autres grimpent à grand peine ;
 On joue alors au batelier
De la Volga ou de la Seine.

Et s'il vous semble trop quétaine
 De coucher sous le pont Viau,
    Il y a un vol à prix d'aubaine
     Pour les favelas de Rio. 

58
     Je dirais au Padre Pio
    Qu’ici la dèche est bien plus laide ;
 Fais orchestrer par un griot
Cette chanson qui crie à l'aide.

Mets cette cause que je plaide
 Sur disque de Léo Ferré,
    S'il daigne ainsi que j'intercède
     Après l'avoir trop adoré.

59
     Si je n'étais bien plus taré
    De la santé qu'il a enfreinte,
 S'il ne m'avait tant égaré
Et fait marcher au Labyrinthe,

Dégusterais-je ton étreinte
 Sur la margelle du ruisseau?
    Composerais-je la complainte
     Dont la sortie attend ton sceau?

60
     Si je n'avais eu pour berceau
    Sa chansonnette si grincheuse,
 Qui eût coiffé de ton cerceau
Ma tête ogive si chercheuse?

Où ma mirette si plongeuse
 Eût-elle vu le ciel doré
    Sans les éclats de l'eau fangeuse
     Où le soleil a chaviré?


      Les Porte-Voix

61

     Où me serais-je aventuré
    Hors de la route trop suivie,
 Sans le renom de demeuré,
Que me vaut ton humeur ravie?

Les vers de l'âme inassouvie
 Qui écoutés plus de trois fois
    Rendent inapte pour la vie
     À tout travail de porte-voix.

62
     Sur son balcon rêve un hautbois
    D'un concerto à grand orchestre ;
 Des cris, des cors et des abois
La meute alors le défenestre.

Montre-moi le chemin pédestre
 De l'orignal qui fuit vers l'eau!
    Pour que son bois soit plus sylvestre,
     Fais-le feuiller comme un bouleau!

63
     Je n'ai pour note de philo
    Que cent pustules printanières,
 Et pour couronne le halo
Sacrificiel de tes lumières.

Quand dans ma bouche les rivières
 Grondent sous le premier soleil,
    Comment parer le jet des pierres
     Des gens qu'on tire du sommeil?

64
     Entends le chant de mon réveil
    Que mordent les signaux d'alarme!
 Vois s'avarier tout appareil
Sous mon regard trop plein de charme.

Le feu d'amour qui me désarme
 Rend soupçonneux les fiers-à-bras.
    Je me déchausse comme un Carme
     Pour passer l'onde où tu voudras.

65
     Vois orbiter les papiers gras
    Autour de moi comme des mouches!
 Sens combien sentent mes beaux draps
Depuis le temps que tu me touches.

Tous les regards passent pour louches
 Dès qu'ils déversent la clarté ;
    Dis-moi le pont où tu nous couches
     Qui mène vers l'autre cité.

66
     Flatte-moi comme un invité
    À un festin beaucoup plus rare
 Que le destin de l'excité
Qui file vers l'aérogare.

Trop ont cru bon rompre l'amarre
 Depuis le toit du château-fort,
    Mais l'éternelle mer d'Icare
     Est rouge de leur male mort.

67
     Fais-moi nager vers l'autre bord
    Comme Dédale qui fit halte ;
 Empêche de chauffer trop fort
Ma tête que la vue exalte.

C'est quand sur les pavés l'asphalte
 Fait du matin une autre nuit,
    Que l'esprit, comme un preux de Malte,
     Cherche la bête qui conduit.

68
     Vois les anciens de soixante-huit
    Qui roulent sur la rive droite,
 Et le ringard que chacun fuit
Tant que sa tête n'est pas coite.

Ma bouquiniste, ouvre ta boîte
 Sur le quai des Grands Augustins,
    Où va la seule rue étroite
     Pour fuir au loin ces deux destins.

69
     Oh plus terrible des festins,
    J'ai dévoré ton petit livre ;
 J'en ai très mal aux intestins
Mais j'ai senti ma voix revivre.

Mais puisqu'il me faut bien survivre
 Aux oiseaux rauques irrités,
    Guide-moi à travers l'eau ivre
     Qui tient à part les deux cités.

70
     Montre aux copains tout excités
    Par le haut rang de leur embauche
 Les trop beaux rôles imités
Trahir tout coeur resté à gauche.

Montre le trait qui toujours fauche
 Les purs montés sur le pavois ;
    Ne permets pas que me chevauche

     La bête au coeur des porte-voix.


      Sydney Bechet

​71

     Apprends-moi tes bons mots grivois,
    De faute en faute d'orthographe,
 Pour ne chanter rien qu'une fois
Ton beau sein noir que je dégrafe.

Le jazz du temps du phonographe
 Qui fleurait bon Sydney Bechet,
    Cette musique de carafe
     Que dans les bals on débouchait.

72
     En m'effleurant comme un archet,
    Fait résonner comme une corde,
 Et exploser comme un pichet,
Mon corps dont tout le jus déborde.

Comprends la hâte que me morde,
 À l'ouverture des rideaux,
    Ton grand orchestre où je raccorde
     La danse de mes pieds lourdauds.

73
     Avant de mettre sur mon dos
    L'appellation que tu contrôles,
 Élève-moi comme un Bordeaux
Dans la plus noble de tes geôles.

À la promesse des beaux rôles
 Réclamés par les gros cerveaux,
    Unis la graisse et les épaules
     Qu'on croit le fort des seuls chevaux.

74
     Je sais combien les noirs caveaux
    Qu'on croit les trous de la débauche
 Protègent les talents nouveaux
Qui vont gravir la rive gauche.

Ne crains donc plus que je chevauche
 Le porte-voix des cœurs aigris
    Pour survoler la zone où fauche
     Quiconque un seul trait de mépris.

75
     Avec les chiens, les cors, les cris
    Ne permets pas que je discute :
 Le porte-plume que j'ai pris
Est bien plutôt un parachute.

Du projectile que j'affûte
 Pour traverser la vaste mer,
    Je sens le feu qui me transmute
     En Noir au charme de Mesmer.

76
     À quoi bon jouer les Guynemer
    Si c'est le fond de la Guyane
 Ou de quelque autre gouffre amer
Qui me tend son filet de liane?

Ne laisse pas le fil d'Ariane
 Se perdre dans les interviews
    Vu que m'appelle en sa Louisiane
     Une chanteuse des bayous.

77
     Selon que mon dessein de Sioux
    Enchantera ou non la belle,
 Mène-moi par d'autres cailloux
Ou laisse-moi en sa nacelle.

Seul peut piquer à tire d'aile
 Dans l'œil du monstre au Canada
    L'insecte prêt à perdre l'aile
     Pour la beauté qui l'obséda.

78
     Seul s'immunise du sida
    Dont la peur de mourir nous gouge
 Qui sait descendre de dada
Au cimetière de Montrouge.

Seul peut passer la zone rouge
 Guidé par l'ombre d'un vautour
    Qui sait attendre au fond d'un bouge
     Sans autre espoir qu'un bel amour.

79
     Seul peut gravir la haute tour
    Que coiffe ta chambre nuptiale
 Pour allumer à ton amour
Le feu de l'explosion mondiale,

Qui pour graver la loi cordiale
 De Notre Dame de Harlem
    Saura braver la foi martiale
     De Rome et de Jérusalem.

80
     Seul peut grimper dans le totem
    Du monde entier qui se rassemble
 Qui perd son prix de math élem.
Pour un amour qui te ressemble.

Seul dont d'abord la bombe semble
 Surboum du bon temps de Béchet,
    Fait que la rive droite tremble
     Au retour de son ricochet.


      Le Disque d'Or

​81

     Seul que chacun traite en déchet,
    Répand le feu de cet atome
 Qu'on scelle alors d'un gros cachet
Et qu'on enferme sous un dôme :

Le disque d'or de Piaf la môme,
 Rayon de son dernier couchant,
    Lustre de pur cristal de baume
     Éclaté sous son propre chant.

82
     Quand le théâtre du marchand
    Est seul à faire de l'embauche,
 Dans quel journal « Bête et Méchant »
Écrire pour la rive gauche?

Passé le fleuve de la fauche
 Sur l'autre bord que tu promets,
    Dis quelle mule je chevauche
     Pour en atteindre les sommets.

83
     Beaucoup prétendent que jamais
    N'a existé sauf pour la blague
 Le Saint-Germain qu'enfant j'aimais
Dans les airs de la vieille vague.

Seule une route qui zigzague
 Monte une côte de granit ;
    Seul un amour fait sous ta bague
     Monte et descend jusqu'au zénith.

84
     Laisse venir jusqu'au grand hit
    L'humble missile de croisière ;
 Laisse-lui faire comme Édith
Sauter le monde à sa manière.

Bien ne révèle fin dernière
 Que l'effeuilleuse des caveaux ;
    On vogue au vent de la lumière
     Comme un voilier des caniveaux.

85
      Quand s'entrégorgent les cerveaux
    Dans la cité qui les emploie,
 Seul connaît l'air des chants nouveaux
Le vagabond de l'autre voie.

Seule une barque qui louvoie
 Peut naviguer contre le vent ;
    Seul un missile qu'on envoie
      Peut espérer changer le vent.

86
      À quoi bon être un grand savant
    Si seul l'emploie un adversaire
 Plus riche et plus puissant qu'avant?
Faut-il entrer en monastère?

Faut-il donc faire un grand mystère
 De toute prise de recul?
     Cette prière est ton clystère
      Pour nous laver de tout calcul.

87
     Contre les forces du cumul
    Toute tactique est inutile.
 Seul qui sait bien agir en nul
Peut espérer frapper le mille.

À qui sait passer pour débile
 Rien ne sera longtemps secret.
    Ce que l'on croit effet de style
     Parle d'un fait bien plus concret.

88
     Trop taraudé par le portrait
    De ton corps noir pétri en songe,
 J'ai présenté tout son attrait
À la pluie aigre qui m'éponge.

Depuis pour peu que je m'allonge,
 Je n'ai plus pour film d'évasion,
    Que mon propre être que je plonge
     Dans l'encre de ta décision.

89
     L'arme absolue est la fusion
    De l'art de mordre dans la pomme
 Et de l'horreur de la vision
Qu'on croit à tort venir de Rome.

Je sais ton bon plaisir la somme
 Résultant de tes sept douleurs,
    Ainsi que ton corps beau consomme
     Le spectre entier des sept couleurs.

90
     Seule la peur de nos chaleurs
    Fait que la sauce de tomate
 Que télévisent les voleurs
N'est pas encore plus écarlate.

Seule la bombe qui éclate
 Dont la sirène est le plain-chant
    Fait qu'entre temps la chanson flatte
     En chacun son plus doux penchant.


      Dallas

​91

     Seul le propos clair et tranchant
    Que de méchant on catalogue
 Vaut au coeur pur et attachant
Le grand respect du monde rogue.

Argent, violence, sexe et drogue
 Quadruple rendez-vous des as,
    Coup de poker le plus en vogue
     À la fortune de Dallas!

92
     Quand de paillettes et de strass
    Éclaire un disque qui tempête,
 Mon regard brille ainsi qu'un schlass
Dans les ténèbres de la fête!

Le labyrinthe où je m'entête
 En marge des jeux vidéo
    Fera-t-il voir un soir la bête
     Dont la voix gronde en stéréo?

93
     Mets en musique le fléau
    Dont je veux battre l'Amérique!
 J'y rugirai comme Léo
Sur son orchestre symphonique.

J'aurai son bel accent tonique
 Comme dans son bon temps de chien ;
    Tais la critique sardonique
     Car Édith Piaf le fit très bien.

94
     Faut-il jusqu'au désert indien
    Tourner les gorges du dédale,
 Brute et truand ne peuvent rien
Tant que ma course est en spirale.

Vois-moi fouler comme un Vandale
 Les pages du Reader's Digest ;
    Loges-y moi comme une balle
     N'aura jamais sifflé dans l'Ouest.

95
     Je ramperai de test en test :
    Il faut souffrir pour être belle ;
 Fais savoir quoi lâcher pour lest
Avant chaque ascension nouvelle.

Pour louvoyer en ta nacelle
 Au vent solaire du zénith,
    Il n'est méthode autre que celle
     Dont se servit toujours Édith.

96
     Quand le barrage est de granit,
    C'est sous son propre son qu'il craque ;
 Pour galoper de hit en hit,
Il faut nager de flaque en flaque.

Il faut braver de claque en claque
 La clientèle des bistros,
    Bien lui montrer qu'on est fou braque
     De lui produire un cœur si gros. 

97
     À force de montrer des crocs
    Le mépris tourne au pur délire, 
 Ainsi les Marylin Monroe
De leur exil font un empire.

Le grand public qu'un tendre attire
 Ne cherche en son for intérieur
    Qu'un pauvre type de qui rire
     Pour se sentir moins inférieur.

98
     Qui se pavane en grand seigneur,
    Du trône ne voit pas la chaîne ;
 Qui veut toujours être meilleur
Doit redescendre dans l'arène.

Comme la pousse d'une graine
 Monte en spirale vers le jour,
    Le pion promu au rang de reine
     Doit jouer deux rôles tour à tour :

99
     On fait des crises dans sa cour,
    Fou noir ou blanc montré en foire ;
 On chante un grand hymne à l'amour,
Tour d'obsidienne ou bien d'ivoire.

On prend le risque du déboire
 D'une sorcière de Salem ;
    On met en disque son grimoire
     Dans une boîte de Harlem.


100
     On fait figure en tant qu'item
    De numéro de journal jaune ;
 On escalade le totem
Qui tient le monde sous son prône.

Oh toi ma valse et mon cyclône
 Qui vas ravageant leTexas,
    Vois-moi charmer toute la faune
      Qu'on voit marcher comme à Dallas.


      Le Sacrifice

​101

     Donne le la de la Callas
    Ou de quelque autre cantatrice
 J'interromprai d'un long « hélas »
La fête du
 feu d'artifice.

Le défilé sous l'édifice
 Où un tireur se recueillit
    Pour consommer le sacrifice
     Dont l'ordre ancien s'enorgueillit.

102
     Les coups de feu dont tressaillit
    L'homme qui crut changer le monde, 
 Le feuilleton qui envahit
De longueur d'onde en longueur d'onde.

La messe dont le vin débonde
 Et qu'on célèbre le mardi, 
    La griffe de la bête immonde
     Qui convoqua John Kennedy.

103
     Le vol du président hardi
    Sentant sa mort prochaine sûre, 
 Les traits de l'astre du midi
Chauffant ses ailes de voiture ;

Le paradis sous la toiture
 D'où un vieux dieu vengeur tira
    Trois coups d'envoi pour l'ouverture
     D'un très ancien soap-opéra ;

104
     L'adolescent qui espéra
    Battre en hauteur les cosmonautes ;
 Le faux ciel bleu que perfora
Un tir venu des loges hautes ;

Les gestes faux pris pour des fautes
 Et qui s'inscrivent dans un plan, 
    La caméra qui fit des sautes
     Pour ne pas dire carré blanc ;

105
     Le président pris d'un élan
    Comme un grand aigle vers un phare,
 Sa chute comme un lourd bilan
Qui rend le monde plus avare ;

Le fleuve rouge qui sépare
 Dallas des rives de Fort Worth,
    La mer qui but le sang d'Icare
     And flows through all history and earth ;

106
     L'homme qui tombe de son surf
    Pour avoir cru mener la vague,
 Le pion qui mord l'herbe du turf
Dès qu'il ne court plus pour la blague ;

L'apprenti chef d'état qui drague
 La fille d'un riche bêta,
    Et croit pouvoir casser la bague
     Sitôt en selle sur l'état ;

107
     Le cavalier qui emprunta
    La route qu'un mirage a feinte,
 L'azur brûlant où miroita
Un plan pour fuir le Labyrinthe ;

L'exemple qui m'emplit de crainte
 Quand s'ouvre un trop beau raccourci,
    Ma main qui reste sur la plinthe
     Où court le fil qui sort d'ici ;

108
     Des mois de marche même si
    C'est pour toucher le mur d'en face :
 La seule marche qui ainsi
Sort de la plus obscure place ;

Le plan qu'on croit de la terrasse
 Voir d'un coup d'œil et suivre après,
    La bien plus grande et rare audace
     D'y voir un autre piège exprès ;

109
     Mes pas perdus et mes regrets
    D'avoir rêvé de présidence,
 Les vrais grands maîtres très secrets
Tenant le monde en leur mouvance ;

Le mur de leur si lourd silence
 D'où tombent tant de coups de feu,
    Le pion qui aussitôt s'avance
     Pour s'emparer du bel aveu ;

110
     Le meurtre qui répond au vœu
    Du cadre où le western s'achève,
 Le lourd téléroman vieux-jeu
Dont le décor tout-à-coup crève ;

Les fleurs au front du bon élève
 Que par mégarde l'on cueillit,
    L'enterrement de son beau rêve
     Dont l'opéra s'enorgueillit.


      Le Tombeau de Kennedy

​111

     Les ballerines de Neuilly
    Qui mettent bas leur collerettes
 Pour l'uniforme de treillis
De leurs nouvelles opérettes.

Mon dérespect aux majorettes
 Qu'on voit passer chaque mardi
    Mettre leur flamme aux cigarettes
     Des assassins de Kennedy.

112
     Du feuilleton trop bien ourdi,
    Guide-moi hors de la spirale ;
 Lave mon cœur abasourdi
De son affreux cours de morale.

Hors du concert de la chorale
 Ne serait don que de vaurien ;
    À ce que dit l'antenne ovale.
     Aucun humain ne pourrait rien.

113
     Le grand projet prolétarien
    Ayant tourné au mauvais rêve,
 On veut dès lors que le terrien
Renonce au fruit de toute grève.

À voir sur les écrans que crève.
 Tour à tour chaque plan de vol,
    On croit, pour être bon élève,
     L'homme à jamais cloué au sol.

114
     Délivre-moi de ce formol
    Qui pour bocal prendrait ma tête :
 Enivre-moi du propergol
Qu'il faut pour fondre sur la bête.

Ne permets plus que je m'arrête
 Quand elle montre sa prison ;
    Fais que sans trêve je m'entête
     Envers et contre sa raison.

115
     Quand notre espoir est hors saison
    Mets bas les casques de l'écoute ;
 Conduis jusqu'à ta pâmoison
La gravelure de ma route.    

Ne permets plus que me chouchoute
 Le jazz blasé de la high class
    Joué partout sur l'autoroute
     Menant le monde vers Dallas.

116
     Chasse des pages de l'atlas
    Les deux de pique qu'on adule ;
 Apprends-moi à produire en as
Mon numéro si minuscule :

C'est quand sans force on éjacule
 En tout dernier son bel atout
    Que l'ennemi reste incrédule,
     Jusqu'à ce qu'il ait perdu tout.

117
     La bête humaine dit partout
    Le labyrinthe sans issue :
 Ne prouve-t-il alors surtout
L'avoir que trop bien aperçue?

Mène ma hâte qu'on déçue
 Les pièges du chemin des airs
    Au bout du fil dont est tissue
     Cette guirlande de vieux vers.

118
     Fais voir le fil dans les déserts
    Que je traverse entre les strophes
 Et à l'endroit, et à l'envers,
Sur mon métier que tu étoffes.

Je tisse pour les philosophes
 En proie au mauvais rêve aryen,
    Le drapeau noir des catastrophes
     Au profit de ceux qui n'ont rien.

119
     Remets l'espoir prolétarien,
    Qu'on pense mort dans un camp russe,
 Sur fond d'orchestre wagnérien
Ne marchant plus au pas de Prusse.

Lave l'argent qui tant nous suce
  À ta tornade comme Ajax :
    Ma peau de blanc n'est qu'un prépuce
     À exciser d'un coup de sax.

120
     De mon coccyx à mon thorax
    Mon corps n'est qu'un Pershing qui bande,
 De crainte que comme un anthrax
L'onde assassine ne s'étende.

Donne un parfum fleur de lavande
 À la sueur de mon body.
    Va déposer cette guirlande
     Sur le tombeau de Kennedy


      Jacqueline

​121

     Tiens-moi loin de la First Lady
    Que son faux deuil mit en vitrine
 Et en attente d'un bandit
Prêt à en faire sa tzarine.

Le riche hymen de Jacqueline
 Sitôt en terre le cercueil,
    Le vieux pays que sa marine
     Maintient toujours dans son orgueil.

122
     Quand les couplets de ce recueil
    Feront comprendre ta caresse,
 N'y verra-t-on que mon fauteuil
Qui trop invite à la paresse?

N'entendra-t-on que la détresse
 D'un schizophrène en son studio
    Quand la prière que je tresse
     Paraîtra sur cassette audio?

123
     J'entends déjà le rire idiot
    Des grands piliers de discothèque ;
 J'entends les gens de la radio
Réclamer qu'on coupe mon chèque.

Au faux chercheur qui nous dissèque
 On veut prêter tous les secours,
    Non au sculpteur de frise grecque
     Montrant les nus de trop d'amours.

124
     Vois chacun prendre les détours
    Du labyrinthe de fortune,
 À la recherche des atours
Qu'il croit devoir à sa chacune.

Serait-ce demander la lune
 Que de vouloir faire à l'envers
    L'amour qu'on fait d'une tribune,
     Le plus totalement pervers?

125
     Fais que les lettres de ces vers,
    Sur les photos de magazine,
 Marquent au noir les corps couverts
De crèmes et de zibeline.

Préviens le gars qui les câline,
 Le doigt bagué d'un nom sonnant
    Qu'il offre à une Jacqueline
     Demain offerte à plus donnant.

126
     Je crus te plaire en ruminant
    Un long voyage comme Ulysse,
 Mais tu m'as jusqu'à maintenant
Tenu derrière la coulisse.

En ce métier de haute lisse
 Dont seul je sais toujours les lois,
    Garde des yeux de la police
     La trame des futurs exploits.

127
     La foi n'a pas d'autres emplois
    Quand le bourgeois est interlope
 Qu'un mot du juste un peu gaulois
Ou une image un peu salope.

Je n'ai pas su courir l'Europe
 Et revenir en grand héros ;
    Je crois l'emploi de Pénélope
     Valoir ton cœur en moins d'accrocs.

128
     Dans le décor des faux bistros
    Je vais attendre ton étreinte
 Que j'ai cherchée à trop grands trots
Sans pouvoir fuir le Labyrinthe.

Quand le récit de ma complainte
 Paraît trop faible ou trop subtil,
    Fais qu'au courant dessous la plinthe
     Je reconnecte alors mon fil.

129
     Me laissas-tu assez de fil
    Pour le long texte que je trame
 Et de courant pour le long Nil
Où à contre-courant je rame?     

Je t'enverrai un télégramme
 Plutôt que de pousser des cris.
    Je ne ferai pas d'autre drame
     Avant celui que je t'écris.

130
     Quand dans l'ornière l'on est pris
    À rien ne sert qu'on accélère ;
 Un plan de trame est entrepris,
Mais reste le détail à faire,

Et à défaire, et puis refaire,
 Tel Pénélope en son fauteuil,
    Sans sursauter sous la colère
     Ni m'endormir sur trop d'orgueil.


      Les Gredins

​131

     Quand se célèbre un trop grand deuil
    Et que se met toute âme en crise,
 Fais voir de quel affreux recueil
Ce n'est en fait qu'une avant-prise :

La boîte de Monsieur Surprise,
 Polichinelle et baladins :
    Mon émission qu'ils ont remise
     Pour faire place à ces gredins.

132
     C'était le temps où les dédains
    D'un archevêque matamore
 Arrêtaient mieux que des gourdins
La moindre danse de folklore.

Pour peu que l'on sentît éclore
 La joie à l'ombre d'un flonflon,
    Au mot pieux d'une pécore
     On dégageait le grand salon.

133
     Tendre l'oreille à un violon
    C'était donner la main au diable ;
 Nous qui l'avons sous le pilon
Trouvons cela bien peu croyable.

L'air extérieur trop agréable
 Fit aux curés craindre un fiasco,
    Briser le mur imperméable,
     Mais l'air de se mettre au disco.

134
     Il souffle un âpre sirocco.
    Ne sens-tu pas venir l'orage?
 Plutôt un simple avant-écho
De l'album où te rendre hommage.

Entends ma voix, première plage,
 Qui va contrant vagues et vents :
    Un autre et pire moyen-âge
     Dont sonnent tous les olifants.

135
     De disque en disque triomphants,
    Les staccato des mitrailleuses
 Ont dorloté tous les enfants
Accompagné leurs voix brailleuses.

Hors de leurs lampes merveilleuses
 S'échappent des cris de corbeau
    Perchant leurs âmes orgueilleuses
     Au faîte du grand escabeau.

136
     Hit après hit j'avais eu beau
    Fourgonner dans leur discothèque,
 La mettre à sac comme un tombeau,
Comme un cadavre qu'on dissèque,

Comme une horreur néo-aztèque
 Construite de bric et de broc,
    Comme une crypte qui défèque
     Bingos et voix de vote en bloc,

137
     Tout résonnait du même air Rock,
    Où à l'envers sous sa morsure,
 Gracieuseté de Tavistock,
La Bête a mis sa signature.

Tout ne semblait que la peinture
 Et la chanson du désespoir,
    Or ce n'était que l'ouverture
     Du premier acte du Grand Soir.

138
     Mettre la clef j'ai beau vouloir,
    Les enfants veulent tout entendre,
 Y compris même l'Album Noir
Au lourd coffret de palissandre.

J'avais cru bon le lui défendre,
 Sachant la force d'un mantra,
    Mais il menace de se pendre
     Sous la pression des libéra.

139
     Je me suis dit « bien, on verra! »
    J'entends alors un chant d'église,
 En vérité un opéra
Antiphonique de Venise.

« Que chaque voix chante à sa guise
 L'aria de l'aggiornamento! »
    Mais pour chanter sur la Tamise,
     On suit des ordres in petto.

140
     Examinant le libretto
    Je lis à la dernière page
 Que l’effet de l’allegretto
Est d’invoquer le Moyen-Âge.

Je veux d'abord hurler ma rage
 Faire la peau à ces gredins,
    Mais c'est moi-même qu'on engage
     Premier acteur côté jardins.


      Cours de Politique

​141

     Je fais face au choeur des mondains
    Disant mon air bien sympathique,
 C'est dans le sens de leurs dédains
Pour mon espoir trop authentique.

Mon premier cours de politique
 En douze jours de longs ennuis,
    Le lourd métrage méphitique
     Qui n'a fait qu'épaissir depuis.

142
     Un à un meurent mes appuis,
    Seule la noire sœur me couche ;
 Voici sa chambre où j'introduis
Mon être ainsi qu'une cartouche.
     
Au bouton rouge que je touche,
 Pressé tel un furieux motard,
    J'entends siffler Lyndon Larouche,
     Vu le calibre du pétard.

143
     Je réagis, c'est bien trop tard :
    Une fois avalés les disques
 Par l'appareil c'est le départ
À vos périls et à vos risques.

Il tourne plus de tourne-disques
 Que sous les disques des Beatles ;
    Il flash au ciel plus d'astérisques
     Qu'au dais des restaurants Nickels.

144
     « C'est le Grand Soir! », ricane Engels.
    Moteur hors bord à leurs gondoles
 Accourt le chœur des Hell's Angels
Au crépuscule des idoles.

Les professeurs de nos écoles
 Passent en classe des chandous
    Et investissent leurs oboles
     Dans la mallette des sadhous.

145
     L'orchestre attaque un air vaudou,
    Paris se rend à Port-au-Prince ;
 À la faveur du temps trop doux,
Québec renonce à sa province.

La dent d'un monstre alors y grince
 Dans le silence boréal ;
    Par une marge pas peu mince,
     Un peuple mort s'en dit féal.

146
     Du haut des tours de Montréal
    Se précipite l'avalanche
 Des suicidés de floréal
Sur les docteurs qui font la manche.

Le joueur d'orgue sous la branche
 N'accepte plus de dons qu'en mark ;
    Les promeneuses du dimanche,
     Au pas, défilent devant l'arc.

147
     Le lion ailé dit de Saint-Marc
    Décampe de son acrotère,
 Descend la rampe jusqu'au parc,
Et croque son propriétaire.

Les disques tournent sur la terre,
 Dans leurs sillons les grands vaisseaux.
    Quand on voudrait les faire taire,
     La terre fait des soubresauts.

148
     La peur fait fuir les jouvenceaux
    Du Nouvel-Âge qu'ils augurent ;
 Les rêves tombent en morceaux
Au moindre obstacle qu'ils procurent.

Les chefs du peuple qui le furent
 Font interner leurs vieux serments.
    Mais le Grand soir auquel ils crurent
     Se passe de tous boniments.

149
     Ils donnent tous les monuments
    De l'Acropole à la curée,
 Le Verseau et ses mouvements
Font la place à l'aube dorée.

Quand se dissipe la purée,
 Sortent des flots étincelants
    Les Grands Pirates du Pirée
     Dont le pouvoir a six mille ans.

150
     La danse des engins volants
    Prouve la force de leur âge ;
 Les rois leur laissent leurs bilans,
Les prêtres vont leur rendre hommage,

Voyant des dieux à leur image
 Dans les gredins que je poursuis ;
    L'album a fait un beau dommage.
     On veut l'auteur, et je le suis.


      Cours de Tragédie

​151

     J'ai beau du plus profond du puits.
    Mettre l'eau vive en mélodie,
 Mes dons sont un à un réduits
Aux signes d'une maladie.

Mon premier cours de tragédie
 Télévisé en mon Québec,
    Le fleuve noir que j'étudie
     Faute d'avoir appris le grec.

152
     Je sortirai bien le pied sec
    Du val avant que ne l'arrose
 Ta trombe ne grondant qu'avec
Mes pleurs qu'exprès cet album cause.

Fais que ma ville un jour soit chose
 De leçon d'art et de géo.
    Enclenche donc après la pause
     La suite de mon vidéo :

153
     Herr Kissinger voix stéréo
    Fait une ultime entrée en scène :
 « Qualis artifex pereo! »
Se sachant homme il meurt de peine.

Arrive alors un capitaine
 Face au silence général :
    Il clame que sa bande est reine
     D'un grand domaine sidéral.

154
     Je dis à ce fier amiral
    Qu'il a tout d'un terrien adulte ;
 Le corps d'un seul gros animal
Forme la foule à cette insulte :

Dans quelque espoir de rendre un culte
 Aux dieux sortis des océans,
    On veut que je me catapulte
     Du haut d'un des buildings géants.

155
     Sous les crachats des bienséants
    Dont la télévision m'arrose,
 Je monte en chantant des péans
Prometteurs de l'aurore rose.

La masse critique ma pose
 De pitre qui joue au héros,
    Et veut ma tête qui explose
     En frappant le terrain zéro.

156
     À Sir Crowley manque un tarot,
    La table tournante se bloque ;
 Et le juke-box dans le bistro
Rend un dernier râle amerloque.

La bête énorme et ventriloque
 Pour mordre sort de la disco,
    Mais la lumière qu’elle croque
     S'en moque ainsi que d'un gecko.

157
     Tout tourne-disque sous l'écho
    D'un certain disque se détraque ;
 Tout mur ainsi qu'à Jéricho
Au son de sa trompette craque.

Tant que le monde trime ou vaque
 À quelque sordide intérêt,
    Reste couvert le ciel opaque
     Où les dieux règnent en secret.

158
     Vienne un héros tragique prêt
    À prendre un coup de leur tonnerre,
 L'éclair qui trop éclairerait
Les force à moins frapper la terre.

Le temps qu'il faut pour qu'on enterre
 Le beau spectacle de sa mort,
    Et qu'à nouveau misère et guerre
     Nous fassent taire à moindre effort.

159
     Notre pitance est dite à tort
    De la sueur cristallisée ;
 C'est le prix du rire en accord
Devant la chair martyrisée.

Seuls mes hauts cris sous la risée
 Hausseront l'offre de nos boss,
    Non la carrière proposée
     Contre ma voix comme un bout d'os.

160
     Le vin de l'Île de Samos
    Est bien le sang que nous dédie
 L'Île jumelle de Patmos
Où vont les êtres qu'on radie.

Mais du feu que te je mendie,
 Ô Marinette Le-Pied-Sec,
    Je te ferai un incendie
     Qui brille mieux qu'un soleil grec.


      Printemps Canadien

​161

     Fais-moi goûter ta sève au bec,
    Et mon ciel noir d'un coup s'éclaire!
 Gare que je me soûle avec
S'il ne s'agit que de trop plaire.

Les lauriers de l'ennui scolaire
 Que je cueillais adolescent,
    Mon amertume et ma colère
     De m'être cru intéressant.

162
     Le tableau noir si agaçant
    Parmi les jouets de mon tendre âge,
 Le bulletin me menaçant
Des affres de l'apprentissage ;

Le clair constat de ce message
 Après l'échec de soixante-huit,
    La peine de mon cœur trop sage
     Aux livres désormais réduit ;

163
     L'amour en friche qui produit
    La graine du génie en herbe,
 Le château-fort que j'ai construit
Dans le grand style de Malherbe ;

La fleur tardive de mon verbe,
 Promesse d'un emploi de roi,
    L'été avant ce temps acerbe
     Où l'instruction ne fait plus foi ;

164
     Mon cœur en graine et en émoi
    Contre le monde et son coup sale,
 Et ajoutant « bienfait! » pour moi
Et ma sagesse si vénale

Le « tiens! » que cherche la cigale,
 Contre lequel me fut promis
    Le « tu l'auras » de la morale
     Dont nous méprisent les fourmis.

165
     Les professeurs par moi vomis
    Du temps de ma paresse pure ;
 Le beau torchon que je remis
En classe de littérature :

Le sujet : « Faites la peinture
 D'un paysage de printemps! » ;
    Cet autre essai que je procure
     Même si c'est passé le temps :


166
     
« Les gens, les chiens sont haletants 
    Sous la moiteur qui les harcèle
 Mais sous les bois, sur les étangs,
Reste la neige qui ruisselle.

Il fait trop chaud ou il regèle
 Comme au gré d’un bouton tourné
    De vivre une saison nouvelle
     Au Canada n’est point donné.


167
      Trois fois la sève a entonné
     Un grand air de la Renaissance,
 Trois fois le vent s’est retourné
Et l'hiver a repris puissance.

Le peuple perd toute espérance,
 Mais qui de l’air connaît le fond
    Sait que trois fois ça recommence
     Et après pour de bon tout fond.


168
     Nul n'y croit plus quand le plafond
    Craque plus fort qu'en Barbarie :
 Des blancs frigos qui se défont
Vient une odeur de chair pourrie.

Tout n'est plus qu'une porcherie
 Noire de traces d'animaux
    Et de truands de la voirie
     Dont sortent au grand jour les maux.


169
     De la ville aux lointains hameaux
    Vont les rumeurs les plus infectes ;
 Les réfugiés sous les rameaux
​Sont dévorés par les insectes.

Les dégâts font aux architectes
 Perdre contrôle des maisons ;
    Les états pressent les collectes
     Des dus des trois autres saisons.


170
     Les digues aux quatre horizons
    Cèdent aux glaces en débâcle ;
 Il faut vider jusqu'aux prisons ;
Il n'est terrain que l’eau ne racle.

Par le ruisseau parle un oracle :
 Gare à l’espoir adolescent!
    Mais quelque soit l’affreux spectacle
     Il est le seul intéressant.
      Corneille

​171

     Pourquoi donc quand je vais passant
    Et que d'un rien je m'émerveille,
 Faut-il que de son oeil blessant
La ville entière me surveille?

Les faux problèmes que Corneille
 Mit dans la tête des héros
    Qu'en un lycée on ensommeille,
     Et puis qu'on nimbe de zéros.

172
     Faut-il jouer les tourtereaux
    Et finir en enfant prodigue?
 Ou bien se vendre à tous bourreaux
Contre le cœur qu'avait Rodrigue?

Faut-il aimer pour une figue?
 Ou bien assassiner en as
    Dans ce western de vile intrigue
     Tragique ainsi que l'est Dallas?

173
     Faut-il prétendre à la high-class
    Et sacrifier l'amour au crime?
 Ou tout honneur à qui, hélas,
Aime toujours d'amour de frime?

Faut-il courir droit vers l'abîme
 À la poursuite d'une peau?
    Ou bien la pendre d'une cime
     Pour qu'y triomphe son drapeau?

174
     Je ne mettrai en jeu ma peau
    Ni pour la peau ni la bravade :
 La vanité a un drapeau
Enfin pendu au mât du stade.

Faut-il laisser l'amour en rade
 Pour te quérir sur les sommets?
    Ou bien trahir un camarade
     Pour un amour que tu promets?

175
     Dans mes devoirs je m'alarmais
    Face à un choix si ridicule,
 Mais c'est exprès que je remets
Le blanc zéro de ton infule.

Ce qui croît quand l'amour recule,
 C'est le désir de viols à froid,
    Ô héros dont le coeur spécule,
     Et que tragique à tort l'on croit.

176
     Là où pour vaincre faim et froid
    On meurt d'ennui et de tristesse,
 Montre-moi le chemin étroit
Jusqu'à l'eau noire où chacun laisse

Et toute forme de promesse
 De vaincre avant d'avoir vécu,
    Et tout alliance enchanteresse
     Qu'offre au vainqueur plus d'un vaincu.

177
     Qui vainc avant d'avoir vécu
    Et eu la main d'une barbare,
 Qu'il se sache à coup sûr cocu
Sitôt en chute comme Icare.

Tombe le mur qui nous sépare,
 Et la victoire de l'amour!
    C'est l'amour même qui prépare
     La catastrophe du grand jour.

178
     Ah, que le soir du grand amour
    Ne fasse qu'un avec le terme
 Du plan que Rosa Luxembourg
Vit comme rose encore en germe!

Ah que ma graine éclate et ferme
 Le faux débat sans solution,
    Quand frémira mon épiderme
     Au feu de ta révolution!

179
     Dans le brouillard de pollution
    Qui se prétend pédagogique,
 Unir ton corps à ma mission
Promet le seul effet magique.

Voilà le seul vrai choix tragique :
 Nouer le plus impossible lien ;
    Dénouer n'est choix que stratégique
     Pour le héros dit cornélien.

180
     L'art du grand siècle ne fit rien
    De bien génial pour notre langue,
 Car seul un cri dinosaurien
Pouvait s'entendre sous sa gangue.

Rends le tragique à cette langue
 Dont le sommet a pour héros
    Un malfrat dont le coeur ne tangue
     Que par grand crainte des haros. 


      Racine

​181

     Rends le grand art au cœur trop gros
    Qui à bien étudier s'échine
 Et que derrière les barreaux
On admettra en médecine.

La peccadille que Racine
 Crut bon vêtir de hauts remords,
    Le dénouement que je machine
     Pour fracasser tous les records.

182
     Laisse crier mille sabords
    Dont n'eût jamais rêvé Thésée!
 Laisse venir jusqu'à tes bords
Mon écriture malaisée.

Ne laisse pas dans un musée
 Cette demande sans emploi
    Où je te dis que ma fusée
     Est prête à éclater en toi.

183
     Fais que le monde reste coi
    Quand cette lettre va paraître!
 Ne sous-estime pas ma foi
En notre étoile à faire naître!

Hélas peu veulent reconnaître
 Le bien-fondé de la douceur
    Du soir qui brille à la fenêtre
     Ouverte à toi ô âme-sœur.

184
     Rien ne pourra plus le censeur
    Ni la menace de la peste
 Quand ma missive au ton noceur
Me reviendra chanson de geste.

Fais orchestrer en manifeste
 Notre accord de résolution ;
    Unissons par un bel inceste
     L'amour et la révolution.

185
     Donne à mon vœu de relation
    Le but le plus inaccessible,
 À mon missile en érection
L'ordre du monde entier pour cible.

Du texte même de la Bible
 Rien ne pourra plus le verrou
    Quand mon rosâtre submersible
     Ressortira tout noir du trou.

186
     Mon mot peut-il lever l'écrou
    De la prison qui nous sépare,
 Et le rideau dont le froufrou
Parle du jeu qui se prépare?

Le ciel qui fit tomber Icare
 Me proposa son raccourci,
    Mais, puisque tu m'as crié gare,
     J'écris la lettre que voici :

187
     Car à quoi bon s'aimer ainsi
    Derrière le rideau opaque?
 Un grand amour n'est réussi
Que s'il fait face à une claque.

Non je n'ai pas un cœur qui craque
 Et par erreur mène aux arrêts :
    Pour que s'expose la matraque
     Cette passion s'écrit exprès.

188
     Mes numéros sont presque prêts :
    J'attends que tu nous déshabilles :
 J'ai tant et tant couru après
Une âme dans ce jeu de quilles.

L'auteur qui n'ouvre pas les grilles
 De la prison du vrai terrien
    S'accusera de peccadilles
     Dans un palais trop aérien.

189
     L'art du grand siècle ne fit rien
    De bien génial pour notre langue,
 Car seul le cri prolétarien
Plus tard en a brisé la gangue.

Rends le tragique à cette langue
 Dont le sommet ne donne à voir
    Que cette pièce où Phèdre tangue
     Et meurt au nom d'un faux devoir.

190
     Comment dans tout son plat ne voir
    Un concerto pour gargarisme
 Quand on prépare le Grand Soir
De la fin du somnambulisme.

Au clair du sombre cataclysme
 Montre le vide de ses torts.
    Seule sa foi au jansénisme
     Méritait bien ses longs remords.


      Confession

​191

     Entends les mots jugés trop forts
    Du cri qu'on veut que je réfrène
 Se transformer en mauvais sorts
Au fil des perles que j'égrène!

Les bords paisibles de Trézène
 Où Phèdre se donna la mort,
    Ma confession de schizophrène
     Qu'on y lira au bar du port.

192
     Fais lire au monde ce rapport
    Que je t'adresse ô Erzulie,
 C'est à une autre que d'abord
Je crus bon dire ma folie.

Ma plume était trop mal polie
 Pour dire plus que le début
    Du dessein grave qui me lie
     Plus que jamais au même but.

193
     Ton mauvais sort mit au rebut
    Mon exercice d'écriture ;
 Le monde, ayant un peu trop bu,
Prit le papier pour une ordure.

D'autres qui firent sa lecture
 Jugèrent mon cerveau détruit ;
    J'ai cru que même la nature
     Voulait en étouffer le bruit.

194
     Je fus plus triste qu'un long fruit
    Abandonné par la mévente
 Et qui se tourne vers la nuit
Pour que le cueille la tourmente.

J'eus le désir de l'imminente
 Caresse d'une autre âme-sœur
    Dont j'avais cru pourtant la pente
     Moins inclinée à ma douceur.

195
     Mais là dans toute sa noirceur
    J'allais lui dire ma pensée
 En comptant sur l'effet berceur
D'une écriture cadencée.

Jour après jour une brassée
 De deux ou trois quatrains d'espoir :
    Au bout de la marche forcée,
     Le ciel brûlait dans le Grand soir.

196
     J'écrivais dans un ghetto noir
    Quand à ce mot finit ma lettre.
 C'était le point de mon devoir :
Dix pages prêtes à remettre.

Même un Castro n'oserait mettre
 Une expression d'un tel aloi ;
    Qui donc au pied de cette lettre
     Accepterait l'offre d'emploi?

197
     À faire avec, selon la loi,
    Un juif pour compagnon de route.
 Quel ne fut pas mon grand émoi
Quand il survint pour mon écoute?

Par ma constante banqueroute
 J'excite tous ses désaccords.
    Mais de cette œuvre il n'a nul doute
     Qu'elle fracasse les records.

198
     Bien peu m'importent les grands torts
    De sa vie intellectuelle :
 Il a le plus beau des trésors
Pour m'épauler en ta ruelle.

Sa dynamite sexuelle
 Ferait sauter le monde entier,
    Et cette force est très cruelle
     Quand elle cherche son métier.

199
     Fais-moi entrer en ton mortier
    Et voler contre toute norme!
 Fais-moi nommer Grand émeutier
Du monde qui se désinforme.

Des fois qu'il taxerait d'énorme
 Mon amoureuse prétention,
    Dis-lui la due et bonne forme
     Dont j'en ai eu confirmation.

200
     J'ai dit le feu de ma passion
    Encore à Jeanne la Lorraine.
 Je lui fis cette confession
Dont elle dit « C'est pas la peine

D'écrire ainsi à perdre haleine
 À qui déjà chante en accord » :
    Ma confession de schizophrène
     Qui pour ton sud perdrait le nord.


      Brasilia

201

     Cette oeuvre qui valut rapport
    De conduite en état d'ivresse,
 Et que j'envoie à ton bon port
Dans ma bouteille de détresse.

Les grands desseins de ma jeunesse :
 Des plans pour d'autres Brasilia,
    Où je dessine une négresse
     En larmes sous les magnolias.

202
     La marguerite qui me lia
    De tel en tel plan de carrière,
 Ton doigt cruel qui l'exfolia
Toutes les fois sauf la dernière.

Ma foi qui brille à la lumière
 Parmi les souches tout autour
    Des plans que fit ma tête fière
     Mais qui dit oui à notre amour.

203
     Mes plans étaient ceux d'une tour
    Contre l'orage qui guerroie,
 Mais c'est de l'astre du grand jour
Que vient l'éclair qui la foudroie.

Vois-en la ruine qui poudroie
 Dans l'angle de mon vieux bureau!
    Vois-y comme un cheval de Troie
     Un dessin digne du tarot.

204
     Quand je le fis j'étais faraud,
    Fier de la note des adultes.
 Fais-la changer pour un zéro.
Le talent mûr ne vaut qu'insultes.

Image est-il chère aux occultes
 Ne nous faisant dormir debout?
    Je crois pourtant que tu exultes
     À ce présage de bon goût.

205
     J'ai laissé couler à l'égout
    La crème des jeunes années.
 J'ai vécu comme un marabout
Quand les amours étaient données.

À cette époque où les mieux nées
 Faisaient des trous dans leurs manteaux,
    Pour d'irréelles dulcinées
     Je dessinais de grands châteaux.

206
     Pour les motifs ornementaux
    J'usais mes yeux dans quelque archive.
 Je recopiais des chapiteaux
Que l'apocalypse enjolive.

Dans la chapelle à flèche ogive
 Viendrait ma mie en grand charroi
    Et je l'y retiendrais captive
     Comme une reine un puissant roi.

207
     Nous coucherions sous un beffroi
    Décoré d'ombres pétrifiées,
 Laides à mettre en grand effroi
La foule aux ailes atrophiées.

Mes amours vertes sacrifiées
 Ne l'étaient-elles sur l'autel
    Des cathédrales fortifiées
     Par la noirceur de mon pastel?

208
     Car quand l'église ou le castel
    Était construit sur mon épure,
 Il me fallait le peindre tel
Qu'ensuite en ruine on le figure.

Je défonçais la voûte obscure
 De mon chef d'œuvre sans pareil
    Pour y laisser comme un augure
     Couler la liane et le soleil.

209
     Qui donc avait chu de sommeil
    Dans ma superbe forteresse?
 À qui le bris de l'appareil
Pouvait seul rendre l'allégresse?

Dans le logis de la prêtresse
 De mon premier rêve d'amour
    Me fit pleurer une négresse
     À qui ne plaît que le grand jour.

210
     Ignoble avait été ma cour
    Mais quand ma foi serait correcte,
 Rendez-vous sur une autre tour
Dont je ne suis pas l'architecte.

Dans mon fourbi quand je détecte
 Un autre vieux cahier Gallia,
    Je crois voir l'œuvre d'un insecte :
     Des plans pour d'autres Brasilia.


      Le Corbusier

211

      Cette cité qui se rallia
     Sitôt construite au vent fasciste,
 Et qui exclut comme un paria
Quiconque en rêve en tant qu'artiste.

Mon long désir d'être urbaniste
 À l'égal de le Corbusier,
    Ce nom qui désormais m'attriste
     Et sonne creux dans mon gosier.

212
     Délivre-moi de ce casier
    Où j'ai voulu loger le monde,
 Mon plan n'est plus qu'un obusier
Pour démolir tout à la ronde!

Dans ma cellule très profonde
 Je cogne en vain contre le mur :
    Que veux-tu que je lui réponde?
     Mon nom y brille dans le dur.

213
     Le seul tableau dont je sois sûr
    Qu'il n'est pas de ma main de traître
 Est le petit carré d'azur
Que j'aperçois par la fenêtre.

J'ai cru la faire disparaître
 Pour satisfaire au goût du jour,
    Mais je me suis dit que peut-être
     Viendrait le goût d'un autre jour.

214
     En voulant peindre ton amour,
    J'ai cru entendre le message
 D'un rendez-vous sur une tour
De Manhattan un soir de rage.

J'ai mis et mis la même plage
 Du même disque à ressasser,
    Imaginant le beau dommage
     De mon record à tout casser.

215
     J'ai cherché à me dépasser
    Dans ton amour à perdre haleine,
 Mais je me suis fait ramasser
Par le premier courant de haine.

J'ai cru que cette cantilène
 Ferait pleurer comme un oignon :
    Plus je me suis donné de peine
     Plus j'ai ragé sous le guignon.

216
     Ta grosse pomme est un trognon
    Dont les pépins sont la promesse.
 Ma route est un Pont d'Avignon
Où reste à faire une kermesse.

Qu'est-ce qui passe ma détresse
 Au pied du mur d'un gratte-ciel
    Dont je traçai dans ma jeunesse
     Un plan semblable et démentiel?

217
     Comment du monde artificiel
    Avoir la grâce de me plaindre?
 J'ai programmé le logiciel
Du monstre que je n'ai su craindre.

Il me reste plus qu'à peindre
 La carte de mes sombres vœux,
    Car il n'est rien qui puisse éteindre
     Cette rivière aux mille feux,

218
     Cette prière aux mille aveux
    Qui, comme un long collier, s'étale
 Au nez des porcs rendus nerveux
À la lecture du scandale :

La jérémiade de Dédale
 Qui cherche à prendre son élan
    Du toit de la prison centrale
     Dont il a bien tracé le plan ;

219
     L'homme qui pour un chèque en blanc
    Fit le logis du Minotaure,
 Et qui en fait un lourd bilan
Dès que sa paye s'évapore ;

Le jeune prêtre qui adore
 L'idole du plus dur aloi,
    Les holocaustes qu'il déplore
     Dès qu'il n'a plus espoir d'emploi ;

220
     La peur qui clame après la loi
    Que trop d'orgueil avait enfreinte,
 Le cœur qui rêve de la foi
Que l'humour noir avait éteinte ;

La terre entière sous l'étreinte
 Des canons de Le Corbusier
    Et qui n'est plus qu'un Labyrinthe
     À canonner à l'obusier.


      Le Clapier

221

     Emmène-moi dans le bousier
    De ton pays qui me ressemble
 Illuminer comme un brasier
Le peuple entier que je rassemble.

La projection d'un grand ensemble
 Dont j'ai fait rêve sur papier.
    La rage au ventre dont je tremble
     À voir pousser le vrai clapier.

222
     De mon pays j'ai beau copier
    L'expression terne et banlieusarde,
 Chacun s'y prend pour un pompier
Au moindre feu que mon oeil darde.

Le haut savoir dont je me barde
 N'aura servi qu'à mieux bâtir
    Le citadelle qui me garde
     Et qui m'empêche de partir.

223
     Quand me prendra le premier tir
    Qui brisera la forteresse,
 Fais-moi la grâce d'aboutir
Dans le haut lieu de ta détresse.

Dans la forêt enchanteresse
 Au bois depuis tout récolté,
    Je veux entendre ta prêtresse
     Parler au peuple révolté :

224
     « Par le Bon Dieu qu'a exalté
    Ce porc offert en sacrifice,
 Le sol ne fut pas asphalté
Mais plutôt couvert d'immondice.

C'est non ainsi qu'un édifice
 Qu'il nous a fait luire son ciel,
    Mais tout comme un feu d'artifice
     Perpétuel et démentiel.

225
     Dans un accès caractériel
    Il nous fait voir sa juste rage,
 Quand dans son ciel artificiel
Le Blanc se prend pour un grand sage,

C'est ainsi qu'il a fait l'orage
 Qui nous rassemble en cette nuit.
    Son œil dur juge notre ouvrage
     Du haut du bel éclair qui luit.

226
     Il voit aussi ce qu'ont construit
    Les Blancs depuis leur haute cime. 
 L'autre Bon Dieu qui les instruit
Ne cesse d'exiger le crime!

Celui qui tonne en notre abîme
 Exige plutôt les bienfaits.
    Par son tambour et par sa rime
     Nous ferons fuir tous leurs préfets.

227
     Pour que finissent leurs méfaits,
    Pour que se dressent nos échines,
 Pour que nos actes soient parfaits,
Mettons en pièces leurs machines.

C'est non leurs lourdes médecines
 Qui fait leur art qui nous confond,
    Mais le produit de leurs rapines
     Que chez chacun de nous ils font.

228
     Pour que de leur enfer profond
    Soient libérés tous nos cœurs ivres,
 Par nos bons mots qu'ils contrefont,
Mettons le feu à tous leurs livres.

Quand nous saurons sonner les cuivres
 Avec les anges triomphants,
    Nous reprendrons enfin nos vivres
     À ceux qui semblent éléphants.

229
     Pour que nos malheureux enfants
    Ne crèvent plus dans leurs écoles,
 À même les coeurs que tu fends,
Mettons en larmes leurs idoles.

Par nos ambitions les plus folles
 À déblayer notre terrain,
    S'élèvera de nos rigoles
     Un temple plus dur que l'airain.»

230
     Je veux pouvoir dire au parrain
    De la mafia de l'édifice
 Que le haut cri de mon chagrin
Aura raison de son office.

Sur ce métier de haute lisse
 Qui semble bien à tort pompier,
    Je mets en vers un sacrifice
     Propre à détruire tout clapier.


      Marmelade

231

     À force de s'entre-copier
    Tous ces buildings en enfilade,
 S'avèrent être pour m'épier
La bête d'un seul jeu d'arcade.

Végétation d'un cœur malade
 Qui a poussé en vrai ciment
    Et qu'il faut moudre en marmelade
     Pour faire son médicament.

232
     Quand on érige en monument
    L'oeuvre du traître et du transfuge ;
 Et qu'on exclut comme inclément
Tout bel esprit resté bon juge ;

Quand l'art n'accorde plus refuge
 Qu'aux imposteurs et aux moqueurs,
    Je crois entendre ton déluge
     En concerto pour mes longs pleurs.

233
     Quand du triomphe des voleurs
    Plus nul ne geint ni se désole ;
 Et qu'en marchant sur toutes fleurs
Faute de mieux on se console ;

Quand dans sa tour chacun s'isole
 De la misère qui s'étend,
    D'y faire un tour en ta gondole
     Seul me rendra le cœur content.

234
     Quand chante le vieux dégoûtant
    Que l'état veut que l'on tolère,
 Et que sans trêve on se détend
De peur de montrer sa colère ;

Quand par grand crainte de déplaire
 Chacun défend son double jeu,
    De mon œil qui soudain s'éclaire
     Je sens partir un trait de feu.

235
     Quand on en veut au long cheveu
    De vouloir faire un incendie
 Et au bon mot du meilleur voeu
De répandre une maladie,

Quand c'est en vain qu'on se dédie
 À fleurir en mauvais terrain,
    Ton explosion que j'étudie
     Peut seule me garder serein.

236
     Enfreignons toute loi d'airain
    Dont se resserrent trop les serres :
 Parfois le chant d'un doux refrain
Exige de terribles guerres.

Pour avoir pris trop de tes verres,
 Me voilà mis sur un gros pieu
    Dans l'ordre des Paratonnerres
     De la Colère du Bon Dieu.

237
     Lorsque j'aurai repris du mieux
    Au bout de ma si grande angoisse,
 Emmène-moi dans ton haut lieu
Où l'amour pousse dans la poisse.

Fais que m'admette en sa paroisse
 Ta douce religion de nuit
    Pour que depuis ton sol je croisse
     Et donne au monde un bon produit.

238
     Au son de l'ouragan qui luit
    Fais-moi chanter cette ballade
 En entendant laquelle fuit
Tout architecte au cœur malade.

Si le faubourg de Marmelade
 Reprend du mieux en son scorbut,
    C'est qu'il ne vise plus pour grade
     Que l'émerveillement sans but.

239
     Quand dans la fange et le rebut
    L'émeute gronde et appareille,
 Telle terreur n'est qu'un début
À ta sagesse sans pareille.

J'entends rugir dans mon oreille
 Tes bonnes gens au coeur criblé,
    La Bête qui tant les surveille
     N'a pas du tout en vain tremblé.

240
     À leur beau rire tant troublé
    Par tous ses ordres de produire,
 Conduis le peuple rassemblé
Au pneu ardent qui va la cuire.

Quand de ta rage de détruire
 Le bâtisseur devient l'amant,
    En pierres dont ton cou va luire
     Il te compose un monument!


      Soixante-Huit

​241

     Du choeur des râles du tourment
    Du monde auquel mon cœur résonne,
 Monte au ciel ton commandement
Pour que la belle saison tonne!

La peau des jeunes que bourgeonne
 La chaude haleine de la nuit.
    Les drapeaux noirs de la Sorbonne
     Au mois de mai de soixante-huit.

242
     Les défilés faisaient un bruit
    À renverser toute la France.
 Mon rêve allait être détruit,
Non du Grand Soir mon espérance.

Chiffre pour moi de bonne chance,
 C'était ma fête de treize ans.
    Aucune depuis lors je pense
     Ne m'a valu plus beaux présents.

243
     Quand au noyau de partisans
    Se joignit plus d'une fabrique,
 Les journalistes méprisants
Parlèrent d'illusion lyrique.

Mais dès qu'on sut qu'en Amérique
 Les lycéens hurlaient aussi,
    La banlieue ouest fut hystérique,
     La grève alla jusqu'à Passy.

244
     Sur les réclames Chambourcy
    Le Rouge avait pris la parole.
 Paris sentait bon le roussi.
Chacun marchait sous banderole.

Daniel avait au Pont d'Arcole
 Sa grande armée en délavés.
    On fit danser la Carmagnole
     Même aux plus gris postes privés.

245
     Des barricades de pavés
    Se construisaient en farandole.
 Même les pions s'étaient sauvés
Quand il fallut fermer l'école.

Sur le trottoir de l'herbe folle
 Entourait les taxis stoppés :
    Il ne coulait plus de pétrole,
     Les réservoirs étaient coupés.

246
     Les filles des quartiers huppés
    Parlaient de destruction sauvage
 Aux prolétaires occupés
À mettre en lois le Nouvel-Âge.

C'est quand sous les pavés la plage
 S'effeuille comme une houri
    Que l'esprit perce et se dégage
     Du piège de l'amphigouri.

247
     Est-il époque où n'ait souri
    Comme une ivresse de genièvre
 L'espoir que l'ordre ancien pourri
Mourra par un grand soir de fièvre?

Comme l'élan trop court d'un lièvre
 Fut la chaleur du mois de mai,
    Mais comme un arbre par un bièvre
     Mon cœur était bien entamé.

248
     Si soudain qu'il s'est allumé,
    L'écran d'azur redevient tôle ;
 Le dessin trop bien animé
Rend l'onde au président de Gaulle.

La police a repris contrôle
 Du donjon de l'ORTF ;
    Chacun apprend à tour de rôle
     La fin de l'intermède bref.

249
     Tel chef accuse un autre chef
    De la combine la plus crasse ;
 L'argent reprend l'aéronef,
Chacun reprend d'instinct sa place.

Devant l'arc un million se masse,
 Claironné le rassemblement ;
    Un train de camions-pompes passe
     Avec l'essence en tremblement.

250
     Le matin en remerciement
    Les klaxons viennent faire halte ;
 Sur l'herbe coule le ciment.
Sur les pavés s'étend l'asphalte.

C'est quand sur les pavés l'asphalte
 Fait du matin une autre nuit
    Que l'esprit qui chauffe et s'exalte,
     Cherche la Bête qui conduit.


      Les Anglais

251

     Ne m'abandonne plus au bruit
    Du grand ballet contestataire,
 Quiconque y va marcher construit
Toujours pire ordre planétaire.

Le surf sur vague de colère
 Du bateau ivre où je cinglais,
    Mon mal de m'être laissé faire
     Mousse au service des Anglais.

252
     Quand dans ma tête je jonglais,
    Ivre de plans d'un autre monde,
 C'était mon cœur que je réglais
Sans le savoir sur une autre onde.

Si la foule a dansé la fronde,
 C'était au bruit subliminal
    De cette même source immonde
     Qui la tient coite en temps normal.

253
     La transe du corps animal
    Ferait croire à la Pentecôte
 Quand il fait beau sur le canal
Que tient en mains la chambre haute.

Et qui sait même si la faute
 Au ciel un mois durant clément
    N'échoit à quelque aéronaute
     Manœuvrant nul ne sait comment?

254
     Il n'est de grand chambardement
    Qu'aux ordres des bureaux de Londres
 À qui de Gaulle à ce moment
Avait des comptes dont répondre

Quand on se fait fort de refondre
 L'ordre du monde financier,
    On voit son propre pays fondre
     Et il faut bien se licencier.

255
     Tout trop fort coup de balancier
    Se paye de son équilibre ;
 Quand on est simple vacancier,
Pourquoi hurler au Québec libre?

Toute la foi d'un culte vibre
 Au cri de cette nuit d'été,
    Mais tel n'est pas le gros calibre
     Du coup de gueule ainsi porté.

256
     On ne l'avait pas invité
    En un discret lieu de campagne
 Où se fit l'offre d'un traité
Laissant la France à l'Allemagne.

Pour faire de la France un bagne
 Conférence eut lieu à Québec ;
    Après un quart de siècle en gagne,
     De Gaulle eut l'heur d'un bon mot sec.

257
     La vérité met en échec
    Le peuple en liesse qu'on figure
 Quand on veut voir le mot Québec
Au fil d'une oeuvre d'envergure.

Je ne fais pas de sinécure
 Pour les marchands de songes creux.
    La marque de l'espoir qui dure
     Est le gros caractère hébreux.

258
     Les meilleurs vœux des amoureux
    Qui n'ont pour fleur que la pensée
 Sont faits aux ordres ténébreux
Dont leur cervelle est agencée.

La danse la mieux cadencée,
 À la manière d'un compas,
    Pointe à l'envers de la lancée
     Du peuple qui ne marche pas.

259
     Le vrai Québec n'est surtout pas
    Le peuple que son nom excite,
 Mais l'autre qui veut le trépas
De tout poète qui l'habite.

Soixante-huit fut la réussite
 Des magiciens du grand matin,
    Et non l'échec du néophyte
     Manifestant dans le satin.

260
     L'ivresse du Quartier Latin
    À Montréal comme à Paname
 M'a pris ainsi qu'une catin
Avec pourtant du feu dans l'âme.

J'ai mis ainsi ta lente flamme
 À ma radio que je réglais
    Sur le concert de la réclame
     Que sous-diffusent les Anglais.


      La Mansarde

261

     Rappelle-toi quand je beuglais
    Au fil des mots que je hasarde
 Les chansons dont je m'étranglais
Pour mieux contrer la nuit blafarde.

Ce pays où l'arrière-garde
 Du monde entier s'en vient pourrir,
    Hubert Aquin dans sa mansarde
     Cherchant des causes pour mourir.

262
     Beaucoup à force de courir
    En vain choisissent le suicide :
 Il n'est ici pour me nourrir
Qu'un grand esprit qui fait le vide.

Le vrai Québec n'est ni stupide
 Ni limité au goût léger :
    Il cache en fait un oeil perfide
     Aux coeurs qu'il met en grand danger.

263
     Ne me permets plus d'exiger
    L'oreille sourde qu'il refuse ;
 Apprends-moi bien à m'ériger
Dans le mal même qu'il accuse.

Pour m'extirper de sa méduse
 Je ne veux plus fuir à Paris :
    Je veux te louanger, ma muse,
     Chez toi parmi tes beaux débris.

264
     Pour se déprendre du mépris
    À rien ne sert d'envier la crème :
 Il est plus digne d'être épris
D'un lieu encor plus anathème.

Mon pays ce n'est pas un poème
 Composé dans un champ de bleuet,
    Mais une bête qui blasphème
     Laissant tout un chacun muet.

265
     Qui autrefois s'évertuait
    À fredonner un air de danse,
 Chacun voyait qu'il se tuait
Sans pouvoir dire sa souffrance.

Tu m'as sauvé de l'humeur rance
 Qui eut raison de Nelligan :
    Fais que le feu de notre transe
     Appelle ici un ouragan.

266
     Il est pour faire l'arrogant
    Un bout de phrase sibylline
 Dont les modernes vont blaguant
Dans le confort de leur cuisine.

À voir frapper la médecine
 Sur tout regard un peu trop fort,
    J'en viens à croire que la mine
     Qui la pleura n'avait point tort.

267
     Des trois grands vents frappant du Nord
    L'ère moderne par surprise,
 Deux ont déjà semé la mort,
L'autre ne semble encore que brise.

La bête en germe est encore prise
 Dans la coquille du français,
    Mais, qu'elle change de chemise,
     Commenceront ses grands succès.

268
     Je me souviens des longs procès
    De l'immigrant et du touriste :
 La liberté que je dansais
Était pour eux un chant fasciste.

Si nous fêtons Saint Jean Baptiste
 Ce n'est pas pour un doux garçon,
    C'est pour l'avent d'un antéchrist...
     Qu'en ce jour fête un franc-maçon.

269
     Toi l'immigrant qui sans façon
    En veux à nos chanteurs de bière,
 Entends leur joual à l'unisson
De l'Allemand de la Bavière.

Oui ta raison peut être fière
 Des perles que tu nous contas.
    Tu as voulu à part entière
     Le mal que tu nous imputas.

270
     Quand pour l'anglais que tu chantas
    Sera maudite sa parlure,
 Le plus terrible des états
Sera sorti de sa pelure.

Sitôt détruite la parure
 Du rêve que tu fis mourir,
    L'horreur prendra dans sa voiture
     Ton cœur venu ici pourrir.


      Les Nez Peu Faits

271

     Toi qui pour croître et te nourrir
    Fais le grand voeu que tout avorte,
 Gare de bien plutôt courir
Un grand danger pour ton aorte.

Les camemberts que l'on importe
 Pour exposer sur les buffets
    Et en tuer la fleur trop forte
     Pour épargner les nez peu faits.

272
     Pourquoi les vœux les plus parfaits
    Que l'on prononce pour la vie
 Sont-ils ici toujours défaits
Par les richesses de l'envie?

Où va ma barque qui dévie
 Vu que l'on tord tous nos compas?
    À quelle guerre l'on convie
     Les acheteurs de nos appas?

273
     Pourquoi ces vins et ces repas
    À nos grands frais venus de France?
 Pourquoi toujours tous ces faux pas
Pour différer la délivrance?

Pourquoi ces primes d'assurance
 Contre tout vent de liberté?
    Pourquoi ce monde qui la pense
     Un quelconque article importé?

274
     Pourquoi ce bien trop court été
    Que l'on chanta le temps d'un songe
 Avant de le voir arrêté
Par ce gros frein qu'en vain l'on ronge?

Pourquoi ce peuple qui s'allonge
 Face au plus vil gangster défiant
    Et que le ton d'un gros mensonge
     Rend à nouveau sitôt confiant?

275
     Sous son discours de déficient
    Qu'il impute à sa vieille Église,
 Il cache son mauvais escient
Pour mieux nous prendre par surprise.

C'est la mort qui se gargarise
 D'un art de vivre supérieur.
    Le monstre qui nous paralyse
     Lui est en fait bien intérieur.

276
     Dès qu'un regard un peu gouailleur
    Veut y tenter une amourette,
 Un grand silence mitrailleur
Le fait sitôt battre en retraite.

C'est une dame qui regrette
 D'être la fleur dont je jonglais.
    C'est bien la vieille foi secrète
     D'un jour ne plus parler qu'anglais.

277
     Mais quand je chante les couplets
    Dont meurt plus d'une triste histoire,
 N'est-ce pas là que tu te plais
À la reprendre sous ta gloire?

On craint ici le beau déboire
 Des gens qui prirent ton maquis
    Sans avoir rien de méritoire
     D'un mauvais sort aussi exquis.

278
     Nous voilà tant pris pour acquis
    Par ce dollar qui nous menace,
 Que je veux bien nous voir conquis
Par ceux qu'on dit ta populace.

Pour que l'amour reprenne place
 En ce haut lieu de la noirceur,
    Permets que ton trou noir l'embrasse
     En tant que république-sœur.

279
     En voulant plaire à tout censeur,
    Chacun se fait toujours plus bête ;
 Quand tombe en panne l'ascenseur,
Nul ne sait plus faire la fête.

Quand c'est ainsi que l'ordre apprête
 Partout le plus cruel destin,
    Seul ton très dur chemin de quête
     Ramène au tout premier matin.

280
     À se croire au quartier latin,
    On est traité en schizophrène ;
 C'est dans la langue du lutin
Qu'on trouve enfin la voix sereine.

Ne permets plus que me parraine
 La France indigne des préfets ;
    Mène-moi là où l'on s'entraîne
     À mieux puer aux nez peu faits.


      Notre Sommeil

281

     Mène-moi là où mes effets
    Ont été mis à ta poubelle,
 Là où des grands espoirs défaits
La pourriture s'amoncelle.

Les camarades qu'on appelle
 Des pays rouges de soleil,
    Leur sang de vin qui se congèle
     Sitôt goûté notre sommeil.

282
     Leur vote contre le réveil
    D'un peuple que l'on dit fasciste
 Et qu'ils découvriront pareil
À leur mensonge qui insiste

Le véritable Jean Baptiste
 Ne bêla point avec les loups :
    Il n'avait rien du genre artiste
     Louvoyant dans les termes flous.

283
     Qu'on ait l'accent des gabelous
    Ou le parler pointu de France,
 Il plaît toujours jusqu'aux Zoulous
De dénigrer notre espérance.

Quand on appelle intolérance
 Le moindre cri de liberté,
    On croit police d'assurance
     Le plan de guerre concerté.

284
     Quand l'hôpital est alerté
    Par toute tête un peu profonde,
 Il est fatal que la fierté
Par l'autre bout un soir débonde.

Quand on a peur de mettre en onde
 Le moindre cœur un peu trop gros,
    Plus nul n'a peur le soir qu'y gronde
     Le monstre qui fait voir ses crocs.

285
     Quand on bénit dans les bureaux
    La mosaïque canadienne,
 On en sait gris tous les carreaux
Bien qu'un enduit à part les tienne.

Mais qu'enfin la lumière vienne
 Qui fasse fondre le mastic,
    La tolérance qui est sienne
     Tolérera un seul public.

286
     D'un ciel plus sombre qu'à Munich
    Au soir de la seconde guerre
 Tombera le couvercle à pic
Sur Montréal et sur la terre.

De chaque groupe qui s'enserre
 Dans le mépris de l'autre en rond,
    Se formera un seul parterre
     Contre les fleurs qui s'ouvriront.

287
     Les Canadiens errants verront
    La véritable raison d'être
 De leur pays dont ils n'auront
Vu jusque là que le paraître.

C'est de jeter par la fenêtre
 Le plus petit bout de chanson,
    C'est de se faire le grand-prêtre
     D'un Occident à sa façon.

288
     C'est de lui faire la leçon
    D'une fureur plus que nazie
 Pour le lancer à la moisson
Des têtes et des blés d'Asie.

La haine de la poésie
 L'ayant bien mise sur la map,
    Cette nation sera saisie
     De trop d'orgueil pour virer cap.

289
     Même le chœur des enfants Trapp
    Sera passible d'incendie,
 Mais des grand cadres de l'ENAP
Ne viendra pas la maladie.

La chambre basse abasourdie
 Aura beau hurler hue et dia,
    La titanesque tragédie
     Ne proviendra que des média.

290
     Le droit des chartes leur dédia
    Tant de puissance pour nous taire
 Qu'eux seuls sont un presque immédiat
Gouvernement totalitaire.

Il télévise pour nous plaire
 Tant de gallons de sang vermeil
    Qu'il aura la conscience claire
     D'en déverser au grand soleil


      Le Ménestrel

​291

     Au premier chant de mon réveil,
    La nuit semblait sacerdotale,
 Mais des gardiens du vrai sommeil
La nudité est plus totale.

Le bar de ma cité natale
 Qui a vu poindre Jacques Brel,
    Pour notre brume plus étale
     Un plus terrible ménestrel.

292
     Sur mon Québec régnait un tel
    Clergé sans grâce ni charisme
 Que seul le feu de l'Éternel
Semblait répondre au gargarisme.

L'archevêché passait au prisme
 La crème du moindre café
    En quête de quelque humanisme
     Dont faire un bel autodafé.

293
     Frais débarqué Brel fut griffé
    Par de plus noirs busards qu'en Flandre,
 Et là s'est sans doute étoffé
Le lourd vomi qu'il allait rendre,

Et qu'au monde il ferait entendre
 Depuis les disques de Paris
    Dans quelque espoir de pouvoir tendre
     La main à tant d'esprits meurtris.

294
     Le Québécois était mépris
    Pour un fasciste abominable ;
 Bien peu avaient plutôt compris
Que son psychisme est programmable.

Les peintres du sirop d'érable
 Jamais n'obtinrent de brassard,
    Mais le faussaire indiscernable
     Sera toujours Réal Lessard.

295
     Tout dégelé quoique en retard
    À la Saint-Jean de l'an soixante,
 Mon peuple fit le grand fêtard ;
La vérité est différente :

Quand une foi si triomphante
 Perd en trois ans deux voix sur trois,
    On n'a pu croire qu'en la rente
     Du signe et du chemin de croix.

296
     On soupira quand les grand froids
    Firent la place à la débauche ;
 Plutôt que de justes effrois,
On crut sentir un vent de gauche.

Quand en trois ans la mode fauche
 Ce qu'il tenait pour seule loi,
    On a un peuple qu'on embauche
     Pour à peu près n'importe quoi.

297
     Quand il reprend goût à la foi,
    C'est n'importe où que va sa quête
 D'un grand gourou, ou d'un grand roi,
Pour venir présider sa fête.

À rien au monde il ne tiendra tête :
 Si tant est qu'il ait un mandat,
    C'est d'engendrer un soir la Bête
     Qu'attend le pauvre Canada.

298
     Pour devenir son bon soldat,
    Il va soudain changer d'idiome
 Comme une marque de soda
Qui n'eut jamais qu'un faux arôme.

Ce n'est pas pour chanter un psaume
 Ni non plus pour jouer du blue-grass, 
    Il veut la langue monochrome
     D’appartenance à la high-class.

299
     Ne poussons pas trop de hélas,
    La nôtre gagnera en force
 Quand les assis face à Dallas
N'en feront plus leur code Morse.

La foi est-elle plus retorse,
 Et le curé moins amical
    Depuis la perte du divorce
     Par le régime clérical?

300
     Si vous vous faites un régal
    De pourchasser le solécisme,
 Demandez-vous si fut égal
Votre grand-père au catéchisme.

L'alcool de votre gargarisme
 Manquerait-il d'un grain de sel?
    Gare qu'un pire terrorisme
     Vous fasse alors son ménestrel!


      Souvenance

301

     L'enfant joufflu aux tons pastel
    Sur la planche où mon œil se rince
 Au fil des mots d'un livre tel
Que pour toujours le cœur m'en pince.

Notre voisin le Petit Prince
 Qu'a croqué Saint-Exupéry
    Faisant escale en ma province
     Dans le zinc où il a péri.

302
     Malheur à qui a trop chéri
    Les plaisirs et les jours de France ;
 La seule cour qui m'ait guéri,
A pour beau nom ta souvenance.

Pour échapper à l'humeur rance
 Mise en chansons par les Anglais
    J'ai pu goûter ta douce transe
     Au pas fringuant de tes ballets.

303
     J'avais fait rêve d'un palais
    Quelque part dans le Val-de-Loire.
 Je ne veux plus pour mes couplets
Que ton haut fort de l'Île Noire.

Le vieux pays de ma mémoire
 Ne voulant plus de son renom,
    C'est le haut lieu de ton déboire
     Qui m'offre à boire ton canon.

304
     Sur les hauteurs du bourg sans nom
    Où tu m'indiques le passage,
 Ton autre ruine de Chinon
Parle d'entendre mon message.

Quand de ton peuple bien peu sage
 J'aurai su être un bon bizuth,
    Emmène-moi voir ton roi mage
     Tout au bout de mon azimut.

305
     Convainc son grand joueur de luth
    De m'aider à lancer sur disque
 Jusqu'ici même ce doux zut
Aux ennemis de mon beau risque.

Je pleure comme une odalisque
 Dans la touffeur de son harem ;
    Je rêve comme un obélisque
     Qu'une autre foi m'eût pour totem.

306
     Ne laisse plus Jérusalem
    Vendre la France au rêve mièvre ;
 Fais-lui d'un tout autre Harlem
Désirer ta toute autre fièvre.

Comme l'élan trop court d'un lièvre
 Fut son slogan d'un mois de mai ;
    Comme le croc patient d'un bièvre
     Est ma chanson du mal-aimé.

307
     Pardonne au cœur trop gros semé
    Sous l'épaisseur de nos banquises
 De faire voir sitôt germé
Le plus lubrique des stripteases.

C'est vers la France aux sept Églises
 Que l'orignal fuit les abois,
    Et la première des Églises
     A publié l'Esprit des Lois.

308
     Paris, comme au temps des Valois,
    N'est pas la France que j'implore.
 Quand se font rares ses emplois
C'est pour les Boches qu'il pérore.

C'est l'Angleterre qu'il décore
 Au fil des guerres de cent ans ;
    Pour y manifester, j'adore!
     Y vivre c'est perdre son temps.

309
     À ton tout autre vrai printemps,
    C'est dans ton autre Val de Loire
 Que j'irai voir les résistants
Qui croissent sous ta dure gloire.

Le rhum y garde la mémoire
 D'un sang qui coule encore frais ;
    Le Canada ne donne à boire
     Que des Médocs aux cœurs trop vrais.

310
     Merci d'avoir quand je souffrais
    Dans la noirceur de ma province,
 Laissé l'enfant dont les doux traits
Éclairent tant de papier mince.

Pour qu'à jamais je me souvinsse
 Du don de ceux qui ont péri,
    Naquit chez nous le Petit Prince
     Croqué par Saint-Exupéry.


      L'Aile Psychiatrique

311

     Il n'est cerveau vraiment guéri
    Qu'à même le choc électrique
 Auquel s'éclaire un coeur chéri
Par les mystères de l'Afrique.

L'aigle dont l'aile est psychiatrique,
 Palais du prince de Koninck,
    L'autre supplice symétrique
     Qui se consomme sur le zinc.

312
     Le Petit Prince âgé de cinq
    Dansait comme une libellule ;
 Celui qui a cinquante-cinq
Fait les cent pas dans sa cellule.

Il a en tête la pilule
 Pour la tarir de l'intérieur ;
    Mais sur la mienne un torchon brûle
     Pour la guérir de l'extérieur.

313
     Serait-ce un air trop supérieur
    Qui met son homme en psychiatrie?
 Non, c'est tout œil non mitrailleur
Qui fait qu'ici la bête crie.

Vois-là qui crie à la folie
 Dès qu'un enfant ne trouve obscur
    Le sens d'une expression polie
     Par la comtesse de Ségur.

314
     Mon mot serait un peu trop dur
    Pour ce pays où on me fiance ;
 C'est bien hélas l'amour trop pur
Qui seul excite sa méfiance.

L'amour est bien cette déviance
 Contre laquelle il a uni
    En une vaste Sainte-Alliance
     Le reste qu'il n'a pas puni.

315
     Celui qui s'y croit prémuni
    De lois qui font qu'on le tolère
 Ne se sait pas bientôt bruni
Par l'effort vain de sa colère.

Quelque visage fait pour plaire
 En tant que fleur de son massif,
    En vous toujours son museau flaire
     On ne sait quoi de subversif.

316
     Sous son comportement passif
    De bête au dos mangé de laine,
 Il attend l'ordre décisif
De mordre avec le chien qui mène.

Quand soudain sort son cri de haine
 Des muselières de Vigneault,
    J'entends un loup qui se dégaine
     Sous les deux cornes d'un agneau.

317
     Qu'est-ce qu'indiquent les signaux
    Dont nous lacèrent les alarmes
 Quand le pays des orignaux
N'est plus qu'un antre de gendarmes?

On craint le branle-bas des armes
 Dans la taverne aux volets clos.
    J'entends plutôt couler tes larmes
     Sur le plus vieux de nos tableaux.

318
     « Je suis un chien qui ronge l'os.
    En le rongeant je prends mon repos.
 Un jour viendra, qui n'est pas venu,
Où je mordrai qui m'aura mordu.»

Pourquoi ont-ils donc confondu
 Le poil de ces deux animaux?
    Je crois plutôt qu'ils ont tordu
     Le sens de tous nos traîtres mots.

319
     Il n'est pour fuir nos trop normaux
    Que des coups d'aile psychiatrique,
 Ou de ces assommoirs jumeaux
Dont le supplice est symétrique.

Comme la bière d'Amérique
 Rend le buveur toujours grognon,
    Mène-moi boire dans ta crique
     Où l'amour brave le guignon.

320
     Ma ville n'est plus qu'un trognon
    Dont l'autoroute s'embouteille.
 Ton île est un pont d'Avignon
Dont la chanson me tient en veille.

Quand à l'étiage de l'oseille
 J'irai là paître sur ton zinc,
    Fais que résonne en mon oreille
     Le vénérable oracle « Trinch ».


      Le Prophète

321

     À trop entendre cinq sur cinq
    Les faussetés qu'on lui répète,
 Bien avant l'âge de vingt-cinq,
La tête bien trop pleine pète.

Notre seul plus ou moins poète,
 Le schizophrène Nelligan,
    Cette œuvre digne d'un prophète
     Pour le venger d'un ouragan.

322
     On trouvera bien arrogant
    Le titre sur lequel j'insiste ;
 En est-il d'autre au fatigant
Que l'on refuse en tant qu'artiste?

Le véritable Jean Baptiste
 Ne bêla point pour sa Doudou,
    Sa douche froide pour cœur triste
     Était un rituel vaudou.

323
     Le temps semblant filer trop doux,
    Trois mauvais sorts ont fait église :
 Deux ont fini chez les Hindous,
L'autre a pour nom notre bêtise.

Quelle madame la marquise
 Vit au printemps du cinéma
    Sortir de la boîte à surprise
     La grande saute du climat?

324
     Quel bel esprit qu'on estima
    Devina qui était Lénine,
 Et que les camps de Kolyma
Poussaient déjà sous Potemkine?

Qui vit venir la figurine
 Encore au rang de sous-soldat
    Que l'Allemagne un soir chagrine
     Implorerait contre Juda?

325
     Hormis les prêtres de Ouiddah,
    Qui peut bien voir la zizanie
 Monter du pauvre Canada
Jusqu'à l'ultime tyrannie?

Qui voit qu'à cette épiphanie
 Est notre peur du lendemain
    Ce que fut à la Germanie
     Sa prétention au surhumain?

326
     C'est une absence de chemin
    Cachant un monstre qui s'ébauche.
 La droite va passer la main
Comme l'extrême de la gauche.

C'est ni de droite ni de gauche
 Qu'ici se lève un autre dieu,
    Le roi de la troisième fauche
     Sera un homme du milieu.

327
     Mon pays c'est en fait un pieu
    Où comme fou à lier on cloue
 Quiconque met du feu de Dieu
Dans quelque ouvrage où on le voue.

Je ne veux plus que m'amadoue
 Ce peuple dont la vocation
    Est de traîner dans la gadoue
     Qui aime avec trop de passion.

328
     Accordons-lui en punition
    Notre amour même qui l'irrite,
 Non pas un cœur en perdition
Sous la colère qui l'excite.

Chantons son grand air qui mérite
 À son auteur le grand concert
    Dont le grand chef d'orchestre invite
     À crier dans un vrai désert.

329
     Quand le criquet a trop souffert
    Dans la savane sans verdure,
 Son épiderme tendre et vert
Devient cuirasse noire et dure.

Sa trille de bonne aventure
 Sous les acides assassins
    Devient un fifre qui augure
     La guerre des super-essaims.

330
     Ce sont les rêves dits malsains
    Rien que pour être d'un poète
 Qui tournent aux plus noirs desseins :
C'est ainsi qu'on devient prophète.

C'est bien la tête que l'on pète
 Pour avoir l'air trop intrigant
    Qui finit par être bien faite
     Au titre le plus arrogant.


      L'Argument

331

     Pour peu que d'un bon pas fringant
    Sur la grand route je m'échine,
 Ainsi que le plus vil brigand
Je suis stoppé par la machine.

Le mauvais sang que je m'obstine
 À recracher sur l'argument
    Tranquillisant qu'on me cuisine
     Pour ma santé supposément.

332
     Quand de la droite au parlement
    Le règne vient enfin à terme,
 N'est-ce pas là précisément
Que trop souvent l'œil se referme?

N'est-ce pas là que l'on enferme
 Qui continue à trop penser,
    Et qu'on ne voit que l'épiderme
     Que l'amertume fait plisser?

333
     Quand il ne peut rien se passer
    Vu que le peuple est sans histoire,
 N'est-ce pas qu'on va laisser
Passer l'horreur trop dure à croire?

N'est-ce pas là que toujours foire
 Le cri de l'homme démoli
    À qui chacun redonne à boire
     Quelques pilules pour l'oubli?

334
     Quand les déboires du Chili
    Passent pour ceux d'une autre terre,
 Comment se dire enseveli
Par une plus secrète guerre?

Comment se plaindre de la serre
 Où l'on sent poindre l'infection
    Quand tout le reste de la terre
     Est dans la dèche et l'abjection?

335
     J'ai beau user de réflexion,
    Me dire que partout c'est pire,
 C'est comme un four à convection
Qui couve ici l'œuf d'un empire.

C'est une force qui attire
 Les sans dessein du monde entier ;
    Le patriote a beau maudire,
     Les siens n'ont rien à leur envier.

336
     Si quelqu'un rêve d'un levier
    Pour devenir tyran du monde,
 C'est juste ici qu'est le vivier
Où son armée en germe gronde.

Elle n'espère point la fronde
 Qui la libérerait un jour,
    Elle n'attend que la seconde
     De l'ordre de mordre à son tour.

337
     Trop ont cru bon parler d'amour
    À des cadavres à programme :
 C'est la cadence du tambour
Qui les fera mettre à la rame.

« À mort l'amour! » est le « sésame! »
 Qui ouvrira leur pariétal :
    De ce pays sans aucune âme
     Mourra le monde occidental.

338
     C'est bien le peuple de métal
    Qu'il faut pour unifier le monde.
 Ô ma noirceur, tu sais quel bal
Attire seul tous à la ronde,

Ô toi la star du show qui gronde
 Et seul sait plaire à tous les goûts
    De ce public que l'auteur sonde
     Quand foirent tous ses autres coups.

339
     Vois de ce monde tous les bouts
    Enfin connus les uns des autres!
 C'est une main pleine d'atouts
Comme il n'y en aurait plus d'autres,

Si un cœur gros où tu te vautres
 Ne la jouait d'un seul accord,
    Et celle qui crut bons les nôtres
     Pour sa naissance n'eut point tort.

340
     Des trois grands vents soufflant du Nord
    Sur les modernes par surprise,
 Deux sont morts de leur belle mort,
L'autre ne semble encor que brise.

À ton courant qui m'électrise,
 Qui donc voudrait faire autrement?
    Alors mon cœur se tranquillise.
     Répète ton fort argument.


,,      Le Mauvais Bout

341

     Ô ma noirceur dis-moi comment,
    À l'abri de ma jalousie,
 Vivre d'avance le moment
Suprême de ta parousie!

Le pus que rend ma peau rosie
 Par la rancœur dont mon sang bout,
    L'essence de ma poésie
     Qui coule par le mauvais bout.

342
     Sous le vol noir du blanc hibou
    Nous avons craint la moindre fronde,
 Mais vois-nous applaudir debout
La malhonnêteté profonde.

Prends dans ta nuit la foule immonde
 Qui m'a donné le contre-jour,
    Mais ainsi fait voir que le monde
     Est un complot contre l'amour.

343
     C'est mon cerveau qui est trop lourd,
    Dit la musique de l'ambiance.
 C'est là qu'à Rosa Luxembourg
Je suis en droit d'avoir confiance.

Les théorèmes de sa science
 Sont sans appel et plus qu’affreux?
    La marque du cri de conscience
     Est le dégel des songes creux.

344
     Les meilleurs vœux des plus nombreux
    Qui font carrière de pensée
 Couvrent les ordres ténébreux
Dont la terre est manigancée.

L'opinion la plus avancée
 Indique aussi bien qu'un compas
    Le sens contraire à la lancée
     Du commun qu'elle ne voit pas.

345
     Un vrai pays n'est surtout pas
    Les gens qu'un vague espoir excite,
 Mais celui qui veut le trépas
D'un autre qui s'en croit l'élite.

Quand une élite vous invite
 À chanter pour la liberté,
    Sachons la terre où elle habite
     Totalitaire en vérité.

346
     Si je n'avais pas habité
    Là où le froid qui bat les pattes
 Ne fait croire à un faux été
Que le temps d'échauder les chattes,

Saurais-je que les démocrates,
 Comme les rois les plus violents
    Servent d'écrans aux grands pirates
     Qui font se battre tous les clans?

347
     N'eusse-je fait mes premiers plans
    Là où dans l'œil un peu de flamme
 Force au dépôt de lourds bilans
Sous le concert de la réclame,

Saurais-je que la bête infâme
 Guide depuis ses cagibis
    Des corps en marche mais sans âme
     Dont on ne voit que les habits?

348
     Sans nos journaux qui aux brebis
    Font des leçons de peur de vivre,
 Sans la boisson de nos débits
Dont s'épaissit toujours le livre,

Aurais-je appris à rester ivre
 En descendant vers le ruisseau?
    Ferais-je ici cet autre livre
     Dont l'édition attend ton sceau?

349
     Sans ton poète Morisseau
    Qui mit au monde ma faconde
 Avant d'être pris au lasso
De notre dépression profonde,

Saurais-je que la bête immonde
 Nous griffe au tout premier niveau
    Par un  « bébête show » dont l'onde
     A pour antenne le cerveau.

350
     C'est au niveau du caniveau
    Que je commence la bataille
 Contre la bête qu'à nouveau
J'affronte aux autres que détaille

Ce petit texte qui déraille
 Et semble de bien mauvais goût
    Jusqu'à ce que mon cœur le braille
     En commençant par le bon bout.


      Les Nerfs

351

     À la façon d'un marabout
    Au vent de sable des déserts,
 C'est vêtu de ton bleu boubou
Que je vais déclamant mes vers.

Le son des cordes de mes nerfs
 Que je tendrais sur un violon
    Pour mieux produire les concerts
     Que je martèle du talon.

352
     Quand je fis face au grand salon,
    J'eus beau parler de mes études,
 On ne vit que mon crâne oblong
Et ses bizarres attitudes.

Au crachin froid des platitudes
 Sur ma première vérité,
    Les convenables habitudes,
     En l'entendant, m'ont déserté.

353
     J'avais encore la fierté
    De qui croit dur à sa cervelle,
 Le monstre tout juste alerté
Par le haut cri de ma nouvelle.

C'est dans les nerfs qu'il se révèle
 Et fait la guerre d'attrition :
    Même le bruit des Caravelle
     Semble aussi dans sa partition.

354
     Il vous sabote en punition
    L'effet du plus petit réflexe :
 La moindre faute d'attention
Vous met la paume sur le sexe.

Toute parole qui vous vexe
 De chaque bouche sort d'instinct :
    Même votre âme vous complexe
     Sur la rougeur de votre teint.

355
     La foule guette l'air mutin
    Qui brille dans votre mirette,
 Tel une flamme qu'elle éteint
Comme un mégot de cigarette.

Vous avez beau battre en retraite
 Jusqu'au plus creux de votre cœur,
    Il n'est barrage qui arrête
     L'inondation de la rancœur.

356
     Chaque nouveau regard moqueur
    Que la malchance vous procure
 Remet en marche un film d'horreur
Dans votre tête salle obscure.

Vous avez beau n'en avoir cure,
 Plus proches sont les plans suivants.
    Les cataclysmes qu'il augure
     Sont confirmés par les savants.

357
     Vous aviez cru contrer les vents
    Qui font valser la foule allègre
 Jusqu'au-delà des paravents
Où bien au chaud souffle la pègre.

Vous crûtes être l'homme intègre
 Qu'il fallait pour l'en délivrer :
    Vous ne lui êtes qu'un corps maigre
     Qu'on voit de livres s'enivrer.

358
     On voit vous déséquilibrer
    Comme un Congo privé de danse
 Car l'onde qui vous fait vibrer
Est celle qui le met en transe.

Qui trop regarde en transparence
 Le monde aux contreforts massifs,
    Le taux des primes d'assurance
     Le classe avec les primitifs.

359
     Vous allez dire vos motifs
    À un cueilleur de la Louisiane,
 Scintille alors dans ses yeux vifs
Le clair reflet du fil d'Ariane.

Sa gorge où le vieux jazz piane
 Chante en pleurant mais sans regret
    Son peuple en cage sous la liane
     Pour boire au même vin secret.

360
     Qui met en doute le concret
    Du décor peint sur le barrage
 Tombe avec lui sous le décret
Du monstre qui l'a mis en cage.

Quand le plus beau trait de langage
 Ne passe plus dans nul salon,
    Plutôt que de mourir de rage
     On met en danse son talon.


      Le Sphinx

361

     Je suis gonflé comme un ballon :
    C'est que ma tête fut bottée ;
 Je vais perdant mon pantalon :
C'est que ta foi est culottée.

Ma gestuelle tourmentée
 Dans le foyer des yeux des lynx,
    Cri de mon âme ensanglantée
     Soumise à la question du Sphinx.

362
     Fais-moi danser sur la syrinx
    Qui sous-diffuse sa musique
 À l'ombre glauque des larynx
Des discoureurs de politique.

C'est le pilote automatique
 Qu'on branche pour ne pas penser :
    Tant qu'à ses ordres on abdique,
     Rien ne vous prive d'avancer.

363
     Mais dès qu'on cherche à se lancer
    Sur une route plus étroite ;
 Mais dès qu'on rêve de danser
Ailleurs qu'en sa musique en boîte,

Tout logement que l'on convoite
 Double de prix à son signal,
    La gorge reste bête et coite
     Quand on vous traite d'orignal.

364
     On a beau dans les fleurs du mal
    Jeter son âme cabossée,
 Il reste en tête un animal
Qui a pour cri votre pensée.

Face à sa verve courroucée
 En vain j'empile mes fatras :
    Le seul obstacle à sa poussée
     Est la chaleur de tes beaux draps.

365
     Depuis le soir que tu entras
    Dans ma demeure sous la neige,
 C'est un vortex de papiers gras
Qui tout le jour me fait le siège.

Ce sont mes notes de collège
 En rage d'être sans emploi.
    Ce sont tous mes petits « Que sais-je? »
     Qui se retournent contre moi.

366
     C'est la science d'une loi
    Qui toujours force à comparaître
 Quiconque a vu en son émoi
Le monstre qui en est le maître.

Je me suis dit qu'il est peut-être
 L'intelligence et rien de plus :
    J'allais jeter par la fenêtre
     Tous les beaux livres que j'ai lus.

367
     Pourtant il les a bien fallu
    Pour le forcer à la lumière :
 Quand dans le noir on est reclus,
Il vous attaque par derrière.

Je sais le noir de la rivière
 Où Louise Beaulne alla finir
    Quand sa résolution dernière
     Fut de ne plus trop réfléchir.

368
     Ne permets pas de m'assagir
    Quelque argument qui me travaille :
 J'y entendrai alors rugir
La bête prête à la bataille.

Que mon armure ait une faille,
 Le moindre insecte est assassin ;
    Qu'à sa piqûre je tressaille,
     À toute épreuve est le vaccin.

369
     Quand je fais face dans mon sein
    Au chant d'une invasion nazie,
 Ce dur régime ne prend fin
Que si j'en fais ma poésie.

Le monstre est-il la jalousie
 Gardienne du parfait amour?
    Quand ma cervelle en est saisie,
     Est-ce que tu me fais la cour?

370
     Est-ce que tu mettras au jour
    Comme au sortir d'un long carême
 Le grand pourquoi d'un nombre lourd
Et qui renferme un théorème?

L'enferma-t-on pour laisser blême
 Chaque grand nom ainsi qu'un Sphinx?
    Le laissa-t-on ainsi qu'un thème
     Où grand ouvrir un œil de lynx?


      Les Morts-Vivants

371

     Quand me terrassent les larynx
    Dont l'animal est politique,
 Fais-moi jouer sur ta syrinx
Un concerto pour leur musique!

Mon cœur que font battre en panique
 Ceux dont je suis administré
    Quand dans leur gorge métallique
     Parle un message enregistré.

372
     J'ai lu dans un vieil illustré
    Que si des hommes ont une âme,
 D'autres se meuvent l'œil vitré
Et dépourvu de toute flamme.

Quand le bon peuple en vain réclame
 Un régime où se faire voir,
    Ces morts en marche et à programme
     Ont la balance du pouvoir.

373
     Quand j'en voulus faire un devoir,
    Mon prof le mit dans la rigole ;
 Mais les enfants de ton trou noir
L'apprennent bien avant l'école.

Je veux reprendre la parole
 Qui trop comprise simplement
    Ferait vivre à la terre folle
     Le soir du grand chambardement.

374
     Garde-moi du raisonnement
    Tenant l'amour pour une tare
 Et estimant si grandement
La vertu sèche de l'avare.

Tiens-moi bien loin de la bagarre
 Des moutons noirs et blancs des souks
    Quand c'est l'espèce qui sépare
     Les brebis noires et les boucs.

375
     Voici venu le temps des ploucs
    Dont plus aucun ne se veut pâtre!
 Habille donc de mes new-looks
La parabole trop jaunâtre :

Nous jouons dans un grand théâtre
 Où tous ont masque protecteur,
    Mais de ce masque aucun bellâtre
     Ne voit sous l'autre quel acteur.

376
     Aura beau faire le docteur
    Avec tous les détails qu'il trouve,
 Il est sans signe détecteur
Des têtes que l'auteur réprouve :

Sous tel regard fuyant de louve,
 Sous tel mot de joyeux crétin,
    L'antagoniste agite et couve
     Non un acteur mais un pantin.

377
     Quand je l'entends parler latin,
    De ses ficelles je me doute :
 Nul n'en peut être assez certain,
Quelque sermon qu'il nous en coûte.

Nous roulons sur une autoroute
 Où les bolides vont hurlant :
    Un mastodonte qu'on redoute
     Est sans chauffeur à son volant.

378
     C'est son moteur ultra-violent
    Qui vous a pris en cavalcade :
 À ce constat trop affolant
Le policier vous croit malade.

Nous jouons à un jeu d'arcade
 Dont on ne veut voir que l'écran :
    Tel pion qu'on croit son camarade
     Jamais ne parle que fortran.

379
     Mais qui derrière le cadran
    Lance ses chats après nos basques?
 Quelle souris aura le cran
De faire face à ses bourrasques?

On voudrait mettre bas ses masques
 Au bout portant d'un boléro :
    Hélas c'est sous nos propres casques
     Qu'il fait aussi son numéro.

380
     Quand j'aurai pris ton apéro
    Et belle place en ta galère,
 Allons jusqu'au terrain zéro
Dans le grand vent de ta colère.

Ce bon morceau de caisse claire
 Au monstre enfin administré,
    Faisons le vœu qu'il décélère
     Son train d'enfer enregistré.


 ;      Metanoia

381

     Quand je me suis cru illustré
    Par un plan digne d'Archimède,
 Je suis resté le plus frustré
D'aider tes gens criant à l'aide.

La foule au cirque sombre et laide
 Sur un tableau peint par Goya,
    Ma danse sur la corde raide
     Que bande ma paranoïa.

382
     Depuis que de l'Himalaya
    J'ai vu le monde qui nous berne,
 Je fais le bon jambalaya
De ta cuisine de taverne.

J'ai pris pour fuir le pays terne
 Où bien en vain je m'escrimais
    L'étroit sentier vers ta caverne
     Que nul n'a rebroussé jamais.

383
     Quand trop me charment les sommets
    Où va l'explorateur en vogue,
 Refais le lit que tu promets
À moi ton doux spéléologue.

Quand au bout d'un enfer de drogue
 On cherche en vain le vrai Satan,
    J'exulte au cri d'un démagogue
     Battant poitrail d'orang-outang.

384
     Je sais le calme de l'étang
    Avant l'effroi de la tempête.
 Mon peuple votera Wotan
En récompense de ma quête.

Quel président voudra ma tête
 Pour plaire à l'électeur odieux?
    Qui donc mettra la masse en fête
     Croyant venger les plus grands dieux?

385
     Tel est le grand soleil radieux
    Après l'averse de vinaigre,
 Telle est la marche du studieux
Selon son plan qu'on dit de nègre.

Ainsi s'échine le corps maigre
 Qu'on traite de contemplatif
    Avant que tombe sur la pègre
     Son contenu radio-actif.

386
     Fais voir la croix de l'objectif
    Qui se profile sur la cible
 Et seul annule l'adjectif
Quand la mission est impossible.

Ton plat qu'on croit non comestible
 N'attend plus que son fin gourmet
    Au goût toujours plus indicible
     Initié par ton doux fumet.

387
     C'est ta musique qu'on remet
    Qui fait sortir de l'eau profonde
 Le squale auquel un film promet
La plage où baigne le beau monde.

Ce squale dans ma tête gronde
 D'irrésistible volupté
    De dévorer tout à la ronde
     Sitôt le premier sang goûté.

388
     C'est un bon coup que j'ai raté :
    Tu vois le rire qu'il engendre :
 Le spectateur tout excité
Ne perd pourtant rien pour attendre.

Je n'en peux plus de me répandre
 Devant les chiens, les cors, les cris :
    Donne-moi pour me faire entendre
     Ton bourg chantant sous le mépris.

389
     Dans ton ghetto tout en débris
    Mon train d'enfer fera surface ;
 Sur ton sol devenu tout gris
Les arbres reprendront leur place.

Fais fondre mon sommet de glace
 Où semblait luire un anneau d'or!
    Seul l'invité en ta crevasse
     Remonte avec un vrai trésor.

390
     Ton corps noir est un athanor
    Qui transfigure le plus terne ;
 Qui trop rêve en technicolor
Meurt comme un moine qui se berne.

Seul qui pour boire en ta caverne
 Délaisse son Himalaya
    Mettra en ruine sa taverne
     Au chant de sa metanoia.


      Les Éteignoirs

391

     Quand m'ensorcelle une Maya,
    De tes yeux vient la douce pluie.
 Sous les décombres de Gaïa,
Reste ta terre qui m'appuie.

Mon front en ruines qui essuie
 Les coups de bec des oiseaux noirs,
    Leurs bombes de fiente et de suie
     À la guerre des éteignoirs.

392
     Les habitants des blancs terroirs
    Sont payés pour les mettre en friche ;
 Les occupants de nos mouroirs
Peinent pour langue un peu trop riche.

Ils font des livres que l'on fiche
 Comme porteurs de grand danger
    Jusqu'à ce que nous les déniche
     Quelque éditeur de l'étranger.

393
     On met à pied le boulanger
    Qui fit du pain trop authentique.
 On le rééduque à manger
Celui qui sort du sac plastique :

Tel est l'asile politique
 Fier d'importer des résistants :
    Un vaste asile psychiatrique
     Pour l'habitant de trop longtemps.

394
     Entend cracher les importants
    Sur scène leurs bon mots de fiente ;
 C'est vers nos seuls vieux dégoûtants
Que le denier public s'oriente.

La madone était trop souriante
 Dans sa caverne rococo ;
    On fait jouer la chanson criante
     D'un nom semblant lui faire écho.

395
     Quand sous une noix de coco
    Monte une trop ardente flamme,
 On lui fait faire du tricot
Ou circuler de la réclame.

Quand la chanteuse fait sa gamme
 Sur trop de sortes de cailloux,
    La ville fait suivre la dame
     Par toute sorte de voyous.

396
     Dans la musique des bayous
    Se jette la plus belle rime ;
 C'est à passer des interviews
Que va le seul talent qu'on prime.

C'est en vain qu'un savant s'escrime
 À peaufiner ses inventions.
    Il faut se faire expert en frime
     Pour prospérer de subventions.

397
     Si de si crasses intentions
    Sont seules à lever la toile,
 C'est qu'à courir tant de mentions
Il faut être vapeur et voile.

Si la nuit fait peser son voile
 Et prospérer notre sommeil,
    C'est que chacun veut être étoile
     Et plus personne au grand soleil.

398
     Je sonnerai le grand réveil
    Qu'en cette terre je contemple
 Quand dans mon plus simple appareil
Je saurai vivre à ton exemple.

Je serai présentable au temple
 Où règne en maître le censeur
    Quand dans ta salle bien plus ample
     Tu m'auras fait simple danseur.

399
     Je pourrai prendre l'ascenseur
    Qui mène au cent-unième étage
 Quand au plus creux de ta noirceur
J'aurai appris à rester sage.

Noire Erzulie, entends l'orage
 Dans lequel prendre mon élan,
    Mène-moi là où mon outrage
     Me fera membre de ton clan.

400
     Quand nous serons flanc contre flanc,
    Fais que notre lumière rouge  
 Force au dépôt de son bilan
L'obscurantisme qui nous gouge.

Seul qui sait dans ton pauvre bouge
 Apprivoiser les oiseaux noirs
    Peut traverser la zone rouge
     En échappant aux éteignoirs.


      Magog

401

     Quand les marchands de désespoirs
    Mettent en vogue une galère,
 Qui contresigne leurs devoirs?
Qui fait entendre sa colère?

L'odeur canaille qu'on tolère
 Sous le soleil voilé de smog.
    L'orage acide qui éclaire
     Sur la mer d'huile au lac Magog.

402
     Un estivant mélange un grog
    Pour une gueuse en pèlerine
 Qui ne demande qu'un hot-dog
Et d'écouter pleurer sa mine.

Il dit trouver qu'elle chemine
 Sur un beaucoup trop dur chemin.
    Elle lui semble trop copine
     De plus d'un bien méchant gamin.

403
     À la fin de son examen,
    Son œil concupiscent la touche,
 Mais c'est comme une noire main
Qui lui enfonce un coin en bouche.

Lui faudra-t-il prendre une douche?
 L'orage est là pour l'asperger ;
    Voudra-t-elle être fine mouche?
     Elle a de quoi pour partager.

404
     Dans la rivière il voit bouger
    Du poisson qui ne prend pas fuite.
 S'il veut toujours bien l'héberger,
Elle prendra une autre truite.

Mais la forêt noire est détruite
 Par les nuages décapants :
    Un futur champ d'horreur que bruite
     Déjà le rock aux airs dopants.

405
     Qui sème ces roseaux coupants?
    Qui plante ces buissons de broche?
 Qui sont ces tristes occupants?
Le monde est devenu si boche.

Elle prétend que sa galoche
 A dansé dans le vin gaulois ;
    Le ressemblant de sa caboche
     Lui vaudrait de très bas emplois :

406
     Des pièces de mauvais aloi
    Où faire à tous bonne figure ;
 Quand on est gueuse a-t-on le choix
De prendre ou non la sinécure?

Celle du plus sinistre augure
 Fut pour un champ du Portugal
    Plus beau à voir qu'une peinture
     Et à chanter qu'un madrigal.

407
     Une tempête de métal
    Battait le reste de l'Europe ;
 Qui dans ce lieu loin du grand bal
Faisait pointer son télescope?

Un producteur très interlope
 Pour six séances la prima,
    Mais elle renversa la chope
     Sur trois enfants qu'elle alluma.

408
     Elle avait vu le cinéma
    Commencé sur le Potemkine
 Déboucher sur le lourd coma
Qu'allait inaugurer Lénine.

Elle avait vu la figurine
 Déjà au rang de sous-soldat
    Que l'Allemagne un soir chagrine
     Implorerait contre Juda.

409
     Mais c'est au temple de Ouiddah
    Qu'elle avait ouï la zizanie
 Monter du pauvre Canada
Jusqu'à l'ultime tyrannie.

La pauvre enfant serait punie
 De retour chez ses propres gens ;
    La vérité serait bannie
     Par le bon soin de ses marchands.

410
     Combien de faux regards plongeants
    Se font avoir main dans le buste?
 Combien de romanciers méchants
Ne pensent pas mentir si juste?

Combien les pleurs de la plus juste
 Passent souvent pour pleins de grog,
    Surtout à l'œil qui les déguste
     Dans son chalet près de Magog?


      Le Naufrage

411

     Quand de la langue du bull-frog
    Chacun craint le plus grand outrage,
 Qui de la gueule du bull-dog
Saura entendre à temps la rage?
     
Le paquebot qui fait naufrage
 Dont le pilote se plaint fort
    De la lenteur du nettoyage
     Aux employés du bar du bord.

412
     Un homme à la mer crie « À mort!»
    À l'autre qui de sa cabine
 Ne sort que s'informer du sort
Du mauvais film qui se termine.

Les chiens, les rats et la vermine
 Quittent le pont pour l'océan.
    Mais l'officier de discipline
     N'en veut qu'au mousse fainéant.

413
     Tu es là dans le trou béant
    Où plongent tant de mes pensées ;
 Tu m'y refais l'air bienséant
Qui me vaut bien des fiancées.

Leurs claques ne me sont lancées
 Que sur mon cœur trop mis à nu,
    Et mes façons trop nuancées
     Pour mon niveau de revenu.

414
     Du monstre en moi entretenu
    Par la radio à fort volume,
 Personne n'en a reconnu
Que les dégâts sur mon costume.

Le film d'horreur qui me consume,
 Nul ne le prend trop au sérieux ;
    Mais qu'un sang coule de mon rhume,
     Chacun devient soudain curieux.

415
     Un grand patron se dit furieux
    Contre ma flamme entretenue :
 Pourquoi les cris si victorieux
Des employés qu'il diminue?

Le dictateur qui s'insinue
 Dans les propos des gens de bien
    Ne prendra place sur la nue
     Que lorsque nul n'y pourra rien.

416
     C'est dans le grand froid sibérien
    Que s'est échoué un train de rêve,
 Mais le grand but du Canadien
Est un cerveau toujours en grève.

Au stade où le grand jeu s'achève
 Après des lustres de retard,
    Un voile religieux se lève
     Quand plus n'y pointe aucun regard.

417
     Le match est à son dernier quart
    Pour le sommeil de la piétaille
 Dans l'estrade où un peu plus tard
Beaucoup mourront dans la bataille.

Nul ne reçoit une médaille
 Que pour manquer exprès un but,
    Mais jamais le champion ne braille
     Que lorsqu'il est mis au rebut.

418
     Quand l'hymne est à son tout début,
    Le serment se prête à la reine,
 Mais quand se verse le tribut
C'est à sa Majesté la Haine.

L'être vivant perd son haleine
 Quand se font raides ses habits ;
    Le mort-vivant s'en vêt sans peine
     Si lourdement qu'il soient fourbis.

419
     Les gens des plus pauvres gourbis
    Ne plaignent que la grande actrice
 Car dans l'alcool de leurs débits
Gronde une antenne réceptrice.

On voit courir au même office
 Les filles et les puritains,
    Pour ne combattre qu'un seul vice,
     Avoir les yeux trop mal éteints.

420
     De l'écriture des destins
    On veut apprendre les algèbres
 Que font valoir les sacristains
Du nouvel-âge des ténèbres.

D'un monstre on croit voir les vertèbres
 Dans l'eau depuis le bar du bord,
    Mais de l'orchestre aux chants funèbres,
     Aucun marin ne se plaint fort.


;      L'Inondation

421

     Comment ne pas crier à tort
    Quand le bateau se dit palace?
 Comment ne pas crier à mort
Quand il se meut dans la sargasse?

L'inondation sépia qui chasse
 De plus en plus de voyageurs
    Qui revendiquent une place
     Dans les étages supérieurs.

422
     Vois mettre à pied les travailleurs
    Venus se vendre à prix d'aubaine,
 Vois-les chercher un autre ailleurs
D'où revenir la poche pleine.

Entends les rythmes qu'on assène
 Aux habitués des petits bars
    Qui une fois remplis de haine
     En chassent les clients traînards.

423
     Vois la parade des motards
    Dans les beaux centres de la ville,
 Vois les plus éclatants pétards
Leur faire un grand salut servile.

Entends le rire si débile
 Des spectateurs de notre humour
    Faisant passer pour malhabile
     Quiconque chante encor l'amour.

424
     Entends les derniers brins d'amour
    Que le poète à gages glane
 Et qu'il enferme à double tour
Sous la coupole de son crâne.

Vois s'égarer l'esprit qui flâne
 Dans le grand centre commercial,
    Vois la chambre où il se condamne,
     Rêvant d'un numéro spécial.

425
     Entends passer pour impartial
    Le grand expert pharmacologue,
 Entends le grand gala nuptial
Que lui font les chanteurs en vogue.

Vois-les planer sur une drogue
 Qui rend les chiens plus triomphants,
    Vois la terreur du pédagogue
     Qui en prescrit à nos enfants.

426
     Entends les tristes olifants
    Sonnés par les derniers des justes
 Que les clowns aux bons mots bouffants
Jettent aux hôpitaux vétustes.

Lis les journaux des dames frustes
 Qui rêvent d'être en leurs iglous
    Épouses des César-Augustes
     En entendant venir les loups.

427
     Vois fonctionner les gabelous
    Auxquels n'échappent à la fauche
 Que les malins assez filous
Pour réussir leur test d'embauche.

Entends tourner les gens de gauche
 Au moindre souffle des grands vents.
    Entends la bête qui chevauche
     Quiconque au nombre des savants.

428
     Vois prendre les plus grands devants
    Par la faction conservatrice ;
 Entends sévir dans les couvents
La politique correctrice.

Entends à son cours d'avarice
 L'étudiante au ronron profond ;
    Vois le preneur de sa matrice
     Galérer dans son trou sans fond.

429
     Entends les cieux qui se défont
    Sur le parcours du pauvre ermite ;
 Entends ses dieux que l'on confond
Avec ceux de l'antisémite.

Vois le travail de la termite
 Se propager comme un virus ;
    Vois défiler le sodomite
     Sous l'avalanche des chorus

430
     Entends pleurer comme un anus
    Le fleuve où l'Amérique excrète
 Ses plus toxiques détritus
Jusqu'à ce qu'un beau jour tout pète.

Entends ces vers que je répète
 À toujours plus de voyageurs
    Sachant entendre ta trompette
     Dans leurs espaces intérieurs.


,      Les Échecs

431

     Quand tant de pauvres gens d'ailleurs
    Goûtent la trêve canadienne,
 Les derniers cris de nos veilleurs
Leur sont de la musique ancienne.

La forteresse sicilienne
 Qui se bâtit sur nos échecs,
    Le mat sans contre-jeu qui tienne
     À l'adversaire en deux coups secs.

432
     Du temps des fleurs et des bons becs
    Le sida est tout l'héritage ;
 Les ménestrels et leurs rebecs
Ont le même opprobre en partage.

Ce qui fut notre long métrage
 Est avorté pour des navets ;
    Le rejetons du Nouvel-Âge
     Rêvent d'un monde plus mauvais.

433
     Les grands romans que j'écrivais
    Sont emportés par l'eau du Gange ;
 Le dépôt des meilleurs brevets
Se fait dans les ruisseaux de fange.

Le soleil même nous dérange
 Après le gel des grains germés ;
    Chaque regard un peu étrange
     Frappe en vain sur les cœurs fermés.

434
     Les meilleurs vœux sont désarmés
    Un après un par cette angoisse
 Coulant des disques programmés
Pour que la bête en nous s'accroisse.

Au clair spectacle de la poisse
 Où tombent tous les amoureux,
    L'homme qui va passant se froisse
     Face aux visages trop heureux.

435
     C'est tout parler trop digne et preux
    Que de soupçons le peuple accable ;
 Sans ton de voix bien fourbe et creux
On passe pour le plus minable.

Quand de l'époque formidable
 On foule aux pieds tous les projets,
    Du maître le plus effroyable
     Sont rassemblés tous les sujets.

436
     On croit mériter les objets
    Que maintenant nous vend l'Asie
 En accablant de durs rejets
Tout ce qui sent la poésie.

Des râles et de l'aphasie
 Des gens du pauvre Canada
    S'élève une chanson nazie
     En hâte d'un second mandat.

437
     Voyant la fange et le barda
    Où vit ton peuple qui espère,
 Notre plus malheureux soldat
Se croit imbu de savoir-faire.

Quand les enfants du prolétaire
 Deviennent de trop grands savants,
    Les seuls enfants qu'il laisse faire
     Seront faits par les morts-vivants.

438
     En soignant sur tant de divans
    Toutes les âmes trop sensibles,
 On laisse les jobs énervants
Aux chiens qui les prendront pour cibles.

De looks toujours plus impossibles
 Chacun doit faire ses habits
    Face aux cuirasses invincibles
     Qui font tourner l’oeil des brebis.

439
     Le luxe inouï de nos fourbis
    Et nécessaires de ménage
 Nous font tenir dans nos gourbis
Jusqu'au retour du Moyen-Âge.

Chacun se croit un personnage
 Très admiré au cinéma
    Sans voir l'agence d'espionnage
     Qui règle ainsi tout le climat.

440
     La lourde ardoise du karma
    Est là pour tuer le goût de vivre
 Et vendre plus de doux soma
Qui de mort lente nous enivre.
     
Sous un vaste plateau de givre
 De petits hommes aux yeux secs
    S'apprêtent à fermer le livre

     Où sont prévus tous nos échecs.

      L'Ironie

441

     Le temps des fleurs et des bons becs
    Qui nous plongea dans l’atonie
 Pendant que dans les bagnes grecs
Se poursuivit la symphonie.

Les blanches îles d'Ionie
 Qui tinrent tête aux rois d'Iran.
    Leur langue grise d'ironie
     Qui résista sous le Coran.

442
     Quand on ne voit pas le tyran
    Qui brise toute jeune pousse,
 Quelle chanson aura le cran
De mettre en vente sa frimousse?

Quand pour donner la sainte frousse
 L'homme se croit un chat-huant,
    Fais que ma langue l'éclabousse
     Comme une sauce au goût gluant.

443
     Le peuple pense trop puant
    L'air de la cantatrice grecque,
 Mais le voilà bien plus suant
Au grand bruit de ta discothèque.

À la grande bibliothèque
 Le pasteur veut mettre le feu.
    Mon mot du juste qui dissèque
     Exaucera bien mieux ce vœu.

444
     Les termes de mon bel aveu
    Ne semblent bons que pour la bouffe,
 Et leur langage trop vieux-jeu
Pour un coupable essai d'esbroufe.

Là où la voix humaine étouffe
 Pour n'avoir pas l'air d'un slogan,
    D'un dictateur d'opéra-bouffe
     On chanterait bien l'ouragan.

445
     Si quelques vers de Nelligan
    Ont déclenché telle allergie,
 À notre air bien plus intrigant
Tout fondra comme une bougie.

Notre oeuvre de théologie
 Sera chantée en plein Harlem.
    Sur la musique d'une orgie
     À rendre noir Jérusalem.

446
     Le premier prix de math elem
    Sera toujours battu en brèche
 S'il ne gravit pas le totem
Tenant le monde dans la dèche.

La trop belle œuvre que je lèche
 Fait plus de peur au grand public
    Que l'allumage de la mèche
     Après la pose du plastic.

447
     Quand un pauvre a des mots trop chic,
    On entend tous les psychologues
 L'envoyer jouer dans le trafic
Des véhicules et des drogues.

Les putes et les bouledogues
 Qui leur tiennent lieu de maris
    Marchent au vent des mêmes vogues
     À Montréal et à Paris.

448
     Une fois les chanteurs taris
    Par le concert de la réclame,
 J'ai senti au creux des saris
Monter une nouvelle flamme.

Quand pour me produire à Paname
 J'ai manqué le dernier métro,
    C'est toi mon autre et noire dame
     Que j'ai chantée en mon bistro.

449
     Au refus rogue du micro
    De diffuser ma voix trop tendre,
 A grésillé le premier croc
Du monstre qu'il nous fait entendre.

Jamais je n'oserais te vendre
 Au son des baffles du puissant,
    Laisse-moi tout le temps attendre
     Qu'il faut pour purifier mon sang.

450
     Là rends mon cri assez perçant
    Pour qu'on l'entende jusqu'en France,
 Malgré la presse de Hersant
Qui cherche à nier notre souffrance.

Gare qu'une autre fois la France
 Fasse la pute à un tyran,
    Pour cette fois-là d'assurance
     Être à jamais mise au Coran.


      Charlevoix

451

     Mon âme qui allait pleurant
    Sur mon étoile mal logée,
 Le soir où sur le Saint-Laurent
Je l'ai vue à son apogée.

Les flots de l'autre mer Égée
 Sous les hauteurs de Charlevoix,
    En rage sous l'humeur figée,
     Privés de leurs tragiques voix.

452
     Ô France des anciennes voix
    Qui surent geindre avec la Grèce
 Et des tableaux de Delacroix
Qui surent peindre sa détresse,

Ô France qui défis la laisse
 Où la tenaient les Ottomans
    Et qui refis cette promesse
     Aux peuples des mauvais moments,

453
     Ò France des légers romans
    Où l'honnête homme cambriole
 Et des chansons où les amants
Montent la femme qui s'étiole,

Ô France dont le jus de fiole
 Abrutissant partout ailleurs
    Avive par sa gaudriole
     L'esprit qui œuvre aux jours meilleurs,

454
     Ô France des mauvais baigneurs
    Dont la radio sert de crécelle
 Et des sordides Monseigneurs
Qui enflammèrent la Pucelle,

Ô France dont la foi chancelle
 Et désespèrent tes amants
    Quand prennent en ton escarcelle
     Trop de volume tes serments,

455
     Souviens-toi de tes boniments
    À tes enfants perdus que traque
 Le croc des bergers allemands
Comme à Ulysse près d'Ithaque.

Souviens-toi du Tchécoslovaque
 Que tu crus bon vendre à Munich
    Pour repousser d'un an l'attaque
     Dont tu ne chus que plus à pic.

456
     Quand les griffures de mon bic
    Vaincront le froid qui nous engonce,
 Quand parlera au grand public
L'autre fureur que je t'annonce,

Quand le soupçon qui nous dénonce
 Mettra ta langue hors la loi,
    Quand frapperont à ta semonce
     Nos écrivains fuyant l'aboi,

457
     Les teindras-tu bien loin de toi,
    Partie honteuse qu'on ampute,
 Ou diras-tu le bon aloi
De la complainte qu'on t'impute?

Prends garde qu'à cette minute
 Le geste que tu nous promets
    T'entraîne dans la même chute
     Et cette fois à tout jamais.

458
     Si tu vends contre un bout de paix
    Ce qui nous reste de ton âme,
 Notre fureur au verbe épais
Te séduira par sa réclame.

Tu voudras plaire au chef infâme
 En lui livrant nos résistants.
    Ville d'Islam sera Paname
     Au bout d'encore moins de temps.

459
     À chaque guerre de cent ans
    Elle se fait ton ennemie ;
 N'y vendrait-on jusqu'au printemps
Contre du froid une accalmie?

Quand tu verras de la momie
 Abandonnée au mauvais sort
    Sortir le corps de l'endormie
     Que tu croyais sentir trop fort,

460
     Daigne ne pas vouer à la mort
    Cette héritière qui t'encombre
 Cachée en ce pays du nord
Comme une enfant bâtarde à l'ombre;

Daigne compter son chant au nombre
 De tes plus nécessaires voix,
    Ô dernier phare du temps sombre
     Qui bat la mer sous Charlevoix.


      La Religion

461

     En entonnant ton air grivois
    Je tiens au loin la bête en rogne,
 Et en bravant tous ses renvois
C'est à ta chambre que je cogne.

Le preux gréviste de Pologne
 Qui lutte par la religion.
    Le même qui en Catalogne
     Veut la chasser de la région.

462
     Au recruteur de la légion
    Qui me dit bon pour le service,
 Fais craindre mieux la contagion
Que m'a valu ton lieu de vice.

C'est quand je vais comme écrevisse
 Que ton fardeau se fait léger ;
    Ne donne pas mon sacrifice
     À un état ou un clergé.

463
     Entends pleurer Lydie Auger
    Qui pour s'éprendre d'un gueux libre
 Se crut le vœu de patauger
Dans les eaux des marais du Tibre.

Pour conserver son équilibre
 Sous les attaques d'un démon,
    Faut-il toujours que le cœur vibre
     Selon le texte d'un sermon?

464
     Quand d'un pays sans aramon
    Un gueux renifle le plastique,
 Faut-il chanter dans son poumon
Un air de guerre ou un cantique?

Fais que je passe l'Atlantique
 Pour lui apprendre les efforts
    D'une façon plus romantique
     De boire et de coucher dehors.

465
     Pour sa misère c'est alors
    Que mes mots sont inabordables,
 Grondent les petits chefs retors
Qui passent pour les plus affables.

Les employés les plus minables
 Donnent des ordres de sergent ;
    Même les gueux ont des cartables
     Et ne discutent que d'argent.

466
     Chacun se cherche un job urgent
    Pour ne plus écouter nos peines.
 On fait mousser du détergent
Pour étouffer l'eau des fontaines.

Nos larmes passent pour hautaines
 Quand le cantique est sur air rock ;
    Nos rages passent pour quétaines
     Quand l'argent fait voter en bloc.

467
     Entends s'unir au chant du coq
    Qui veut nous prendre en sa gaguerre
 Le prêche du pasteur ad hoc
Qui nous en veut d'aimer la terre.

Entends les bons mots de Voltaire
 Contre les cœurs trop peu rusés
    S'unir à ceux du prolétaire
     Contre les corps trop peu usés.

468
     Vois ces partis organisés
     Par une seule et même bête
 Qui ne les tient si divisés
Que pour qu'y meure l'homme honnête.

Daigne ne consacrer ma tête
 Aux donateurs d'aucun devoir ;
    Je ne veux bien fêter la fête
     Que des porteurs du drapeau noir.

469
     Ton sein est en effet si noir
    Que dans le noir de ta fenêtre
 Aucun voyeur ne put te voir
Le soir que tu m'y fis connaître.

Des jus qui coulent de ton être
 J'aime à sentir les doux relents
    Que ne feraient point disparaître
     Un nettoyage de mille ans.

470
     Dans les vignobles Catalans
    J'ai eu sans doute un grand ancêtre
 Tant me propulsent les élans
Du seul désir d'en toi renaître.

C'est un amour prédit peut-être
 Par une antique religion,
    Mais c'est le chant « Ni dieu ni maître! »
     Qui m'en donna la contagion.


      L'Olympe

471

     Si sans lumière est ma région,
    Tant qu'on croit vivre en une limbe,
 C'est que l'occupe la légion
Venant du mont coiffé d'un nimbe.

La pente abrupte que je grimpe
 Sous les orbites des corbeaux.
    Le feu de foudre de l'Olympe
     Dont je couronne mes flambeaux.

472
     Quand se laisse mettre en lambeaux
    La terre dite notre mère,
 Le sol s'y couvre de tombeaux
Où l'ennui règne au nom du père.

Quand en l'amour le monde espère,
 C'est que le pervertit Vénus.
    Quand le ciel noir soudain s'éclaire,
     C'est la menace d'Uranus.


473
     Le président est un minus
    Si tel est le vœu de Mercure.
 Le monde est à son terminus
Quand Pluton fait la nuit obscure.

C'est toujours de sinistre augure
 Qu'est le ciel rouge de Pékin,
    À part l'oracle qu'il procure
     Au trafiquant le plus coquin.

474
     Le missionnaire américain
    Ordonne à son audience serve
 D'aller au bagne de Vulcain
Expier ses vieux excès de verve.

Si la fortune de Minerve
 Distingue un triste écrivassier,
    C'est Mars qui veut qu'ainsi s'énerve
     Un grand gendarme carnassier.

475
     L'Himalaya au blanc glacier
    Qu'on dit des sages l'apanage
 Met au travail de terrassier
Le chantre du libertinage.

Les vieux démons du Moyen-Âge
 Sont apparus à Fatima
    Aux foules en pèlerinage
     Sur ce plateau de cinéma.

476
     Vishnou, comptable du karma,
    Met au passif l'erreur de vivre
 Et met en vente un long coma
Qui de l'angoisse seul délivre.

Là-haut sur son sommet de givre
 Ce dieu fumant d'un air hautain
    Fais rêvasser dans plus d'un livre
     Que son ciel est le plus lointain.

477
     C'est en fait un glacier sans tain
    D'où les patrons de la planète
 Ainsi qu'un gang napolitain
Pointent leurs armes à lunette.

Pour actionner la marionnette
 Il font rejouer leur mauvais air,
    Et au climax de la saynète,
     Le temps d'orage où luit l'éclair.

478
     Du feu sauvage de l'éther
    Nul n'apprendra que le ravage
 Tant que la main de Jupiter
Le gardera en esclavage.

Le tir féroce de l'orage
 Ne m'a manqué que d'un cheveu
    Quand tout-à-coup j'ai le courage
     De saisir une branche en feu.

479
     Monté sans même oser l'aveu
    De ma grand crainte du tonnerre,
 J'en redescends avec le vœu
D'en incendier toute la terre.

D'être la bombe de la guerre
 Que fait le feu de notre amour
    Contre l'Olympe qui l'enserre
     Dans la prison de son tambour.

480
     Les milliards d'hommes au labour
    Et leurs héros que l'on enchaîne
 Ont-ils l'espoir qu'enfin un jour
François Missile se déchaîne?

Quand à la foudre qui me freine
 Se joint la meute des corbeaux,
    Il n'est pour éloigner leur haine
     Que d'y tremper tous mes flambeaux.

      Les Chicagolais

481

     Mon vêtement mis en lambeaux
    Par la broussaille qui m'écorche,
 J'ai couru contre les tombeaux  
Ouverts des luxueuses Porsche.

Le rire jaune de la torche
 Dernière étape du relais
    Avant de mettre à feu le porche
     Du panthéon chicagolais.

482
     Au terme proche des délais
    Du vieux programme de la gauche,
 Fais-moi l'amour que je voulais
Vivre en mes rêves de débauche.


Ne permets plus que je chevauche
 L'oiseau vengeur du ciel troublé.
    Fais dire vrai ma faux qui fauche
     Mon pays producteur de blé.

483
     Regarde non mon corps criblé
    Des coups de botte de la soûle,
 Mais malgré tout le long dribblé
De mon ballon de foudre en boule.

Fais que ma douce chanson coule
 Sur le clavier du pianola
    Et ne se perde dans le moule
     D'aucune dame en falbala.

484
     Rends mon cœur sourd aux lourds « hola! »
    Que les dieux lancent des balustres.
 Donne le ton du juste la
Qui du ciel bas brise les lustres.

Sous les lauriers les plus illustres
 Prometteurs de brillants destins,
    Fais-voir les brutes que tu frustres
     Des aventures des Tintins.

485
     Mets bas le masque des instincts
    Que la peur de trop vivre aiguise,
 Fais voir les mages clandestins
Qui les programment à leur guise.

Sens des humeurs de leur emprise
 Combien l'ensemble est orchestral,
    Je voudrais fondre la banquise
     De leur palais de glace austral.

486
     Débranche-moi du poste astral
    Qui me compisse de vinaigre,
 Donne le ton d'un air lustral
Que je pourrai danser en nègre.

Fais-moi chanter ton air allègre
 Que n'ont pour fin que d'étouffer
    Les vaches grasses quand la pègre
     Permet au monde de bouffer.

487
     Quand tout-à-coup je sens griffer
    Sous ma chemise une termite,
 Dis comment faire triompher
Sitôt ta flamme qui m'habite.

Il n'est pour éloigner l'orbite
 Des mouches noires du sommeil
    Que la lumière que débite
     Sous ma ceinture ton soleil.

488
     Ah! que mon teint si peu vermeil
    Sous ton soleil que j'imagine
 Noircisse ainsi qu'en ont pareil
Les belles au teint aubergine.

Ah! Que moi-même j'aie la mine
 Dont je rêvai un autre corps,
    Fais-moi mûrir la vitamine
     Que je mendiai aux piments forts.

489
     Ah! Que je batte les records
    Que j'admirais chez les sauvages,
 Fais-moi chanter leurs doux accords
Qui chez nous passent pour outrages.

Quand les grands maîtres et les mages
 Font mettre à mort tous les penseurs,
    Le plus parfait des camouflages
     Est la démarche des danseurs.

490
     Face aux ravages des censeurs
    Rien ne peut faire de réclame
 Que les prouesses des lanceurs
Qui vont jouant du lance-flamme.

Ne laisse pas la fin du drame
 Aux chef de gang chicagolais.
    Laisse les rôles haut de gamme
     À de plus drôles pistolets.


      Les Kopeks

491

     Au cinéma du grand palais
    Où le bon genre se remorque
 Passent des films toujours plus laids
Où le bon cœur absent rétorque.

Le labyrinthe de Nouillorque
 Plein du butin des vases grecs,
    Le Minotaure au longs crocs d'orque
     Qui veut du sang pour ses kopecks.

492
     Il ne s'échange de bons becs
    Entre invités de bonne marque
 Qu'avec des yeux toujours plus secs
Face aux jeunesses qu'on embarque.

L'affreux sourire de la Parque
 Menace de couper le fil
    Pour peu que le pantin débarque
     Du scénario stupide et vil.

493
     Le scénario est dit subtil
    Par le grand producteur de crainte
 Que d'autres suivent son long fil
Que ma main suit au Labyrinthe.

La terre entière est sous l'étreinte
 D'un seul gouvernement secret
    Qui tant qu'on brouille son empreinte
     Fait vivre quoique à grand regret.

494
     Les mannequins dont le portrait
    Moule les femmes langoureuses
 Ont pour effet le plus concret
De refroidir les plus nombreuses.

Les amours ternes et scabreuses
 À l'Ouest se meurent dans leur lit
    Pendant qu'à l'Est les plus nombreuses
     Courent les peines d'un délit.

495
     Avec succès ne se polit
    De magistral plan de relance
 Qu'au son du Rock qui démolit
La bonne humeur par la violence.

Une main tient notre balance
 Et la remplit de fruits kiwi
    Tant qu'il lui faut notre silence
     Pour affamer le Malawi.

496
     La cible d'un scandale inouï
    Semble mousser un vent de gauche,
 Mais l'électeur tout ébloui
Vote à nouveau pour son embauche.

Un beau programme ne s'ébauche
 Sur le papier d'un technicien
    Qu'en autant que son emploi fauche
     Bien plus d'emplois de musicien.

496
     La gueule verte du martien
    Se fait toujours plus accrocheuse
 Pour que la peur du Grand Ancien
Passe pour trop moyenâgeuse.

La couverture nuageuse
 Rehausse tous les faux débats
    Pour que la tête trop chercheuse
     Semble toujours voler trop bas. 

498
     Dans la musique des noubas,
    Se produit ton chanteur de charme
 Sur fond du bruit d'affreux combats
Et des trompettes de l'alarme.

Chacun y craint ta moindre larme
 Que pour tenter de racheter
    L'autorité qu'elle désarme
     Vend tant d'objets prêts à jeter.

499
     Le professeur peut contester
    Les profiteurs de l'inconscience
 Pour mieux se faire détester
Par le plus clair de son audience.

Tu n'as en fait pas d'autre science
 Que l'art de me jeter en bas
    Pour découvrir la Sainte-Alliance
     Des chefs de tous les faux débats.

500
     L'apprentissage des ébats
    Au fil des films pornographiques
 Fait piétiner d'un oeil plus bas
Les amours les plus magnifiques,

Entre autres nos amours uniques
 Dont pour éteindre les bons becs
    Les maîtres des cités iniques
     Me donneraient tous leurs kopeks.


      Le Tiers-Monde

501

     Ô reine de tous mes échecs,
    Entraîne-moi à boire encore.
 Quand les régimes se font secs,
Ce sont tes larmes que j'implore.

Les intérêts du Minotaure,
 La chair des jeunes de son vœu.
    La banque au lion ailé que dore
     Le Tiers-Monde à sang et à feu.

502
     Pour peu qu'un cœur ose un aveu
    Aucune oreille ne s'arrête
 Sauf pour traiter de trop vieux jeu
Le labyrinthe où il s'entête.

Pourquoi ne fait-il pas la fête
 Sous le vacarme stéréo
    Et cherche-t-il toujours la bête
     En marge des jeux vidéo?

503
     Pourquoi donc quand sous le préau
    L'orchestre fait un grand battage,
 Craint-il toujours qu'un grand fléau
S'abatte sur sa tête en rage?

Pourquoi quand brille le mirage
 Sur les baigneuses en sommeil
    Écoute-t-il au loin l'orage
     Plutôt que de fondre au soleil?

504
     Le chant trop dur de son réveil
    Tournant en blague coutumière,
 C'est dans son plus simple appareil
Qu'il se présente à la lumière.

Remontant comme une rivière
 Sa vie où il a divagué,
    Il veut changer sa tête fière
     Pour une main au doigt bagué.

505
     Oubliant combien fatigué
    On fut d'entendre sa complainte,
 Chacun se dit très intrigué
De voir son air changer de teinte.

Bizarrement chacun dit sainte
 Sa voix naguère sous l'écrou ;
    De sa tendresse on a grand crainte.
     On préfère en faire un gourou.

506
     Quand la louange peu ou prou
    À le jeter du ciel échoue,
 C'est du beau monde le courroux
Qui tient son insouciance en joue.

On dit le jeu où il s'ébroue
 Le moins utile au bien d'autrui ;
    Lui sait sa pousse dans la boue
     Promettre un vrai futur bon fruit.

507
     Il a beau vivre sans grand bruit,
    À servir d'aide de cuisine,
 On clame qu'il n'a rien construit
Ni même été dans une usine.

Quand sa figure enfin dessine
 Les traits d'un beau jouvenceau noir,
    Ses proches craignent qu'on destine
     Sa chair trop tendre à l'abattoir.

508
     Les trop beaux jeunes se font voir
    D'un connaisseur qui les décore,
 Le lendemain ils vont échoir
En nourriture au Minotaure.

C'est au Tiers-Monde que dévore
 La banque au lourd taux d'intérêt
    Qu'un trop beau rire en train d'éclore
     Semble mener comme un décret.

509
     Le monde ne se sent pas prêt
    D'y suivre la chanson folâtre,
 On la met en maison d'arrêt
Ou sous la griffe d'un psychiatre.

Sous la mauvaise humeur saumâtre
 Qu'on lui injecte pour son bien,
    L'acteur se dit que le théâtre
     Était tragique et ô combien.

510
     Il se dit qu'il avait fait bien
    De pourchasser partout la bête ;
 Son intuition ne valut rien :
La preuve est maintenant honnête.

L'âme qui peine et qui s'apprête
 À mettre le grand monde en feu
    Doit d'abord d'une simple fête
     Faire le plus chaleureux vœu.


      Le Malheur

511

     C'est en passant à un cheveu
    D'aller au monstre qui dévore
 Que j'ai bien vu le double jeu
De l'ennemi qu'on subodore.     

Le long crachat que j'expectore
 Aux réalistes du malheur
    Voulant calmer le Minotaure
     D'autres envois de gars en fleur.

512
     Plus j'ai joué d'un ton râleur
    Les tragédiens les plus grandioses,
 Plus m'a marqué cette pâleur
Ne laissant voir que mes névroses.

Plus le langage de mes proses
 Se faisait noble et alarmant,
    Plus sur la crasse de mes choses
     Le monde allait me renfermant.

513
     Plus augmentait au détriment
    Des derniers pas de mon folklore
 Les salves et les hurlements
Du monstre que l'argent implore,

Plus on disait qu'ici encore
 Au moins le monde est à l'abri
    Du croc du monstre qui dévore
     Tant qu'on n'a rien contre son cri.

514
     Plus j'y allais de mon haut cri
    Que vendu tout notre silence
 Plus nul ne serait attendri
En nous voyant sous sa violence,

Plus je disais sous l'arrogance
 Des chefs de banque canadiens
    Voir notre propre décadence
     Vers le niveau des Tiers-Mondiens,

515
     Plus dans la gueule des gardiens
    Et des commères de l'envie
 Me répétaient les quotidiens
Et leur lecture bien suivie,

Que ne connaît rien à la vie
 Qui trop en jouit à satiété
    Au point qu'en rage il y convie
     Le reste de la société.

516
     Plus dans le cœur bien arrêté
    Des anciens professeurs de grève
 M'ordonnait la publicité
Des meubles de leur nouveau rêve

De consommer l'époque brève
 Jusqu'au dernier trip de coca
    Jusqu'à ce qu'en effet l'achève
     La peste ou bien le bazooka.

517
     J'allais enfouir au Mont d'Oka
    Ma voix que trop de rage plombe
 Quand une nuit contre-attaqua
La flamme dont je suis la bombe.

J'avais grand crainte que la trombe
 Laissât mon cœur carbonisé.
    C'est mon plumage de colombe
     Qui a pris le teint opposé.

518
     Je me suis cru le préposé
Au numéro de l'hirondelle
 Emportant le printemps rosé
Dans le sillage de son aile.

J'ai chanté ma saison nouvelle
 Le temps d'un dégel de janvier.
    J'allais jeter mon long libelle
     Dans le vortex de mon évier.

519
     Plus je me suis mis à convier
    Le monde à mon bonheur de reine,
 Plus lui m'accuse de dévier
Du devoir mâle de la haine.

Ma tête en feu d'acétylène
 M'a fait passer pour excessif,
    Mon bonbon bleu de méthylène
     Lui semble encor plus subversif.

520
     Puisqu'il me faut être agressif
    Pour plaire aux gens de cette terre,
 Mon corps qu'ils trouvent trop passif
Est un bolide sur son erre.

Quand l'amour même fait la guerre,
 La route du moins grand malheur
    Est une impasse où on s'enserre
     Et où s'étiole toute fleur.


      Le Convoi

521

     Quand tu survins comme un voleur
    Et me fis voir ta scène osée,
 C'était le don de ta valeur
Face au concert de la risée.

Le convoi morne de Thésée
 Voilé de crêpe vers Minos,
    Ma promenade malaisée
     Sous les corniches de Patmos.

522
     Si sombre que soit mon éthos,
    Laisse des mots de son empreinte
 Jaillir le charme et le pathos
Prometteurs de ta douce étreinte.

À la figure au soleil teinte
 De la couleur du drapeau noir,
    On reconnaît l'âme assez sainte
     Pour la croisière du Grand Soir.

523
     C'est quand on a su bien l'asseoir
    Sur un amour que le temps frustre
 Que le plus dur sens du devoir
Mène au prodige qui l'illustre.

Ici tout rire un peu moins rustre
 Semble la marque du paumé ;
    Au cœur de ma cité lacustre,
     Fais un dessin mieux animé.

524
     Les doux rêveurs ont trop ramé
    En vain dans l'eau de la mort lente ;
 Du cauchemar tout programmé
Fais-moi jouer la fin violente.

On se noie en chaise roulante
 Dans l'océan de la rancœur
    Faute de bête plus parlante
     Où projeter celle du cœur.

525
     Pour encercler d'un gros marqueur
    Le mal qui dans un coin nous tue,
 Il faut laisser sembler vainqueur
Un tyran que chacun situe.

Le monde où l'homme s'évertue
 À vivre mieux ne le veut pas.
    Le monstre au bout de ma battue
     Redressera plus d'un compas.

526
     Ce pays faux dont les appas
    Parlent de vivre et laisser vivre
 Mène en cabane et à trépas
Le jardinier de fleurs de givre.

Il n'est piqûre qui délivre
 Des disques de notre fierté
    Que le spectacle d'un peuple ivre
     De cracher sur la liberté.

527
     Plus tôt chacun est alerté,
    Plus loin il pourra prendre fuite
 Avant que l'âge ou la cherté
Ne le contraigne à voir la suite.

Ce n'est pas tant la foi détruite
 Qui fait le noir de mon drapeau
    Que la lumière dont est cuite
     Quand elle s'ouvre au jour ma peau.

528
     Je vogue au rythme d'un pipeau
    Que le vulgaire croit funèbre ;
 Quand en mineur chante l'appeau
Il appelle à l'amour célèbre :

Le ciel qui gronde et s'enténèbre
 Semble parler de punition ;
    C'est quand soudain l'éclair le zèbre
     Que me rassure ma passion.

529
     L'arme absolue est la fission
    Du sermon qui accable l'homme
 Par le tracé de la mission
Qu'on dit à tort mener à Rome.

Quand ton si bon plaisir m'assomme,
 Je pleure après tes sept douleurs,
    Comme ton corps de jais consomme
     Les traits de toutes les couleurs.

530
     Seule la peur de nos chaleurs
    Que fait monter tout pleur qui perce
 Force à réduire nos malheurs
Les magiciens du grand commerce.

À meilleur prix on ne nous verse
 Du vin de l'Île de Samos
    Que de peur que sinon traverse
     Le cri de l'Île de Patmos.


      Premier Juillet

531

     Si déluré que soit l'éthos
    Fédéraliste que j'énonce,
 J'entends l'orchestre du cosmos
Répondre au chant de ma semonce.

Mon écritoire sous la ronce
 À l'ombre d'un figuier douillet,
    Sa couleur tendre qui annonce
     La chaleur proche de juillet.

532
     Chacun fait vœu d'un doux billet
    Pour le spectacle du solstice ;
 Mais qui donc au premier juillet
Saura s'offrir en sacrifice?

Comment donc faire le délice
 Des bleuetières d'Arvida
    Quand on se voit mis au service
     De l'unité du Canada?

533
     J'en connais qui jusqu'à Ouiddah
    Fêtent l'espace francophone,
 Mais nul n'enfourche de dada
Que pour la main qui subventionne.

Quand les joueurs de saxophone
 Ne semblaient plaire qu'aux voyous,
    Entraînaient-il leur épigone
     Ailleurs que sur de durs cailloux?

534
     Vers la Louisiane des bayous
    Est déporté tout coeur trop vaste.
 Face à l'ensemble des youyous
Le sacre a droit au seul contraste.     

Seule une étoile très néfaste
 Peut plaire aux dames d'Ottawa,
    Mais il faut être pédéraste
     Pour chanter pour le Québec coi.

535
     Si l'Anglaise aime un corps bien froid,
    C'est un enfant qu’un Français baise.
 C'est la même mauvaise foi
Qui met les deux parlers à l'aise.

J'avais voulu par notre ascèse
 Joindre en un seul les deux penchants,
    Et à la même catéchèse
     Faire assister les deux marchands.

536
     Si l'un s'éprend d'enfants touchants,
    L'autre prend d'Agatha Christie
 Les regards bêtes et méchants
Dont son église s'est bâtie.

À cette union bien assortie
 Ne manquait que ton doigt bagué,
    Mais, ô surprise, la partie
     S'avère être un mariage gay.

537
     Le sang du destin conjugué
    S'avère être une feuille morte.
 On décore un vieux déglingué
Afin que le pays avorte.

Le temps que l'ouragan emporte
 L'acte impossible à consommer,
    De ton peuple autre qui m'escorte
     Je nous ferai enfin aimer.

538
     Celui qui crut bon me nommer
    Un nègre blanc de l'Amérique
 Se doutait-il de me semer
Sous ton soleil peu touristique?

Seul ton haut lieu problématique
 A déjà fait le bon accueil
    À cette langue romantique
     Qui veut revivre en ce recueil.

539
     Le Québec lutte avec orgueil
    Pour une langue qu'il dédaigne.
 En devra-t-il faire son deuil
Pour que l'hymen déchire et saigne?

Mais ne remets à son enseigne
 L'anglais qui tant le rebuta,
    Qu'avec les cris de musaraigne
     De son accent de Calcutta.

540
     En cet égout pour habitat
    Se dresse ton infâme temple
 De même qu’en ton triste état
Le peuple jouit à ton exemple.

Pour leur union que je contemple
 Ici en ce premier juillet,
    D'un geste magnifique et ample
     Reçois ici ce doux billet.


      Les Canadiens

541

     Chacun empoche un bel œillet
    Pour ne plus écouter nos peines.
 Plus nul ne tape du maillet
Quand on se tape les bedaines. 

Les péristyles blancs d'Athènes
 Où discouraient les tragédiens.
    Les larmes de nos Madeleines
     Pour réveiller les Canadiens.

542
     Nos chaînes et nos quotidiens
    M'écrasent tant sous leur ordure
 Que les plus mauvais films indiens
Eussent rendu ma voix dure.

Dans ce qu'on dit notre culture
 Seul fait fortune le pourri.
    Une authentique dictature
     M'aurait sans doute mieux nourri.

543
     Tant me fait mal l'amphigouri
    Dont mon peuple avachi se berce
 Que le ciel m'eût bien mieux souri
Sous les coupoles de la Perse.

Quand le gérant d'un grand commerce
 Prends l'argent du compte courant
    Pour financer sa foi perverse,
     On veut passer pour tolérant.

544
     Entends pleurer le Saint-Laurent
    Par où le continent excrète
 Son miasme le plus écœurant
Jusqu'à ce qu'un beau jour tout pète.

Tant que le peuple le rouspète,
 Un songe reste toujours creux.
    Un mur ne craque à la trompette
     Que résonnant du souffle hébreux.

545
     Les meilleurs vœux des plus nombreux
    Disant le jour de gloire proche
 Enterrent les vrais gestes preux
Tant craints par le pouvoir fantoche.

Quand le public instruit décroche
 En quelques jours tous ses drapeaux,
    Là seulement enfin s'approche
     Le soir qu'il craint fort à propos.

546
     C'est quand il semble en tel repos
    Qu'à un mollusque on le compare
 Que le peuple est le plus dispos
À ce qu'un monstre s'en empare.

Le grand spectacle qu'il prépare
 Est déjà d'un goût si hideux
    Que s'il faut bien qu'il se sépare,
     C'est non d'un autre mais en deux.

547
     C'est son rendez-vous hasardeux
    Qu'avec le monde ici j'apprête,
 Car à un peuple cafardeux
Vient non la belle mais la bête.

Le déclencheur de la tempête
 Ne sera pas une scission,
    Mais le grand vœu d'avoir ma tête,
     Premier noyau de sa fission.

548
     Ta ville meurt d'inanition
    Pour avoir ton plus vaste temple.
 Ton île est en démolition
Pour trop bien jouir à ton exemple.

Pour leur union que je contemple
 En ce pays qui croit m'avoir,
    D'un geste magnifique et ample
     Prends réception de ce devoir.

549
     Pour ta fin de non-recevoir
    À ceux qui veulent qu'il se scinde,
 Fais de mon peuple un peuple noir
Parlant aussi l'anglais de l'Inde.

Comme le beau parler se guinde
 Aux fêtes du premier juillet,
    Fonds le mensonge qui le blinde
     Aux larmes de ce doux billet.

550
     À discourir comme un œillet
    En vain se bat le pacifiste.
 Le film d'horreur qui sommeillait
Plaira au rouge et au fasciste.

Quand passera ma chanson triste
 Sous le croc de nos comédiens,
    On devra me sacrer artiste
     De l'unité des Canadiens.

      Le Salon de l'Ésotérisme

551

     Sous le ciel des maîtres indiens
    Plus d'un chercha une sortie,
 Pour ne plus être des gardiens
Du but final de la partie.

La classe instruite convertie
 Par l'astrologue du salon,
    Comme autrefois par la Pythie
     Du sanctuaire d'Apollon.

552
     Quand on pousse un sanglot trop long
    Dans les brouillards de la détresse,
 On pose pour diachylon
Le mot d'une devineresse.

Elle prévoit avec adresse
 Un grand amour, un bon métier,
    Mais se fait la plus vengeresse
     Pour le restant du monde entier.

553
     Chacun se met sur le sentier
    De sa toute petite affaire
 En pillant dans le grand chantier
Du monde qu'il voulait refaire.

Celui qui exigea du père
 Des lendemains si triomphants
    Laisse couler dans la misère
     Son frère et ses propres enfants.

554
     Mène-moi là où tu pourfends
    Les maîtres de l'ésotérisme ;
 Sachons sonner les olifants
Qui mettront fin à leur charisme.

En passant tout le ciel au prisme,
 Ils ne découvrent de chemins
    Qu'à la lueur du cataclysme
     Qu'ils font pleuvoir sur les humains.

555
     J'ai perdu tous les parchemins
    D'enseignement de leurs algèbres
 Faute d'avoir la tête aux mains
Des gestionnaires des ténèbres.

Seuls les très riches et célèbres
 Sont dignes de leur attention,
    Mais le troupeau paissant des zèbres
     Est là pour leur chambre et pension.

556
     En délaissant toute invention
    Au cours trop apparent des astres,
 On loue un  camp de détention
Pour la beauté de ses pilastres.

On est du camp des médicastres
 Qui au lieu de vouloir guérir
    Dressent les plans et les cadastres
     Selon lesquels on doit périr.

557
     Mais quand on m'en veut de chérir
    Ton ciel de nuit rempli d'images,
 La science qu'on croit bon quérir
Cause d'encor plus grands dommages.

Nul n'entre dans le camp des mages
 Monopoleurs des guérisons
    Qu'en promettant ses bons hommages
     Aux fabricants de nos poisons.

558
     Quand dans mes grandes pâmoisons
    Mes accents se font hébraïques,
 J'en veux à toutes les prisons
Dont les gardiens sont trop stoïques.

J'en veux bien sûr aux mosaïques
 Prétendant dire des secrets,
    Mais plus encore aux fois laïques
     Prétendant aux seuls faits concrets.

559
     Tous les savoirs par trop abstraits
    Disant construire un nouvel âge
 Ne font que vendre les attraits
D'un autre et pire Moyen-Âge.

En trente-trois un monstre en rage
 Eut la Bavière pour berceau,
    Lieu et année où plus d'un sage
     Attendait l'Ère du Verseau.

560
     Entends sur scène le pourceau
    Qui improvise et crie  « hostie! ».
 Sous l'air vulgaire du morceau,
Vois le grand but de la partie.

Quand notre élite pervertie
 Trouva le peuple trop colon,
    Elle alla voir une Pythie
     Digne du temple d'Apollon. 


      Les Magiciens

561

     Entends tonner le gros flonflon
    Composé pour le Roi des elfes ;
 Vois éclairer le grand salon
Animé par les Philadelphes.

Mon sentiment qu'alors à Delphes
 Parlait l'argent des Phéniciens
    Que firent continuer aux Guelfes
     Leurs successeurs les Vénitiens.

562
     On rend un culte aux patriciens 
    De l'illusion technologique,
 Mais dans les temps les plus anciens
Sévissait le même art magique.

C'est un concert démagogique
 Sans autre but que d'écraser,
    Contre lequel l'acteur tragique
     Est le seul pion à opposer.

563
     Nul lieu ne peut neutraliser
    Complètement son influence,
 Mais en certains on sent peser
Sa dictature sans nuance.

Son seul souci est l'assurance
 Qu'aussi peu d'hommes que se peut
    Auront l'audace et l'endurance
     De vouloir ce que leur cœur veut.

564
     Chaque chanteuse qui s'émeut,
    Chaque savant qui s'évertue,
 Chaque Tristan qui cherche Iseut
Fait la lumière qui le tue.

Il sait qu'au pas de la tortue
 Le file une chanson d'amour,
    Et qu'à la fin de la battue
     Il devra poindre dans la cour.

565
     Il aura beau battre tambour
    En face de sa voix coupée,
 Le simple souffle du grand jour
L'achèvera mieux qu'une épée.

Par lui la terre est occupée
 À s'entre-déchirer son pain
    De crainte qu'à notre équipée
     Ne pense plus d'un bon copain.

566
     De la marmite de Papin,
    Quelque couvercle qui la plombe,
 Ou la serrure du grappin,
Vient un degré qui la fait bombe.

Quand on croit vivre en une tombe
 Tant au suicide pousse l'air,
    On fait le vœu de cette trombe
     Qui le rendra plus vif et clair.

567
     Quand le grand humaniste Blair
    Ne blaire plus que les termites,
 On rêve d'un nouvel Hitler
Pour dire qu'il y a des limites.

Au nouveau monde tu m'invites
 À présenter un autre chef
    Là seulement, où tu habites,
     Je descendrai d'aéronef.

568
     Sur le parvis de Saint-Joseph
    Que le soleil couchant caresse,
 Saurai-je voir l'instant si bref
Du rayon vert de ta promesse?

N'attendons pas une kermesse
 Que de Bavière on parodiât.
    Cette fois-ci la grande messe
     Ne quittera pas les médias.    

569
     Tant de puissance on leur dédia,
    Trouvant l'Église trop sévère,
 Que les voilà un immédiat
Gouvernement totalitaire.

Que reste-t-il donc pour faire
 Échec aux boss du mauvais sort
    Que de lancer leur grande affaire
     Avant le seing de leur accord?

570
     Des ouragans ayant du Nord
    Pris les modernes par surprise,
 Reste un troisième bien plus fort
Que l'on ne croit encor que brise.

Mais pourquoi pas quand de Venise
 Soufflent les mauvais airs anciens,
    Quand dans un fjord sous la banquise 
     Oeuvrent de pires magiciens?


      Venise

571

     Les peintres et les musiciens
    Dont à Venise on fait parade,
 Pour occulter les patriciens
Qui nous refilent leur salade.

Les beaux choreutes de l'Hellade
 Dansant au son des bouzoukis
    Pour soulager mon cœur malade
     Des lourds concerts des Suzukis.

572
     Lorsque j'aurai enfin acquis
    Ton art de dire qui désarme,
 Les gens de ce pays conquis
Tireront le signal d'alarme.

Qu'on soit sans crainte, je n'ai d'arme
 Pour déclencher les grands combats
    Que la remise au jour d'un charme
     Emprisonné dans les noubas.

573
     Quel garde a vu un branle-bas
    Prometteur de plus gros tonnerre
 Qu'un trop plein de ferveur en bas
De la ceinture qu'il resserre?

Il voudrait réserver la terre
 Aux membres de sa société ;
    Je suis trop faible pour sa guerre,
     Trop mou pour en être exploité.

574
     J'ai perdu la capacité
    D'en être la langue menteuse,
 Quand ton amour m'a incité
À être sa partie honteuse.

Comme la femme est trop frotteuse
 Et ne veut plus avoir d'amant,
    Je trotte comme la trotteuse
     D'une bombe à retardement.

575
     C'est non pas un gouvernement
    Qu'il me faut vaincre en tant qu'artiste,
 Mais une secte réclamant
En vain la fête de Baptiste.

Plus l’artiste a le mot gauchiste,
 Plus insipide est son morceau,
    Plus c'est la même chanson triste 
     Qui tient la terre en son cerceau.

576
     Lorsque j'aurai comme un pourceau
    Bien joué dans la fange du monde,
 Fais-moi sauter sur le Verseau
Qui fait pleuvoir sa mauvaise onde.

S'il faut que ce péan réponde
 À ceux de la perfide Albion,
    C'est partout où la foi se fonde
     Sur le signe opposé au Lion.

577
     Au temps du livre du Million,
    La bête entretenait Venise,
 Avant de prendre le galion
Qui l'emmena sur la Tamise.

Ne permets donc plus que Venise,
 Ce port de style si bâtard
    Où tout ne fut que marchandise
     Passe pour une cité d'art.

578
     On vanta sous son étendard
    La liberté de ses flottilles,
 Mais pour les lettres du mouchard
Ses murs ont tous des écoutilles.

Quand dans ses bruits pour des vétilles
 Prennent refuge les chorus,
    Ce sont des plans pour des bastilles
     Qu'au monde entier on vend motus.

579
     J'entends pleurer comme un anus
    Le grand canal que tu surveilles ;
 J'y vois mourir au terminus
Tant de promesses de merveilles.

Veille qu'au terme de mes veilles
 Je reste dans les clairs-obscurs ;
    Nos murs aussi ont des oreilles,
     Et nos oreilles sont des murs.

580
     Quand les premiers soleils futurs
    Enfin refont un grand spectacle,
 De tous les petits hommes durs 
Coulent les baves en débâcle.

Contre le chant de cet oracle
 Chanté au son des bouzoukis,
    S'uniront comme par miracle
     Tous les chauffeurs de Suzukis.


      Le Monstre Odieux

581

     Pour fuir le bien si mal acquis
    Par le patron qui nous surveille,
 Emmène-moi dans ton maquis
Faire le mal qui t'émerveille.

Cet air nordique qu'ensoleille
 Mon cri de guerre au monstre odieux,
    Près de ma plume une bouteille
     Du vin le plus aimé des dieux.

582
     Au clair de ce grand soir radieux
    Qui luit au bout de mon allée,
 Rends mes sanglots plus mélodieux
Face à la glace accumulée.

L'onde enfin libre et défoulée
 A beau former plus d'un ruisseau,
    L'embâcle au bout de sa coulée
     Ne peut céder que d'un morceau.

583
     Au signe fixe du verseau
    S'accroche en vain la foi hippie ;
 En devenant ton vermisseau,
Je saurai la mettre en charpie.

À l'université impie,
 Je ne suivrai pas d'autre cours
    Que ton tonnerre qui épie
     La voix en quête de secours.

584
     C'est quand le chant de leurs amours
    Est menacé d'horreurs certaines
 Qu'on voit enfin des troubadours
Prendre place auprès des fontaines.

Comme jamais n'en vit Athènes
 Fleurissent les talents nouveaux,
    Mais les seuls films les plus quétaines
     Ont la faveur des gros cerveaux.

585
     Les censeurs baissent leurs niveaux
    Quand la tendresse enfin s'étale,
 Et non quand dans les noirs caveaux
La nudité est plus totale.

La drogue ne fait plus scandale.
 On n'en veut plus qu'aux trop gros cœurs :
    L'ébriété qu'on dit mentale
     Fait rager bien plus de moqueurs.

586
     Ce n'est plus l'âme des liqueurs
    Qui met en veille la police,
 Elle a l'oeil rivé aux marqueurs
De l'ingrédient d'un autre vice.

C'est la main que tend Béatrice
 Dans l’enfer que vit l’écrivain ;
    C'est sa caresse admiratrice
     Qui fait qu'on l'injurie en vain.

587
     C'est l'amour fait par le bovin
    À ta hauteur spirituelle ;
 C'est le frou-frou du pleur divin
Sur ton image sensuelle.

Il a beau mettre à la ruelle,
 Il fait marcher d'un pas de roi ;
    Un grand danger de mort cruelle
     Ne fait que l'augmenter en soi.

588
     Au clair de l'offre de l'emploi
    Qui je postule en ce poème,
 On dira de mauvais aloi
Quelque expression qui fait qu'on aime.

Chaque fleur que ton amour sème
 Fait rêver de révolution ;
    Pour reporter ce gros problème,
     L'état se ruine en subvention.

589
     Plutôt que de faire attention
    De ne froisser l'âme trop bonne,
 On rayera de la nation
Tout corps qui tant soit peu rayonne.

Les éditeurs de l'Hexagone
 Ont jugé bon de m'oublier ;
    Je crois que ceux du Pentagone
     Tarderont moins à publier.

590
     Une autre fois pour se plier
    Aux ordres d'un certain ancêtre,
 On a mis sous le bouclier
Une autre étoile en train de naître.

Je me suis dit qu'il est peut-être
 Mieux de laisser au monstre odieux
    Lui-même soin de reconnaître
     Ses ennemis les plus radieux.


      Le Cosmos

591

     C'est nappé de ton insidieux
    Et âcre parfum de négresse
 Que je devine ton studieux
Plan de bataille qui progresse.

Les vignes nobles de la Grèce,
 Nectar qu'incarne le Samos.
    Le raisin d'or que le pied presse
     Au péristyle de Patmos.

592
     Ô cible de mon doux éros,
    Fais que ta scène dégourdie
 À défier les lois du cosmos
Vienne à bout de ma tragédie.

Fais que le terrible incendie
 Ravageant tout le pays grec
    Tourne à la douce mélodie
     Dont je cherche à sucrer mon bec.

593
     Seul peut mouiller un terrain sec
    Où veut fleurir en vain la rose
 L'eau vive qui ne pleut qu'avec
Les pleurs qu'exprès son amour cause.

Pour que ma ville se repose
 Du grand bruit de son rodéo,
    Enclenche après la courte pause
     Le mécanisme du fléau.

594
     Aux enfants-fleurs sous le préau
    Permets que je serve un breuvage
 Dont sur les chaînes vidéo
Nul n'a encore eu le message ;

Noire Erzulie, à ton ombrage
 Je danse de tout mon élan,
    Permets qu'au bout de ton passage
     Je sois ton plus beau cheval blanc.

595
     J'ai plus ou moins suivi ton plan.
    Je ne suis pas amant modèle ;
 J'ai trop longtemps tiré au flanc.
Mais suis-je pas toujours fidèle?

Dis « Viens! » à moi, ta haridelle.
 J'ai mis en vente mon bazou ;
    Vois mon crin blanc qui étincelle
     Dans l'atmosphère de grisou.

596
     Si petit que soit mon gazou
    Je ferai face à la musique ;
 Mets dans le jus de ton bisou
Ce qu'il faut de potion magique.

Retire mon grand air tragique
 Du plus profond de mes poumons ;
    Fais-moi foncer sur la logique
     Où nous enferment les démons.

597
     Vois pondre et mourir les saumons
    Au bout du fil de la rivière ;
 Sous le barrage des sermons
Permets qu'éclate ma prière.

Ne me laisse pas sans lumière
 Face aux éclairs au magnésium ;
    Fais que le jeu de ma première
     Fasse oublier le millénium.

598
     Ne laisse pas sur le lithium
    Mourir les fleurs de nos folies ;
 Aux vibrations de ton médium
Meurent plus de mélancolies.

Premier cheval que tu délies,
 Je fais ton numéro spécial ;
    Dernier brin que tu exfolies,
     Je réponds à ton cri nuptial.

599
     Y en aura pas de commercial.
    Nous allons tuer la bête blonde ;
 En pratiquant ton art martial,
Je saurai mettre fin au monde.

J'entends ton peuple qui me gronde
 Et mon ogive en lui darder ;
    Ah! J'ai si peur de la seconde.
     Mais rien ne sert de retarder.

600
     Entends mon cœur que font barder
    Et envoyer sitôt en rage
 Les livres voulant tous farder
Le sens de ton si clair message.

La drogue du plus beau voyage
 Qu'incarne le vin de Samos
    Confère seule le courage
     Pour tenir tête au grand cosmos.


      Orage Hyperboréen

601

     Vois se dissoudre mon éthos
    Quand tu fais voir ta taille fière ;
 Quand je me perds dans le pathos
Fais voir le fil de ma croisière.

Le blé ployant sous la lumière
 D'un ciel méditerranéen ;
    Les coups que frappe à la chaumière
     Un orage hyperboréen.

602
     Quand dans un théâtre égéen
    Mes yeux trop amoureux te guettent,
 C'est sous ton ciel dit guinéen
Que mes deux peuples me rejettent.

Anglais et Français nous remettent
 Les cors et cris de leurs légions ;
    Sachons que de tels bruits promettent
     Plutôt un choc de religions.

603
     Peu savent que dans nos régions
    Et non en quelque Palestine
 Tes délicieuses contagions
Ont fait leur œuvre clandestine.

De nos amours l'Anglais s'obstine
 À craindre nul ne sait quel tort
    Qu'à coup d'argent il procrastine
     Sous le couvert d'un faux accord.

604
     Puisqu'au Québec on met à mort
    Tout ce qui sort de l'ordinaire,
 J'ai prié pour ton mauvais sort
Lancé d'Afrique lagunaire.

Quand passe pour réactionnaire
 Le trop bon mot de ma leçon,
    C'est à ta plèbe débonnaire
     Que je raccorde ma chanson.

605
     Le savoir-faire d'un maçon
    Ne peut que nuire à mon ouvrage ;
 Dis-moi quoi faire pour façon
À ton terrible peuple en rage.

En son ruisseau où ton orage
 Emporte à l'eau le moindre plan,
    Permets qu'au bout de mon naufrage
     Me laisse enfin tomber mon clan.

606
     En me montant pour cheval blanc
    Tu feras tes plus belles crises ;
 Pour mériter d'être à ton flanc,
Il faut braver ta cour d'assises.

Dans l'embarras du choix d'églises,
 Sept seules sont de bonnes fois.
    La première, où tu m'électrises,
     M'a enseigné l'esprit des lois.

607
     J'ai n'ai su taire les abois
    Des chiens de garde de l'angoisse
  Qu'au son de tes tambours de bois
Dont le prédicateur se froisse.

Là m'a admis en sa paroisse
 Ta douce religion de nuit
    Pour qu'au creux même de ma poisse
     Repousse notre espoir détruit.

608
     C'est à la percussion du bruit
    Qui cherche à nous mettre en charpie,
 Que je répéterai le fruit
De ce qui fut notre œuvre pie.

En entendant cette copie
 Des hauts cris de ton cœur qu'on fend,
    Notre nation si accroupie
     Dansera d'un air triomphant.

609
     Alors la bande qui défend
    Cette prison qui nous enserre
 Aura sonné de l'olifant
À tous les traîtres de la terre.

Sitôt le culte du tonnerre
 Rendu à la fécondité,
    Ce qu'on appellera la guerre
     Des deux lis aura éclaté.

610
     Le lis blanc pour la chasteté.
    Le rouge feu pour le martyre
 Que l'amoureux trop excité
De la part du premier s'attire.

Que ce pays enfin soupire
 D'un air méditerranéen,
    Contre-attaque un mondial empire
     Sous son ciel hyperboréen.


      Le Préau

611

     Quand au public marmoréen
    Ma bouche cherche en vain à plaire,
 C'est d'un nuage péléen
Que vient l'odeur que mon nez flaire.

La trompette et la caisse claire
 Qu'on fait sonner sous le préau,
    Le groupe rassemblé sur l'aire
     Prêt pour la danse du fléau.

612
     C'était la même météo
    Quand, sous la dépression profonde,
 La riche Montevideo
Se retrouva dans le Tiers-Monde.

Pour que ce sort triste et immonde
 Soit évité au Canada,
    Fais que j'exerce ma faconde
     Au péristyle de Ouiddah.

613
     C'est en ce temple que blinda
    La fange où on le voit paraître
 Que ton corps noir qui m'obséda
M'a fait laisser l'avoir pour l'être.

Laisse les chèques de bien-être
 Aux clients des petits tripots :
    Fais qu'en ton cœur brisé j'empêtre
     La haine des payeurs d'impôts.

614
     C'est quand il semble en tel repos
    Qu'on le croit à jamais de glace
 Que le peuple est le plus dispos
À nous huer sur la grand place.

On va disant que son audace
 Est morte un soir de quatre-vingts
    Sans voir que pour rugir la masse
     Doit nous vomir dans les ravins.

615
     C'est aux cow-boys les plus bovins
    Et non aux autres forts en rimes
 Que les influx les plus divins
Aiment remettre leurs victimes.

C'est aux petits chasseurs de primes
 En manque d'ordres de la cour
    Que comme le plus grand des crimes
     Se donne le plus grand amour.

616
     Pour que ne tourne pas au four
    Cet opéra si hystérique,
 Fais qu'en ta fosse le tambour
Résonne de toute l'Afrique.

Quand la trompette d’Amérique
 Est embouchée à tes poumons,
    Je danse enfin sur la musique
     Qui met en rage les démons.

617
     Je jette en mer les plus hauts monts
    En invoquant l'astre néfaste.
 Je mets en pièces les sermons
Composés par le pédéraste*.

Quand je demeure le plus chaste
 Au sanctuaire de ton flanc,
    Tu fais ton œuvre qui dévaste
     En me montant pour cheval blanc.

618
     Quand dans le parc du Vert Galant
    L'âme se dresse toute pure,
 C'est par un prêche noir sur blanc
Que se révèle enfin l'ordure.

Pour qu'enfin passe la figure
 De ce monde toujours plus gris,
    S'élève enfin la dictature
     Des cœurs qu'il a le plus aigris.

619
     Jamais pour l'air de tout Paris
    Je ne te trahirai, ma mie :
 Je ne veux pour pousser mes cris
Que le public de Jérémie.

De par sa foi qu'on dit vomie
 Par toute espèce de Bon Dieu,
    Nous lancerons l'épidémie
     D'où infecter tout autre lieu.

620
     Ce que le monde pense un pieu
    Où écrouer l'âme en souffrance
 Est en fait l'axe du milieu
Tournant autour duquel il danse.

Ne laisse plus Son Éminence
 Mettre la main à mon fléau.
    De retour à la souvenance,
     Marions-nous sous le préau.


      La Solution

621

     Afin que notre météo
    Cesse d'être toujours plus laide,
 Mets sur la carte de géo
Notre chanson qui crie à l'aide.

Le cri d'alarme d'Archimède
 Ayant trouvé la solution
    Au chant funèbre de l'aède
     En sortant de son ablution.

622
     Dans le brouillard de pollution
    De mon obscure métropole,
 L'âme prend pour résolution
Une conduite plus frivole.

J'avais ouï dire par l'école
 Qu'on ne dépose son émoi
    Dans la cassette d'une idole
     Qu'au préjudice de sa foi.

623
     Quand je vis resplendir sur moi
    L'étoile de bonne aventure,
 Je séduisis par cet envoi
Une fleur presque sans rature.

Elle vivait dans la nature
 À la manière des Indiens
    Et faisait la caricature
     De leur doux gestes quotidiens.

624
     Quand du concert des tragédiens
    Je revenais l'âme en détresse,
 De ses doigts tendres et gardiens
J'avais les pieds sous la caresse.

Quand nous conviait à la paresse
 La chaleur aux puissants accords,
    Nous nous étions fait la promesse
     De nous coucher toujours dehors.

625
      En dépit des immenses torts
    Que lui fait l'air chargé de suie,
 Sous les tonnerres les plus forts
Nous sortions pour bénir la pluie.

Dans l'eau du fleuve qui essuie
 Ma ville aux tristes alentours,
    Nous rattrapions la vague enfuie
     Vêtus de nos plus beaux atours.

626
     Nous ramenions à ses beaux jours
    La vague de la foi hippie
 Qui du ciel d'or aux noirs vautours
Rêvait de faire la copie.

En position bien accroupie
 Je cuisinais son plat voulu,
    Et de sa bouche de harpie
     Je dévorais alors la glu.

627
     Pour sa patrie elle eût voulu
    Que le grand Canada se scinde,
 Mais mon coeur avait résolu
D'en faire un bel état de l'Inde.


Pour que l'élite qui se guinde
 Ne brouille plus nos airs collants,
    J'ai fait prière que nous blinde
     L'ordre des castes et des clans.

628
     Ne laisse plus les tire-au-flanc
    Noyer nos rêves dans leur verre.
 Le doux refrain des Indiens blancs
Exige une terrible guerre.

Il n'est pour vaincre l'Angleterre
 Qu'un air de flûte aux doux froufrous
    En concerto pour son tonnerre
     Quand tu me prends pour cheval roux.

629
     Il n'est pour vaincre le courroux
    Du colonisateur barbare
 Que de le perdre au fond des trous
Où ton collage se prépare.

Ne permets pas qu'on se sépare
 Au trop bon mot d'un billet flou.
    La seule invention qui répare
     Est celle de la Crazy-Glue.

630
     L'amour collant d'un plus jaloux
    Et non ce bloc qui nous isole
 Nous fera faire un doux glouglou
Aux maîtres de la métropole.

Quand ce qu'on apprend à l'école
 Ne produit plus que pollution,
    Manger de la suprême colle
     Reste la seule solution.

      Les Médias

631

     C'est en passant par l'ablution
    De notre religion si raide,
 Que l'on fait la révolution
Que le bourgeois croit la plus laide.

Quelques tours de vis d'Archimède
 Dans le barrage des médias.
    Sous le béton qui d'un coup cède
     Un lac de brandons immédiats.

632
     Tout le temps que tu me dédias
    À enrichir mon florilège,
 À mots couverts tu incendias
Toutes mes notes de collège.

Tu me radias du privilège
 De diffuser sur le réseau,
    Permets qu'au bout de ton solfège
     Je puisse jouer de mon roseau.

633
     À célébrer comme un oiseau
    Ton galbe que mon œil débusque,
 Je passe sous le grand ciseau
Du moraliste qui s'offusque.

Mon grand talent jugé trop brusque
 Me vaut l'emploi d'un portefaix
    Qui de sa bouche un peu mollusque
     Chante des vers aussi parfaits.

634
     Quand je célèbre les hauts faits
    Ayant rendu son peuple libre,
 Je suis taxé par ses préfets
D'ennemi de son équilibre.

Le sens éthique dont je vibre
 Me fait passer pour animal ;
    Fais de moi l'homme de calibre
     Érigé en axe du mal.

635
     La nuit que m'a poussé au mal
    L'idole que je voulais mienne,
 Loin de la foi du trop normal
J'ai fui pour la mystique indienne.

Lorsque pour une moins que chienne
 Mon vers se fait le mieux poli,
    La cité de la joie ancienne
     Rend un grand culte à toi Kâli.

636
     Quand l’astre orange aura pâli,
    Couche-moi sous le toit de tôle
 Où ton visage si joli
Fait que l'horreur paraît si drôle.

Rends-moi ta mine qui enjôle
 Le missionnaire américain.
    J’échapperai à tout contrôle,
     En étant ton cheval rouquin.

637
     Par ton amour le plus coquin
    Fait au son du hautbois céleste,
 Je saurai vaincre le requin
D'un mot du juste qu'il déteste.

C'est ton sari ample et modeste,
 Non pas un pantalon moulant,
    Qui rendra bien choquant le geste
     Pour mettre à mal l'homme violent.

638
     C'est quand sous ton regard troublant
    Ma tête reste la plus chaste,
 Que le chant du métal hurlant
Cède enfin à un air plus faste.

Seul qui revêt l'air de sa caste
 Sans désirer d'autres atours,
    Peut espérer faire contraste
     Aux cris sans trêve des vautours.

639
     Quand on veut vivre trop d'amours
    Il n'est pas de paix sur la terre ;
 Quand les soldats sont troubadours
Le rock and roll nous fait la guerre.

Le mal qui nous vient d'Angleterre
 N'est pas le chant de ses marins,
    Mais sa guitare qui enserre
     Le monde dans ses souterrains.

640
     En retournant à leurs purins
    Les prêtres de la foi hippie,
 Nous saurons vaincre les parrains
De la mafia qui nous épie.

Ne permets plus que je copie
 Les dignitaires des médias.
    Cette œuvre qu'ils diront impie
     Vaut tes bons becs plus immédiats.


      L'Ambition

641

     Quand de bonheur tu m'irradias
    Au clair de ma nouvelle lune,
 En un éclair tu incendias
Toute intention non opportune.

Mon ambition si peu commune
 Que ni le sceau d'un président
    Ni le jonc de Dame Fortune
     Ne me rendraient moins dissident.

642
     Quand mon bon peuple décadent
    Jouit du spectacle de ma plonge,
 Je prends le mors en mon mordant,
En bon cheval noir sous ta longe.

Il n'est pour vaincre son mensonge
 Qui au bonheur fixe un plafond,
    Que de reprendre au mot le songe
     Que ses mots font et contrefont.

643
     Des voeux de désespoir qui font
    Sa foi qu'on veut que je respecte,
 Je crois atteindre le bas-fond
Où à ton jus je me connecte.

Cette entité qui nous affecte
 N'est pas l'esprit d'une nation,
    C'est l'âme noire d'une secte
     Qui met à mort toute passion.

644
     Le credo de sa confession
    Fut janséniste à l'origine,
 Mais depuis sa révolution,
C'est en Orient qu'il s'imagine.

Ce n'est ni l'Inde ni la Chine :
 C'est l'ombre jaune d'un grappin
    Qui fait à tous courber l'échine
     Et naître pour un petit pain.

645
     C'est la promesse d'un pépin
    Dès qu'un bon mot de vous s'envole,
 Et la menace du sapin
Pour tout esprit qui s'en désole.

C'est le diplôme d'une école
 Que seul obtient qui n'a rien lu ;
    Il n'est pour vaincre cette colle
     Que d'embrasser ton peuple élu.

646
     Le peuple que tu as voulu
    Nommer vainqueur de l'esclavage
 Est pour son fier exemple exclu
Du monde entier sur ton rivage.

Pour qu'y finisse le ravage
 Chacun s'y croit un président
    Que notre époque trop sauvage
     Eût oublié par accident.

647
     Lorsque devant le pneu ardent
    Il renonce à la dictature,
 Il veut pour son vers impudent
Le Nobel de littérature.

Souvent il vit de sa peinture
 Où il fait voir à l'étranger
    Les mille fleurs de sa nature
     Qu'il dut abattre pour manger.

648
     Mes gens m'y font voir le danger
    Que fait courir l'âme orgueilleuse ;
 Pour moi qu'on veut ainsi ranger,
Sa lampe est la plus merveilleuse.

Chacun ici met en veilleuse
 Le chant de son propre réveil
    Afin de par sa voix brailleuse
     Écraser qui ne fait pareil.

649
     Si de ton lieu trop au soleil
    Je doute de l'indépendance,
 Du mien qui tue en son sommeil
Je ne veux plus de l'existence.

Remets chez nous la contredanse
 Dont l’on défiait l’air boréal,
    Je te promets en récompense
     Québec, Laval et Montréal.

650
     Rends ce triste endroit blanc féal
    De ta marmaille noire et brune
 Afin que chantent Floréal
Tous les crapauds de ma lagune.

Lorsque notre ambition commune
 Ne sera plus d'un président,
    Nous ferons poindre la fortune
     Sur nos deux peuples s'entraidant.


      La Prison

651

     Quand le comique dégradant
    Éteint l'amour que tu mendies,
 Fais que je garde le mordant
Dont chacun craint les incendies.

Les vers des âmes dégourdies
 Que l'on voudrait mettre en prison,
    La suite de mes tragédies
     À presque leur donner raison.

652
     On craint mes blagues de saison
    Comme porteuses de misère :
 On en veut à ta pâmoison
Dont me voilà le secrétaire.

Nous ne serions pas sur la terre
 Pour exprimer la vérité :
    Nous y serions nés pour nous faire
     Casser la personnalité.

653
     Quand au docteur que j'ai cité
    Je fais mon objection d'usage,
 Il me menace en aparté
D'un coup de pied dans le visage.

Ma Noire en bleu, entends la rage
 Dont il cherche à me faire choir!
    Fais flotter sur son paysage
     Croix et lys rouges sur fond noir.

654
     Quand vouloir faire un beau devoir
    Nous vaut toujours son prêche immonde,
 Pareille élite nous fait voir
Que sa place est dans le Tiers-Monde.

Lorsque le chant de ma faconde
 Sera dansé sous ton autel,
    Nous capterons la longueur d'onde
     Du véritable Mont Carmel.

655
     Je ne veux plus un caramel
    Des gens de ma sinistre secte ;
 Dans le quartier de Saint-Michel
J'irai jeter ma gourme infecte.

Qui pense un monde en architecte
 Ne danse qu'au bal des maudits ;
    En voltigeant comme un insecte,
     Je construirai ton paradis.

656
     C'est quand dans les plus vils taudis
    Ton parfum de lavande embaume
 Que se prononcent les édits
Instaurateurs de ton royaume.

Lorsque j'aurai fini ce psaume
 Pour le soumettre à ton bon feu,
    Je sentirai enfin l'arôme
     Prometteur de mon sombre vœu.

657
     Quand les joueurs de double jeu
    Y sont seuls à former la crème,
 Du vœu le peuple fait l'aveu
De retourner à la bohème.

Chaque feu que l'amour y sème
 Semblant toujours finir en couac,
    Ton champ de Mars sous l'anathème
     Me dit d'y faire mon bivouac.

658
     Quand dans l'esprit de Jack Kerouac
    Nous reprendrons enfin la route,
 Emmène-moi vider mon sac
Au plus profond de ta redoute.

Dans ta crevasse qu'on redoute
 Rugit le seul vrai peuple élu :
    Lui seul m'accorde enfin l'écoute
     Qu'il m'aurait bien plus tôt fallu.

659
     L'amour a tant été exclu
    De mon propre antre de gendarmes
 Que je veux son bien superflu
Emporté par ton flot de larmes.

Au doux clairon de tes alarmes,
 Je serai ton beau cheval noir,
    Et nous romprons ainsi les charmes
     Dont se pavane mon mouroir.

660
     C'est en effet par le plus noir
    De ce qu'on nomme ta magie
 Que se prépare le Grand Soir
Dont mon étoile est si rougie.

Quand des voleurs de l'énergie
 Sera en ruines la prison,
    À la lueur de ma bougie
     Pourra convaincre ta raison.


      L'Appétit

661

     Quand de mon vœu de guérison
    Le sage diplômé ricane,
 Fais que le mette en pâmoison
Ton cœur dont la folie émane.

Mon serment de mégalomane
 Aux jouvenceaux qu'on abêtit
    Et que l'on veut mettre en cabane
     Dès qu'ils ne pensent plus petit.

662
     En dénonçant mon appétit
    Pour les Vénus aux belles poses,
 Le bien-pensant me convertit
À de bien plus affreuses choses.

Quand on va piétinant mes roses
 Au nom de la saine raison,
    Fais-moi donner tes sept psychoses
     Aux traceurs de mon horizon.

663
     Quand on redore le blason
    Des profiteurs de l'avarie,
 Laisse-moi jouer dans leur maison
Les percussions de l'hystérie.

C'est quand en eux la bête crie
 De joie au son de ton courroux
    Qu'un dictateur plein de furie
     Peut les conduire vers leur trou.

664
     Quand le verbiage du gourou
    À l'esclavage nous entraîne,
 Fais qu'à ma flûte au doux frou-frou
S'ouvre son cœur de schizophrène.

C'est quand en vain il se démène
 À mettre en vente ses grigris
    Qu'aux nouveaux prêtres de la haine
     Il devra rembourser le prix.

665
     Quand le docteur plein de mépris
    Tue au nom de sa connaissance,
 Plonge-le par mes cors et cris
Dans un délire de puissance.

C'est quand son mot plein d'arrogance
 Fera tomber son pantalon
    Qu'il n'aura pour remplir sa panse
     Qu'un quartier de chapeau melon.

666
     Quand l'astrologue du salon
    Prévoit ma ruine passionnelle,
 Mets-le au son de mon violon
Dans la névrose obsessionnelle.

C'est quand sa chère demoiselle
 Crève de peste en ses beaux draps
    Que cheval à robe isabelle,
     Il donne à tes bons soins ses bras.

667
     Quand nos malheurs font les choux gras
    Des revendeurs de savoir-faire,
 Fais que le bruit de nos mantras
Les mette en dépression sévère.

C'est quand de leur savoir austère
 Chacun craint fort le hameçon
    Qu'à leur seul cœur qui désespère
     Ils peuvent faire la leçon.

668
     Quand un chanteur de la boisson
    Veut réécrire notre histoire,
 Inspire-lui par ma chanson
Un délire hallucinatoire.

C'est quand le plus affreux déboire
 Tombe sur lui de tous les cieux,
    Qu'on le voit dans son oratoire
     Réaligner tous ses essieux.

669
     Quand les mesdames et messieurs
    Font de nos rêves l'autopsie,
 Fais que mon hymne silencieux
Les mettre en cris d'épilepsie.

C'est quand leur vieille prophétie
 Renaît l'été de Saint-Martin
    Que leur vœu de démocratie
     Meurt dans le plus méchant potin.

670
     Laisse-moi dans le baratin
    Dont on va piétinant mes roses
 Mettre l'étoile du matin
Même au prix de tes sept psychoses.

Pour me guérir des psittacoses
 Nous poussant à penser petit,
    Fais-moi goûter les dures choses
     Qui referont mon appétit.


,      La Coupe de Jérusalem

671

     Face à l'horreur qui m'engloutit
    Je crois faire un travail d'Hercule,
 Mais le signal qui retentit
Est d'une force minuscule.

Le bleu au bridge qui postule
 Candidement le grand chelem,
    Les plis tombant au crépuscule.
     La coupe de Jérusalem.

672    
     Les yeux rivés sur le totem
    D'une trop vaste multitude,
 On rate item après item
De ce qu'on croit sa haute étude.


À trop se croire le plus prude
 Pour refuser ton beau téton,
    On fait un acte bien plus rude
     Avec les maîtres du bon ton.

673
     Sous leur coupole de béton
    Les préposés à la lunette
 On fait l'annonce que Pluton
Ne serait plus une planète.

Leur capitaine en sa dunette
 En fait un astre marginal
    Pour ménager l'âme peu nette
     De l'analyste au stade anal.

674
     Un écrivain de grand journal
    Dit dans un livre d'importance
 Que ton pays peu virginal
N'aurait plus droit à l'existence.

À son regard qui le recense
 Ce serait un terrain vacant :
    Est-ce pour vendre une licence
     À quelque bande l'attaquant?

675
     Ce peuple au galbe si choquant
    Serait né pour ton infortune,
 Et l'astre sombre l'indiquant
Est plus menu que notre lune.

Mais la nuit que la pleine lune
 Ne fera qu'une avec Pluton,
    Tu me prendras dans ta lacune,
     Je t'étreindrai comme un python.

676
     Cette nuit nous ferons carton
    Sur les fauteurs de nos désastres ;
 En filant ton mauvais coton,
Je me rirai de tous les astres.

De ton ruisseau que les cadastres
 Disent le fleuve de l'enfer,
    Nous ferons croître les pilastres
     D'un temple aux sources du Niger.

677
     Quand nul n'entend plus de pater
    Qu'au son de cloche de sa secte,
 C'est toi ma noire alma mater
Qui sais chasser le vil insecte.


C'est au fond de la bauge infecte
 Où chacun va crachant son fiel
    Que ton étreinte me délecte :
     Il n'est en fait pas d'autre ciel.

678
     Mon paradis artificiel
    Croulant enfin sous ton déluge,
 Nous ferons poindre l'arc-en-ciel
Du sol fangeux de ton refuge.

Tu n'es, à croire qui te juge,
 Que ma carotte et mon bâton ;
    Quand mon cerveau trop fort me gruge,
     Toi seule sais hausser le ton.

679
     Quand je me colle à ton téton
    Et que je brille comme un astre,
 Pour les bourgeois fais par Pluton
Que je sois ton plus beau désastre.

Ton corps noir que le savant castre
 Culminant dans mon ciel natal,
    J'ai voulu être Zoroastre
     Mais tu veux le secret total.

680
     Telle une boule de cristal
    Que découvre un rideau de toile,
 C'est sous la forme du Saint-Graal
Qu'un clair symbole le dévoile.

Quand la nuit fait trembler ma moelle,
 Mon regard va vers ton totem,
    Croix et croissant, et puis étoile :
     La coupe de Jérusalem.


      Les Guenons

681

     Pour verser sur Jérusalem
    Le malheur que ton cœur débite,
 Me voilà au pieu de Salem
Face à la plèbe qui m'habite.

Mon seul coup face à l'hypocrite
 Qui ne sort pas ses gros canons,
    Ma carte offerte qui l'invite
     À décliner tous ses prénoms.

682
     Quand me harcèlent les guenons,
    Habille-les de broderie :
 Du château et des Trianons
Je ne veux que la bergerie.

En ce pays de poudrerie
 Je ne veux plus bâtir maison ;
    De ta plus belle allégorie
     Revêts l'horreur de ma raison.

683
     Quand me menace de poison
    Le détecteur d'yeux pleins de flamme,
 Fais que le mette en pâmoison
Mon grand air que je te réclame.

Chaque mot que mon peuple exclame
 Est un blasphème de sergent ;
    Chaque chanson d'amour qu'il brame
     N'est jamais qu'un hymne à l'argent.

684
     Chacun s'y cherche un job urgent
    Pour ne plus voir couler nos larmes,
 Ou bien nous montre un indigent
Pour que nous mordent nos alarmes.

Ceux que j'ai crus chanteurs des charmes
 De la grenouille en son lotus
    S'avèrent être les gendarmes
     D'un ordre qu'on nous sert motus

685
     Ces gens immolent des fœtus
    Pour ce qui semble être leur langue,
 Mais classent dans les détritus
Tout mot fleurant trop bon la mangue.

Quelque orateur qui les harangue
 Doit s'adresser aux seuls zéros,
    Autrement c'est en vain qu'il tangue
     Sous la tempête des haros.

686
     J'ai eu beau de tous les héros
    Essayer les vertus morales,
 Mon cœur demeure empreint des crocs
Des chroniqueuses de scandales.

J'ai enfourché bien des cavales
 En direction d'un lendemain ;
    Pour raisons dites médicales
     On m'a toujours barré chemin.

687
     J'ai cherché dans un parchemin
    Quelle musique en moi résonne,
 Toi seule m'as tendu la main
Jusque dans l'air qui m'empoisonne.

Comme du lieu qui t'environne
 J'ai pris la nationalité,
    Plongeons celui qui m'emprisonne
     En aussi grande pauvreté.

688
     En enlevant toute fierté
    Au triste monde qui m'entoure,
 Nous gagnerons la liberté
Que même un miséreux savoure.

Quand du cœur noir que je laboure
 Un passant goûte la primeur,
    Gare qu'alors la meute accoure
     Pour dévorer ma bonne humeur.

689
     Quand le concert de la rumeur
    Ne fait dommage que psychique,
 Plus d'un conçoit une tumeur
Sous enrobage analgésique.

Mais quand par ce cercle magique
 L'esprit ne se fait plus piéger,
    C'est de violence bien physique
     Qu'on entreprend de l'assiéger.

690
     C'est donc du cœur le plus léger
    Que je confie à toi ma dèche
 L'engeance qui me fait rager
Exprès en écrasant ma mèche.

Quand je te vois par une brèche
 Des ruines de ses Parthénons,
    Mon âme reste la plus sèche
     Sous les caresses des guenons.


      L'Étendard

691

     Quand sur moi pleuvent tous les noms,
    C'est que je passe sous ta meule ;
 Dans la noirceur des cabanons,
Ta bonté parle toute seule.

La fin prochaine d'un roi veule
 Qui me jette un vieil étendard,
    Le pion qui fonce dans la gueule
     Du loup avant qu'il soit trop tard.

692
     Quand des prouesses du fêtard
    Nous ne goûtons que le microbe,
 Enflamme-le à ce pétard
Qui se profile sous ta robe.

Tout citoyen tant soit peu probe
 S'abreuve à ton cœur perforé,
    Et le malfrat qui lui dérobe
     Le peu qu'il a est décoré.

693
     C'est pour avoir trop adoré
    Mercure en sa plus belle phase
 Que me voilà incarcéré
Chez les briseurs de toute extase.

Je sais bien des pays qu'embrase
 Le grand malheur laissant tout nu :
    Ici le poids qui nous écrase
     Autant ou plus reste inconnu.

694
     C'est un empire maintenu
    Dans l'air par une forteresse
 Dont le béton est obtenu
En malaxant toute allégresse.

On entretient dans la détresse
 Des gens dits nés pour le dédain :
    Quand de charger l'orignal presse,
     Son passage est fermé soudain.

695
     Dans le parler d'aspect badin
    Que notre élite veut qu'on sauve
 Ne parle qu'un esprit gredin
Qui nous veut tous faits de guimauve.

Qui s'éprend de ses fleurs de mauve
 Tombe sous son terrible sort
    D'où seul qui montre un cœur de fauve
     De ressortir a le ressort.

696
     C'est en courant beaucoup trop fort
    Ta délicieuse prétentaine
 Que j'ai sans doute fait du tort
À l'eau coulant de ta fontaine.

Le pays où ton coeur m'emmène
 Serait peut-être moins tari
    Si les gérants de son domaine
     Ne le disaient aussi chéri.

697
     Qui jette un œil trop aguerri
    Sur les trésors de trop de dames
 Montre bien mieux que par un cri
Ne pas du tout aimer les femmes.

Veille que l'axe de mes flammes
 Reste toujours bien vertical
    Si tu veux que mes télégrammes
     Se rendent à ton bon local.

698
     Quand l'amour prend pour point focal
    Un bel objet par trop visible,
 Comme au poisson dans un bocal,
Tout sortie est impossible.

La mission ne devient possible
 Pour le captif d'une paroi
    Que s'il ne vise plus de cible
     Que son plus cher objet d'effroi.

699
     C'est en donnant le rang de roi
    Au maréchal de la crapule
 Que l'on déprend de son charroi
Les pauvres gens qu'il manipule.

Sur le chemin où tout bascule
 On vient à bout du mauvais sort ;
    Sous les reproches qu'on recule,
     On parvient jusqu'au château-fort.

700
     Nul n'accomplit de digne effort
    Qu’en repartant de sa naissance.
 Toute autre sorte de record
Est financé par la finance.

Lorsque s'endiable la cadence,
 Il faut savoir être en retard
    Pour d'un pays de joie intense
     Porter le plus bel étendard.


      Le Faux Débat

701

     Plus loin s'envole le pétard
    Tenant la foule ensorcelée,
 Plus près patrouille le motard
Gardant la ville barbelée.

Ma boule noire sur l'allée
 Qui tourne et roule vers l'abat,
    Mon argument sur sa volée
     Pour démolir le faux débat.

702
     De la cervelle le combat
    Jamais n'aura de fin heureuse :
 Mieux vaut encore un bel ébat
Avec une saine amoureuse.

Mais si la ville est si affreuse
 Aux dires de tous les passants,
    C'est que la foule est trop peureuse
     Pour s'en prendre aux pervers puissants.

703
     Les peintres d'actes indécents
    Nous chassent de leurs galeries ;
 Les diseurs de bons mots blessants
Nous barrent de leurs coteries.

En ânonnant leurs pitreries
 Ils font valser tous les galants ;
    Les revendeurs de niaiseries
     Font arrêter tous les talents.

704
     Aux chanteurs les plus roucoulants
    On donne le pays pour cible,
 Aux plus médiocres et bêlants
On le promet main sur la Bible.

Pour s'orienter dans un tel crible
 Il faudrait ne plus croire en rien :
    Le Canada est divisible?
     Le Québec l'est tout aussi bien.

705
     Aux bonnes gens qui ont du chien,
    On donne un monde à mal construire ;
 Aux tenanciers de l'ordre ancien,
Toute une enfance à mal instruire.

Qui dans ces faux débats veut luire
 Est réduit au plus grand néant ;
     Le monde est bien en train de cuire
      Mais le cuistot est fainéant.

706
     C'est tout au fond du trou béant
    Où je me branche à ta lumière
 Que je vois sur écran géant
Souffrir l'humanité entière.

Par la démocratie altière
 L'un ou bien l'autre n'est élu
    Qu'en repoussant dans la poussière
     La vérité d'un tiers exclu.

707
     Quand le pouvoir est absolu,
    Il a beau être de la plèbe,
 Il est fait de la même glu
Qui attacha l'homme à la glèbe.

Sous l'éruption d'un tel Érèbe
 Plus nul ne gagne de repas
    Qu'à bien se vendre comme éphèbe
     À qui tordra tous ses compas.

708
     La pente à bien gravir n'est pas
    Celle qu'on dit du toit du monde,
 Mais le sentier vers le trépas
Que savoura le monde immonde.

De l'axe que la haine gronde,
 On jouit du seul panorama
    Qui montre à tous sur quoi se fonde
     L'intrigue du grand cinéma.

709
     Sitôt vainqueur du grand coma
    Ton peuple n'eut pour récompense
 Que la colère du climat
Pour sa trop belle résistance.

À cause de sa foi qui danse,
 On le dit délaissé par Dieu ;
    Mais pour marcher vers l'évidence
     Je ne connais de meilleur lieu.

710
     Pour méconnaître le milieu
    Entre l'ascèse et la débauche,
 Je dompte en me clouant au pieu
Ton esprit fort qui me chevauche.

En empoignant ta faux qui fauche
 Les profiteurs du faux débat,
    Je monte sur la rive gauche
     Pour de là faire mon abat.


      La Carrière

711

     De dur combat en dur combat,
    Mettons en paix la terre entière.
 De bel ébat en bel ébat
Mettons ma nuit à ta lumière.

Mon char lancé dans la carrière
 Les crocs des tigres du moteur,
    L'espoir d'atteindre la clairière
     Pour y croquer l'hydre en fureur.

712
     Dis-moi d'erreur en grave erreur
    La vérité qu'il faut qu'on clame ;
 De film d'horreur en film d'horreur,
Donne à nous tous la paix de l'âme.

En m'insultant de blâme en blâme,
 Fais que je marche d'un bon port ;
    En m'arrosant de flamme en flamme,
     Fais que je nage vers ton bord.

713
     De lit de mort en lit de mort,
    Fais-moi ton homme le plus digne ;
 De mauvais sort en mauvais sort,
Dis-moi comment tu me fais signe.

Fais-moi savoir de guigne en guigne,
 Que je suis ton enfant gâté ;
    Fais-moi tirer de ligne en ligne
     Ton portrait qui n'est point raté.

714
     De coup en coup de karaté,
    Entraîne-moi pour ma première ;
 De fausseté en fausseté,
Fais-moi marcher vers ta lumière.

D'ornière en plus profonde ornière,
 Fais-moi sortir de Montréal ;
    De lavandière en lavandière,
     Remontons jusqu'au sang royal.

715
     De déloyal en déloyal,
    Fais que mon vœu se réalise.
 De floréal en floréal
Fais que la glace lâche prise.

De cheval en cheval de frise,
 Fais que je sacre tous les camps ;
    De douce brise en douce brise,
     Vêts-moi de tes habits choquants.

716
     De délinquants en délinquants,
    Formons une entreprise honnête ;
 De coquins en coquins fréquents,
Faisons une honorable fête.

De trouble-fête en trouble-fête,
 Donne-moi la sérénité ;
    De forte tête en forte tête,
     Enseigne-moi l'humilité.

717
     De vanité en vanité
    En ton bon coeur cœur je me retire ;
 De vérité en vérité,
J'aime bien mieux être satyre.

D'enfant martyre enfant martyre,
 J'apprends à toujours moins prêcher ;
    De bas-empire en bas-empire,
     J'apprends à toujours mieux pécher.

718
     De bête en bête à écorcher,
    Je sucerai toute la moelle ;
 De tête en tête à retoucher,
Je brûlerai toute la toile.

Si de la nuit pèse le voile
 Sur les malades du sommeil,
    C'est que chacun veut être étoile
     Et plus personne au grand soleil.

719
     Quand au seul grand astre vermeil
    J'aurai rendu toute parole,
 J'arborerai un teint pareil
À celui de ta farandole.

Quand le programme de l'école
 Ne produit plus que pollution,
    Une négresse qui vous colle
     Détient la seule solution.

720
     Si le vœu de révolution
    Est resté pris dans une ornière,
 C'est qu'en sa triste discussion
Chacun croit être la lumière.

C'est non tant la richesse altière
 Qui rend le monde accapareur
    Que le désir d'une carrière
     Qu'on y poursuit avec fureur.


      Le Cauchemar

7
21
     Quand hors des scènes de l'horreur,
    L'esprit n'a plus de nourriture,
 Je vois les monstres de l'erreur
Crever sous leur caricature.

L'espoir d'atteindre leur pâture
 De leur livrer mon cauchemar,
    Leur croc déçu qui me triture
     Pour peu que j'arrête mon char.

722
     Aura beau faire le radar
    Au sommet du double édifice,
 C'est tout en bas, du lupanar,
Que monte le feu d'artifice.

Quand danse au bruit du sacrifice
 La dame en voile d'Amsterdam,
    Porte enfin fruit l'appel au vice
     Que chantent les enfants de Cham.

723
     J'ai soumis au rasoir d'Occam
    Mon grand projet de destinée.
 Aux suicidaires de l'Islam
La place était déjà donnée.

À quoi bon pour une traînée
 Foncer en sa tour à bureau?
    C'est l'amour de ma dulcinée
     Qui me mène au terrain zéro.

724
     Quand chacun nimbe d'un haro
    Qui ne se bat pour sa survie,
 Laisse bander comme un taureau
L'homme prêt à donner sa vie.

Le ciel auquel on le convie
 Aura beau être mensonger,
    C'est grâce à son âme ravie
     Que nous pouvons toujours manger.

725
     C'est quand on brave le danger
    Des rêves de sa pleine lune
 Que le fardeau se fait léger
Dans le désert de l'infortune.

J'ai trop rêvé d'une tribune
 D'où me tuer face au monde entier,
    Mais dans le creux de ma lacune
     J'ai maîtrisé ton beau métier.

726
     Pour faire ce livre en chantier
    Dont l'effort sauve plus d'un autre,
 J'ai descendu l'étroit sentier
Que seul connaît ton bon apôtre.

Quand du confort où je me vautre
 On devra contempler la fin,
    Fais que l'amour qui est le nôtre
     Fonde ma terre de Baffin. 

727
     En contemplant ma belle fin
    J'ai voulu vaincre l'ordre immonde,
 Mais c'est l'esprit de Séraphin
Qui seul finance aussi la fronde.

Pour mettre belle fin au monde
 À rien ne sert un commando :
    Le mène à fin bien plus profonde
     La douce route du dodo.

728
     La vie à offrir en cadeau
    Est une dure et longue vie,
 Non la mort sur jeu Nintendo
Que l'apprenti martyr envie.

Aucun bonheur ne nous convie
 Hors du strict ordre naturel ;
    Rien de bon ne se sacrifie
     Ailleurs que sur ce seul autel.

729
     Fais-moi brûler tout livre tel
    Qu'on voit de fange tout le monde,
 Et crépiter mon grain de sel
Pour dissiper sa mauvaise onde.

Plus on rehausse sa faconde,
 Plus on va bas vers le ruisseau ;
    Plus on se veut dame du monde,
     Plus on attire le pourceau.

730
     Jusqu'aux étoiles du Verseau
    En vain monta la foi hippie ;
 En creusant comme un vermisseau,
Je mettrai le monde en charpie.

En dansant comme une toupie,
 Je fais aller mon plus beau char ;
    En désertant l'école impie,
     Je mets un terme au cauchemar.


      L'Ostensoir

731

     Quand me harcèle le radar
    De la police qui écoute,
 Je crains plutôt le piano-bar
Qui me déprime goutte à goutte.

Mon char lancé sur l'autoroute
 La Gestapo dans le miroir,
    L'embranchement vers sa redoute
     Dont je vais faire un ostensoir.

732
     Non, l'espérance du Grand Soir
    N'est pas un lendemain qui chante
 Mais l'abandon de tout espoir
D'une Amérique moins méchante.

Tant que sa statue aguichante
 Affiche un air de liberté,
    Hors sa devise trébuchante
     Point ne subsiste de fierté.

733
     Quand par la guerre ou la cherté
    Elle terrasse les Antilles,
 Le beau combat est déserté
Par les garçons et par les filles.

Même les plus zélés pupilles
 Sont possédés par l'espoir faux
    Qu'en appliquant ses codicilles,
     Ils stopperont leurs échafauds.

734
     Tant que la valse des gerfauts
    Ne porte ombrage qu'à leurs ruines,
 Nous ne verrons pas les défauts
De ceux qui volent dans nos bruines.

C'est quand les bruits de nos usines
 Diront les mots de leur vrai mood
    Qu'on n'entendra plus les cuisines
     Se déverser dans le fast-food.

735
     Quand la farine Robin Hood
    Sera taxée de subversive,
 Toutes les jungles de Sherwood
Retrouveront leur loi native.

Dans la chapelle à flèche ogive
 J'allumerai treize lampions
    Pour que la bête ici hâtive
     Ose avancer ses premiers pions.

736
     Alors seront traités d'espions
    Et expédiés vers des rivages
 Pleins de vermine et de scorpions
Tous les chanteurs de chats sauvages.

Mettant enfin bas leurs clivages,
 Toutes les races portant nom
    Fondront leur haine et leurs ravages
     En un seul tube de canon.

737
     Le premier tir de ce canon
    Qu'aura eu soin de bénir Rome
 Démolira le Parthénon
Où sont sacrés nos droits de l'homme.

Nul ne sera humain en somme
 Que par son rang sur l'escalier
    Que par un euphémisme on nomme
     La longue marche du Bélier.

738
     L'épreuve du premier palier
    Sera d’abattre avec délice
 Un enfant fou de joie à lier
Sur la paroi d'un édifice.

Pour opérer le sacrifice
 D'une pauvresse au goût trop chic
    On mettra dans son orifice
     Une cartouche de plastic.

739
     Pour circuler dans le trafic
    Que l'on fera avec l'Asie,
 Il faudra dans un lieu public
Cracher sur toute poésie.

Il n'est dans cette poésie
 De talent que de très banal
    À part une entité nazie
     Qui veut me prendre pour canal.

740
     Je resterai au stade anal
    Et croupirai sous les décombres
 Jusqu'à ce que sur mon fanal
Crèvent les papillons des ombres.

Mes traits encore bien plus sombres
 Enfin au jour dans le miroir,
    Jamais les masques des concombres
     Ne m'auront plus pour ostensoir.


      Tapis Vert

741

     Quand trop me charme l'encensoir
    D'une trop belle qui roucoule,
 Emmène-la dans ton trou noir
Prendre avec moi un bain de foule.

Mon front bombé qu'on dit maboule
 Qui roule sur le tapis vert,
    La pyramide qui s'écroule.
     La bille rouge à découvert.

742
      À la manière de Prévert
    Je compissais les murs d'un temple,
 Quand la prêtresse m'a ouvert
La porte étroite d'un geste ample.

C'est de toujours ne prendre exemple
 Que sur l'amour bien criminel
    Qui a permis que je contemple
     La seule issue hors du tunnel.

743
     Quand d'un outrage passionnel
    Ont rêvé mes premières lunes,
 Je me croyais d'amour charnel
Privé par manque de pécunes.

Pourtant c'est quand à mes rancunes
 Eut mis fin le montant d'un legs
    Que m'ont laissé les quelques unes
     Que jusque là je cajolais.

744
     C'est non le beau costume anglais
    Qui du play-boy fait tout le charme,
 Mais le regard chicagolais
Dont pour voler la somme il s'arme.

Plus d'une préfère un gendarme
 Fier de son maigre pot-de-vin
    À un grand noble qui s'alarme
     Du nègre tué par ce bovin.

745
     Un charme est déployé en vain
    S'il fait l'objet de trop d'étude :
 Même un clochard dans son ravin
A davantage d'attitude.

Le plaisir que l'amour exsude,
 Qu'il soit céleste ou animal,
    Repose sur la certitude
     De faire en le faisant le mal.

746
     Quand je serai plus anormal
    Et saurai bien me méconduire
 Ton scénario si optimal
Pourra enfin bien me produire.

Ne me permets plus de construire
 Les maisons blanches du fada :
    Si un taureau doit me conduire,
     Qu'il soit plutôt de corrida.

747
     Pour rendre enfin le Canada
    Uni d'un océan à l'autre,
 À rien ne sert un blanc dada
Enfourché par un bon apôtre.

Il faut que Montréal s'y vautre
 Dans un grand geste criminel
    Qui soit du bien qui est le nôtre
     Le rejet le plus solennel.

748
     C'est le génie exceptionnel
    Sur qui à mort le peuple crie
 Qui seul peut rendre passionnel
L'amour sacré de la patrie.

Jamais ne charme rêverie
 En un quelconque lendemain
    Sans comporter sa vacherie
     Envers un groupe sous-humain.

749
     Pour qu'enfin hors du genre humain
    Le pays réuni nous sacre,
 Entrouvre-moi l'étroit chemin
Ô sombre amour aux dents de nacre.

Pour que toujours je me consacre
 À mon devoir de tourtereau,
    Nappe-moi de ton parfum âcre
     À mettre en fuite un pastoureau.

750
     Ne permets plus à ton taureau
    D'édifier une pyramide,
 Que ce soit tour de grand bureau
Ou temple d'une foi morbide.

C'est couché dans un pré humide
 Entre les fleurs du tapis vert
    Que je serai le moins timide
     Devant l'étroit passage ouvert.


      Le Gala des Gémeaux

751

     Au mauvais vent du temps couvert,
    L’esprit prend voile d'imbécile ;
 Parler français à Vancouver
Est en fait autrement facile.

La trajectoire difficile
 Du croisé vers la Saint-Tombeau
    Que la croisière du missile
     Va retraçant d’un clair flambeau.

752
     Entends le vol noir du corbeau
    Qui revient paître sur nos plaines,
 Entends son chant quand même beau
Face au tapage des bedaines.

Entends le bruit de ces fredaines
 Dont le silence s'est armé,
    Entends le cri des Madeleines
     Ne voulant plus des fleurs de Mai.

753
     Le trop bon vent par nous semé
    Par grande peur de leur déplaire,
 S’est en tempête transformé
Au fil des jours de leur colère.

On leur offrit la sève claire
 Qui coule de nos chalumeaux,
    Elles préfèrent la galère
     Des conducteurs de grands chameaux.

754
     Où sont passés tous ces Gémeaux
    Dont le gala nous fait envie
 Et qui aux spectateurs normaux
Ont parlé de changer la vie?

Vers où le grand bateau dévie
 Depuis qu'ils en ont le compas?
    À quelle horreur leur air convie
     Les marchandeurs de nos appas?

755
     Qui ont mangé tous ces repas
    À nos grands frais venus de France?
 Qui ont commis tous ces faux pas
Soit disant pour la délivrance?

Qui prennent si grande assurance
 Contre tous gens trop peu normaux?
    Qui psychiatrisent notre transe
     Pour se conduire en animaux?

756
      Où sont passés tous ces Gémeaux
     Qui exigèrent des ancêtres
 De quoi commettre tous les maux
Pour rendre libres tous les êtres?


Où sont passés ces rois et traîtres
 Qui nous délaissent au ruisseau
    Maintenant qu'ils sont dieux et maîtres
     De l'ère dite du Verseau?

757
      Sans ton poète Morisseau
     Qui mit mes premiers vers au monde,
 Saurais-je que tout bon morceau
Sur le vœu d'un grand mal se fonde?

Saurais-je que la bête immonde
 Couvre de ses plus beaux démos
    Des gens disant faire la fronde
     Pour devenir bourgeois normaux?

758
     Où sont passés tous ces Gémeaux
    Laissant pour toute descendance
 Les garnements et les grimauds
Qui vont fouillant leur décadence?

Pour la première fois je pense
 Un contingent dont je m'en vais
    Laisse à un autre en récompense
     Un monde qu'il sait plus mauvais.

759
     Si de ta foi que je revêts
    J'accepte toute la souffrance,
 C'est que la leur dont je rêvais
Tient pour péché toute espérance.

C'est en privant de toute transe
 Jusques aux plus lointains hameaux
    Que leur police d'assurance
     Prétend garder de tous les maux.

760
     Je ne connais de doux Gémeaux
    Que ceux qui n'ont ni Dieu ni maître.
 Ceux qui nous semblent trop normaux
Cachent un agenda de traître.

Pour la nuit qui te fit connaître,
 Et mettre en branle mon flambeau,

    Pour le Grand soir qui va renaître,
     Grandir, aimer, mourir est beau.


      La Trajectoire

761

     À en vouloir tant aux Rimbaud
    D'avoir vécu dans de la ouate
 On met en marche les Rambo
Dans le noir de la jungle moite.

Ma trajectoire pas très droite
Qui tourne en rond et perd le nord
    Et ceint de plus en plus étroite-
     Ment l'étoile de la mort.

762
     Quand se perdra jusqu'à bon port
    Cette missive malaisée,
 Fais qu'un lascar l'ouvre au point fort
Du festival de la nausée.

Ne laisse pas dans un musée
 Du rire de mauvais aloi
    Mourir sans frappe la fusée
     Que je soumets à ton emploi.

763
     Puisqu'il n'est pas ici d'émoi
    Que le souci d'argent ne borne,
 Fais voir quel or et quelle loi
Forment l'anneau dont l'amour s'orne.

Ce pays plein de malicorne
 Est né par un si triste hiver
    Qu’il fuit au loin son destin morne
      Vers le tropique du Cancer.

764
     N'entends-tu pas un revolver
    Se dégainer sous sa parlure
 Quand sur le moindre pull-over
​Pointe le seul mot de culture?

C'est non pour la caricature
 De Rome ou de Jérusalem
    Mais le dépôt d'une facture
     Que renaîtra ici Salem.

765
     Ce qui lui tient lieu de totem
    N'est pas la langue d'une fronde,
 C'est le pentacle d'un Golem
À effacer pour qu'il débonde.

N'entends-tu pas du toit du monde
 Tomber plus dru que sur Hambourg
    Un bardo dont le mantra gronde
     La loi d'Ampère de l'amour?

766
     Le magnétisme étant l'amour,
    Et l'électricité la haine,
 Plus nous jouissons plus tout autour
Hurle la plèbe souveraine.

Qui dans le trou d'un autre reine
 Pense bon de tirer son coup
    N'est qu'un vulgaire schizophrène
     Contrôlé d'on ne sait jusqu'où.

767
     Si le grand cirque de Moscou
    N'avait chanté tant de galères,
 Quel hymne eût donc transmis le goût
De militer pour nos salaires?

Les grands prophètes populaires
 Blâmés pour s'être tus depuis
    Chargeaient les mots de leurs colères
     De fluides nullement gratuits.

768
     Quand grâce aux champs d'espoir induits
    Tel peuple gagne et se régale,
 À l'autre bout de leurs conduits
Toujours se cache horreur égale.

La lourde dette qu'on déballe
 N'est pas tant due à des banquiers
    Qu'à l'ordre rouge qui s'étale
     Malgré l'avis des boutiquiers.

769
     Nous avons changé en chéquiers
    Notre forêt trop résineuse,
 Mais ce n'est plus dans les chanquiers
Que va vrombir la tronçonneuse.

Seul un public d'humeur haineuse
 Et par le sang tout excité
    Ranime une légumineuse
     En manque d'électricité.

770
     Fais convertir cette cité
    Que le cent-dix laisse anémique
 Au deux-cents vingt nécessité
Pour la reprise économique.

Pour qu'à un prix astronomique
 Se vende son nouvel effort,
    Fais triompher son gros comique
     Au festival des films de mort.


      La Mèche Noire

771

     Lorsqu'en calmant mon mauvais sort
    Je fais des crises et je braille,
 Fais-moi savoir d'autant plus fort
Que ma faiblesse me travaille.

La mèche noire qui tournaille,
 Part en flammèches vers son but.
    Mes démêlures en bataille
     De calvitie à son début.

772
     Quand me menace le scorbut,
    Nourris-moi de ta douce étreinte.
 Quand je me vois mis au rebut,
Lis ma vie en histoire sainte.

Pour bien traduire ta complainte,
 Rends-moi meilleur que Champollion ;
    Du monde qui m'emplit de crainte
     Réserve-moi la part du lion.

773
     N'était mon Livre du Million,
    Je resterais pris dans la bouette ;
 Nul animal n'échoit au lion
Que proche de la mort qu'il souhaite.

Plus d'un le classe avec la mouette
 Parmi les presque charognards ;
    Quand son rugissement me fouette,
     Je marche avec tes fiers grognards.

774
     Loin du repaire des braillards
    Qu'a enrichis le suc de canne ;
 Ceux qui en furent les bagnards
M'offrent un antre moins profane.

C'est non la bête au poil havane
 Qui vend tes hommes à la mort ;
    Mais l'autre qui en caravane
     Dit les mener à leur bon port.

775
     On dit normal le mauvais sort
    Frappant ton lieu de résidence :
 Tout mâle qui sait parler fort
Y fait le voeu de présidence.

C'est pour nous tous une évidence
 Qu'il ne gouvernerait que mieux.
    Pour réussir son tour de danse,
     Il fait la cour à tous bons dieux.

776
     À tant marcher en orgueilleux
    Sous le regard de l'œil céleste,
 Il est cloué à tous les pieux
Par tout démon qui le déteste.

Quand son amour est immodeste,
 Il croit le faire pour le bien
    De la personne un peu agreste
     Qu'il veut déprendre d'un vaurien.

777
     À courailler comme un païen
    En invoquant Sainte Thérèse,
 D'un ruisseau sale il lui faut bien
Pour rectifier sa bouille à baise.

Faisant face à la catéchèse
 Des pasteurs au discours de fiel,
    Il rit qu'avec pareille ascèse
     Il montera plus vite au ciel.

778
     Sous notre ciel artificiel
    Où sont sacrés nos droits de l'homme,
 À un palais présidentiel
Personne ou presque ne se nomme.


Sous le plafond qui nous assomme
 L'enthousiasme est d'emblée exclu :
    Seul ce qu'il gagne ou il consomme
     Fait qu'un roi lion se croit élu. 

779
     Le dieu dont on se croit élu
    Fait une apparition spatiale ;
 Les rêves de roi absolu
Sont sans demande commerciale.

La fille à la chanson cordiale
 Ne chante que l'amour pervers,
    Et c'est pour la banque mondiale
     Que le serveur met les couverts.

780
     Là où les livres de beaux vers
    Sont envoyés à la décharge,
 Les grands abîmes sont ouverts
À la parade la plus large.

Lorsque dans l'antre de la marge
 Rugir sera notre seul but,
    Nous pourrons affronter la charge
     Du grand empire à son début.


      L'Escarbille

​781

     Heureux qu'on traite de rebut
    Pour peu que son sourire brille :
 Il atteint sans effort le but
Que vise en vain une escadrille.

Le filament sous la pupille
 Qu'à coup de botte on emboutit,
    Dans le grisou une escarbille
     Et un brasier qui engloutit.

782
     Heureux qu'on dit trop peu petit :
    Laisse-le luire ainsi qu'un cierge.
 Heureux mon trop grand appétit :
Fais-moi en toi renaître vierge.

Quand de mon long sanglot j'asperge
 L'eau noire de mon archipel,
    Mon oeil devine l'autre berge
     Vers où je nage à ton appel.

783
     Heureux qui sur aucun autel
    N'a sacrifié sa propre route.
 Heureux qui fait un prêche tel
Que nul ne reste à son écoute :

De la police en sa redoute
 Il ne verra jamais le groin,
    Seul vient le prendre et le chouchoute
     L'amour qui n'est jamais très loin.

784
     Heureux le ventre qui n'a point
    Conçu ici de descendance,
 Heureux dont la femme a fait foin
En ce haut lieu de décadence :

Il aura pu danser sa danse
 Jusqu'à l'aurore moins le quart
    Et semer comme une évidence
     Le désir du plus grand écart.

785
     Heureux l'homme au trop doux regard
    Pour violer le secret d’un livre,
 Et qui fait tout trop en retard,
Tant l'accapare l'art de vivre.

En cultivant ses fleurs de givre,
 Bien à l'abri des fins gourmets,
    Il a le verbe qui délivre
     Des discours faits sur les sommets.

786
     Heureux les seins que n'ont jamais
    Abîmés la moindre tétée,
 Et que sans cesse tu remets
Sous ma mirette détestée.

Par leur rondeur que j'ai tâtée
 À la manière des gamins,
    Ma vie entière déroutée
     A pris de bien plus droits chemins.

787
     Heureuses les petites mains
    Expertes à la clarinette
 Mais que les sombres lendemains
Font devenir de midinette :

Quand le talent d'une vedette
 S'écoule dans les caniveaux,
    Elle ne chante aucune dette
     Envers les nourrisseurs des veaux.

788
     Heureux les plus puissants cerveaux
    Qui n'ont jamais vu la lumière
 Qu'en chantant l'hymne des travaux
D'un champ ou bien d'une rizière :

Quand le corps danse en la carrière
 De la charrue et des charrois,
    L'esprit s'ébat en la rivière
     Qui coule des plus hauts beffrois.

789
     Heureux le descendant des rois
    Qui n'a jamais eu pour royaume
 Qu'un cabanon dont les parois
Ne sont couvertes que de chaume :

Il dit comme en chantant un psaume
 N'avoir en propre que son corps,
    Mais le touriste qui se paume
     Ne conçoit pas si durs efforts.

790
     C'est de ce genre de records
    Que vient l'eau dont mon œil émerge.
 C'est en passant par tes sept morts
Que je saurai renaître vierge :

Quand je serai sur cette berge
 Qu'à coup de botte on emboutit,
    Nous régirons à coup de verge
     Le monde qui nous engloutit.


      Prix Nobel

791

     Le monde ne nous pervertit
    Qu’aux trop beaux rôles qu’on imite.
 Un bien meilleur ne se bâtit
Qu'en creusant comme la termite.

L'invention de la dynamite,
 Prix de la paix dû à Nobel,
    L'écroulement de l'anthracite.
     La lumière au bout du tunnel.

792
     Au premier cri de ton appel
    On se met à ta course folle.
 À ta piqûre de rappel,
On te délaisse en farandole.

Ce qui rend dure ton école
 N'est pas le noir de tes sujets,
    Mais ta voix douce qui encolle
     La marche de tous mes projets.

793
     Depuis le temps que je rageais
    Et voyageais en ambulance,
 C'est d'endosser ta peau de jais
Qui tient tout mon être en balance.

Qu'exacte soit la connaissance
 Ou que soit bonne l'invention
    Tenant le monde en sa puissance,
     Toujours mauvaise est l'intention.

794
     Il s'en suit donc qu'à la mention
    D'un haut fait de sorcellerie,
 Une âme noire en ascension
N'en pleure pas la boucherie.

Il s'en faut peu qu'elle n'en rie
 À gorge en grand déchargement ;
    Un seul principe la marie :
     La loi de l'émerveillement.

795
     C'est à ce seul commandement
    Que tout son être se dévoue,
 N'importe que son garnement
L'entraîne en haut ou dans la boue.

Ce n'est pas le joueur qui joue
 Au jeu dont il se croit champion,
    Mais le grand jeu qui le secoue
     Ainsi qu'un tout petit morpion.

796
     Quand va charmant la triste Albion,
    On se croit prince en sa ruelle,
 Et on devient ainsi un pion
De son église très cruelle.

Sous la beauté spirituelle
 Que le cerveau croit percevoir,
    On perd sa belle gestuelle,
     Et l'être perd tout son avoir.

797
     Quand un trop beau sens du devoir
    Vous fait envier un homme illustre,
 Il vous empêche de revoir
Le clair de votre propre lustre.

Plus vous mangez de la balustre
 Chez le dieu du riche et puissant,
    Plus vos manières sont d'un rustre
     Pour l'étudiant qui va passant.

798
     C'est non ton galbe caressant
    Qu'ici je cherche à faire entendre,
 Mais ton regard incandescent,
Ô toi ma dame la plus tendre.

Empêche mon coeur gros de rendre
 Un grand culte à ta complexion ;
    Bien nous aimer c'est plutôt tendre
     L'œil dans la même direction.

799
     Pour me guérir de l'infection,
    Explose comme poudrière
 Mon atelier de confection
Où ne parvient pas ta lumière.

Mais lorsque dans ta pose altière
 Je lis les termes de ta loi,
    C'est la même attitude fière
     Qui met mon corps en bel émoi.

800
     A beau mauvaise être ma foi,
    C'est ton beau geste que j'imite,
 Et je sens ruisseler en moi
Les trésors de la Sulamite.

Quand mon visage d'anthracite
 Poindra au bout de mon tunnel,
    Je serai plein de dynamite
     À démolir jusqu'à Babel.


,      Le Festin

801

     Quand les docteurs du Mont Carmel
    Font le grand vœu que tu me castres,
 Fais qu'à la ruine de Jacmel
Je même tous ces médicastres.

Le ciel qu'ils bouchent de désastres
 Et font pleurer sur mon destin,
    La douche froide des vrais astres
     Qui vont pleuvoir sur leur festin.

802
     Lorsque l'étoile du matin
    Se montre à la plèbe ravie,
 C'est qu'à cette heure la catin
Se met en quête de survie.

Quand le chauffeur soudain dévie
 La course du char collectif,
    C'est qu'il a repéré l'envie
     D'un kidnappeur dans un massif.

803
     Quand d'un bon mot agreste et vif
    Telle propose une poularde,
 C'est que de son prix excessif
Mangera sa tribu bavarde.

On dit que ce pays retarde
 À s'équiper du dernier cri,
    Mais c'est le monde qui se garde
     D'y voir son avenir écrit.

804
     C'est un pays par tous décrit
    Comme l'extrême enfer sur terre,
 Mais quand grésille le porc frit
Il est si doux d'y prendre un verre.

La trombe qui lui fait la guerre
 Fait dévaler les détritus
    Le long des prés peu à l'équerre.
     Mais on y a l'amour en plus.

805
     Quand se dissipent les nimbus
    Et que finit l'averse brève,
 Les plus fidèles autobus,
Dans la crevasse, font la grève.

Lorsque pour éloigner la crève
 Chacun allume des lampions,
    On va disant que notre rêve
     Mènera là tous ses champions.

806
     Quand nous serons traités d'espions
    Et expédiés vers ses rivages
 Pleins de vermine et de scorpions,
Protège bien nos arrivages.

Des prêtres que l’on dit sauvages,
 Nous apprendrons la religion
    Et l'art de rendre les ravages
     Aux ravageurs de ma région.

807
     Quand de leur chant la contagion
    Atteindra nos chanteurs de charme,
 Ils formeront une légion
Que mordra bien en vain l'alarme.

Déjà la batte du gendarme
 N'abat ici que le minus
    Quand le bandit brandit son arme ;
     Mais nous aurons l'amour en plus.

808
     Entends pleurer comme un anus
    Par où le continent excrète
 Les rêves à leur terminus
La terre qui vainquit la traite.

Entends la terre où l'on décrète
 Devoir aller les arrogants
    Rire sous l'eau qui la maltraite
     À la saison des ouragans.

809
     Entends pleurer les Nelligan
    Que l'on abreuve de désastres
 Jusqu'au Grand soir où les brigands
Tombent du ciel comme des astres.

Ici où les brasseurs de piastres
 Font immigrer les seuls scorpions,
    Nous érigerons les pilastres
     D'un temple aux cent mille lampions.

810
     Nous les trop braves petits pions
    Remis en vente par la France,
 Prendrons nos cours chez les champions
De l'art de bien se mettre en transe.

Des grands rieurs de la souffrance
 Nous partagerons le destin,
    Et le porc frit dans l'huile rance;
     Mais l'amour sera du festin.


      Le Trafic

811

     Quand le marchand de baratin
    Est seul à exposer ses toiles,
 Entraîne-moi soir et matin
Au grand combat que tu dévoiles.

Le ciel tout noir vêtu des voiles
 Dont on occulte le trafic,
​
   Le crépuscule des étoiles
     Tombant sur le pavé à pic.

812
     Quand je fais trop grouiller mon bic
    Aux doux froufrous dont tu me frôles,
 Je ne fournis que plus de fric
Aux humoristes les moins drôles.

À la promesse des beaux rôles
 Dont feraient flèche les cerveaux,
    Unis le muscle et les épaules
     Qui sont le fort de tes chevaux.

813
      J'ai pour seul but à mes travaux
     Mon corps soumis à ton ouvrage.
 Je ne connais ce que je vaux
Que monté par ta flamme en rage.

Si le bon mot de mon outrage
 Rend tout mon être bienheureux
    C'est pour promettre un beau naufrage
     Sur ton rivage miséreux.

814
     Là, dans ton trou où les affreux
    Laissent leur stupre et leur souffrance,
 M'adopteront des hommes preux
Dont n'ose plus rêver la France.

Là où la vertu d'espérance
 Se marie à l'échec total,
    Je saurai ressentir la transe
     Dont fondre mon calcul mental.

815
     De tout le monde occidental
    Nous ferons voir que l'entreprise
 Mène à un cul-de-sac fatal,
À moins d'un faible qu'on méprise.

Le monde riche ne se grise
 De l'air qui tonne en ses sabbats
    Qu'en repassant sa grande crise
     À d'autres riverains plus bas.

816
     L'un est stratège en des combats
    Qu'a oubliés le Pentagone.
 L'autre est expert en des débats
Tels que n'en fait plus la Sorbonne.

Telle qui eut un rang de bonne
 Ici sur les plus durs planchers
    Dit là-bas comme une baronne
     Les bons mots les plus recherchés.

817
     Aux timbres les plus haut perchés
    De quelque immense cantatrice
 Vibrent les places des marchés
Dont la foule est admiratrice.

En ondulant de sa matrice
 Sous les yeux sales des coquins,
    Telle se fait future actrice
     Dans les grands films américains.

818
     Mais les docteurs et les faquins
    De la puissance toute proche
 Ne voient dans leurs plus grands bouquins
Que brins de paille où l'oeil s'accroche.

Des méfaits du pouvoir fantoche
 Qu'on leur fait bien se disputer,
    On leur font l'éternel reproche
     De ne savoir que discuter.

819
     On leur permet d'exécuter
    Des œuvres d'art paradisiaques,
 Mais c'est pour mieux leur imputer
Les doux penchants les plus orgiaques.

Tous les pasteurs paranoïaques,
 Dans leur peinture au ciel si clair,
    Ont vu les forces démoniaques
     Qui de leur terre ont fait l'enfer.

820
     De cette terre où seul le ver
    Survit en tant que fier symbole,
 Nous saurons vaincre le cancer
Dont meurt plus d'une métropole.

Quand ce qu'on apprend à l'école
 Ne sert qu'à jouer dans le trafic,
    C'est là où plus rien ne décolle
     Que le génie atteint son pic.


      L'Idole

821

     Quand la madone des gens chic
    Se frotte à une croix sans crainte,
 La grâce se répand du fric
Qui se rit de la loi enfreinte.

L'idole dont la voix éteinte
 Ne s'entend bien que sur fond noir.
     Ses fesses dont l'affiche est peinte
      À mettre à feu pour mieux te voir.

822
     Nul n'entreprend de grand devoir
    Pour le lion ou pour la licorne
 Qu'au bon parfum de l'encensoir
Dont la finance le suborne.

Quand ce pays de malicorne
 Est né pour n’être qu’un hiver
    Le temps était si triste et morne
     Qu’il s’est fait ange de l’enfer.

823
     Je n'ai jamais aimé la chair
    D'une diva au corps intègre
 Que pour troubler mon œil trop clair
Quand me fait trop trembler la pègre.

Pour que mon pas soit plus allègre,
 Verdi a fait ce qu'il a pu,
    Quand me compisse de vinaigre
     L'air de mon peuple corrompu.

824
     Nul musicien ne s'est repu
    De la trompette de la gloire
 Que pour garder un mieux lippu
Dans la toute petite histoire.

La cantatrice rose ou noire
 Ne fait d'effet si recherché
    Qu'en écorchant le chant de foire
     Que dans la foule elle a pêché.

825
     C'est pour avoir si bien léché
    Une œuvre trop pleine d'essence
 Qu'un beau matin j'ai trébuché
Dans le marais de sa naissance.

Quand se répand la connaissance,
 Ou bien quand brille l'invention
    Tenant le monde en sa puissance
     Toujours perverse est l'intention.

826
     Mais quand au lieu de l'ascension
    Vers le plus haut sommet de givre,
 Je prends ton antre pour pension,
Je me raccroche au vouloir-vivre.

J'ai appris dans un mauvais livre
 Se disant d'un grand maître indien
    Cette posture qui rend ivre
     Du mal qui me fera ton bien.

827
     C'est en passant pour moins que rien
    Au sein du monde qu'on dérange
 Que j'arrive à couper le lien
Avec la force qui me mange.

C'est pour avoir joué dans la fange
 Ainsi qu'un tout petit enfant
    Que j'ai accès au culte étrange
     Qui rend mon air si triomphant.

828
     En faisant tout ce que défend
    La loi des gens trop occupées
 Je m'abreuve à ton cœur que fend
Le bout portant des sept épées.

Quand des machines si grippées
 Je chanterai bien la chanson,
    Aux sociétés les plus huppées
     Je saurai faire la leçon.

829
     Le savoir-faire d'un maçon
    Est un des arts les moins utiles
 Pour le paiement de la rançon
Aux bâtisseurs de bidonvilles.

Les insondables imbéciles
 Dont chacun dit mon peuple fait
    Sont des entrepreneurs habiles
     Si l'entreprise est un méfait.

830
     Chaque espérance qu'il défait
    Accroît d'un cran la compétence
 De qui veut bien être préfet
De mon état en décadence.

Mais quand du maître de la danse
 Je pare le coup d'encensoir,
    Un surcroît de chaleur intense
     Me met à feu pour mieux te voir.


      L'Espoir

831

     Plus pour démettre le pouvoir
    On s'évertue et on s'éreinte,
 Plus le seul voeu de plus avoir
En laissera braver la crainte.

L'étoile verte de l'absinthe
 Où l'ouvrier crut voir l'espoir,
    Qui va sombrant dans la mer teinte
     De rouge vin dans le Grand Soir.

832
     Plus dans le rose d'un boudoir
    Chacun refait en mieux le monde,
 Plus creux s'y creuse un grand trou noir
Attirant tous maux à la ronde.

Plus se font de grands voeux de fronde
 Pour mettre enfin la terre en paix,
    Plus le même ordre partout gronde
     Dont seuls profitent les épais.

833
     Plus on abat de parapets
    Pour détrôner enfin la reine,
 Plus court se coupent les toupets
Devant sa Majesté la Haine.

Plus se dit fine et souveraine
 La fine fleur d'une nation,
    Plus la misère au loin entraîne
     Le coeur de sa population.

834
     Plus belle est la cogitation
    Au sommet de la tour de verre,
 Plus la mauvaise vibration
Augmente par l'effet de serre.

Quand on dira paix sur la terre
 Dans le grand temple du pourceau,
    Alors éclatera la guerre,
     La grande guerre du Verseau.

835
     Mieux se démène le pinceau
    Pour peindre un peuple plein charme,
 Plus se resserre le cerceau
De l'exploiteur qui le désarme.

Mieux en sonnant de son alarme
 On met ses causes en valeur
    Plus on se fait un dur gendarme
     Au profit d'un plus gros voleur.

836
     Mieux on rehausse la couleur
    Des filles que le malheur broie,
 Plus on leur cause de douleur
Sous l'amour qui les prend pour proie.

Il n'est personne ici qui croie
 Le défenseur de l'ouvrier
    À moins que son journal guerroie
     Pour un pouvoir plus meurtrier.

837
     Nul n'a le pied dans l'étrier
    D'une machine qui le grise
 Que par la force de prier
D'une âme qu'elle martyrise.

Quand on dira que la reprise
 Enrichira jusqu'au ruisseau,
    Alors éclatera la crise,
     La grande crise du Verseau.

838
     Quand m'aura mû comme un berceau
    Chaque manège de La Ronde,
 Fais-moi sauter dans le cerceau
Dont se revêt l'homme du monde.

C'est lorsque face au show qui gronde
 Nous saurons demeurer de miel
    Que nous vaincrons la mauvaise onde
     Que l'on dit s'écouler du ciel.

839
     Plus de savoir artificiel
    Se gavent à ras bord les têtes,
 Plus c'est au même logiciel
Que se réfèrent les enquêtes.

Plus se célèbrent trop de fêtes,
 La bonne humeur n'y étant pas,
    Plus on voit tout genre de bêtes
     Descendre en ville pas à pas.

840
     Plus on se prend l'oeil aux appas
    Des clowns de notre cirque immonde
 Plus passe pour un bon repas
La dépression la plus profonde.

Quand de bonheur en ce bas monde
 Sera mort le dernier espoir,
    Alors éclatera la fronde,
     La grande fronde du Grand Soir.


      Krach

841

     Plus on s'efforce de n'avoir
    En tête que des airs guimauve,
 Plus à la ronde l'on fait voir
Un monde de plus en plus fauve.

Le krach de la comète chauve
 Perdant son or sur son sentier.
    Le dernière âme qui se sauve.
     La déception du siècle entier.

842
     De sot métier en sot métier
    J'ai raté mon apprentissage,
 Je suis resté dans ton quartier
Où toute fille meurt de rage.

Noire Erzulie, étends l'ombrage
 Sur ton physique trop troublant,
    Et les démons de mon tendre âge
     Iront se perdre dans ton flanc.

843
     Emporte à l'eau le moindre plan
    Que j'ai cru suivre pour modèle ;
 Brûle en mon cœur le moindre élan
Vers ta beauté qui me harcèle.

Ce que j'avais cru ta nacelle
 N'était qu'un autre vieux bazou
    Dont le body qui étincelle
     Nous garde prisonnier du zoo.

844
     Ce que j'avais cru mon gazou
    Était déjà dans la musique ;
 Ce que j'avais cru ton bisou
Était pilule analgésique.

Ce que j'avais cru l'art tragique
 N'était que d'autres hameçons
    Pour prendre par attrait magique
     Les plus habiles des poissons.

845
     Quand je t'ai fait tant de façons
    Dans les bouillons de la rivière,
 C'est le plan d'autres maçons
Pour mettre en vente plus de bière.

Je suis toujours dans mon ornière
 À boire toujours plus de noir
    Et à rêver d'une croisière
     Vers ton pays qui reste à voir.

846
     Seule la crainte de déchoir
    M'a fait quitter la route large
 Pour un plus élégant perchoir
Prétendant être de la marge.

De lune en lune je m'enfarge
 Dans les panneaux des carrefours
    Tête première que je charge
     Du poison de tous les discours.

847
     Lorsque mon cœur compte à rebours
    Le chemin de ma catéchèse,
 Mon appel à tous les secours
Fait rire tous les gens à l'aise.

Quand je leur dis que mon malaise
 Vient d'avoir joué trop les maçons,
    On dit que par manque de baise
     Je suis parmi tes canassons.

848
     Quand je nage avec les poissons
    Dans les crachats de l'onde fière,
 Comment parer les hameçons
Qu'en masse appelle ma prière?

Comment donc faire une première
 Loin des éclairs au magnésium?
    Comment donc faire la lumière
     Sans faire appel au plutonium?

849
     Comment ne pas finir médium
    Des oiseaux noirs de ma folie
 Quand du ciel du planétarium
Tombe un étoile si jolie?

Personne à qui ma foi me lie
 N'a entendu ton cri nuptial :
    Pour dire ma mélancolie,
     Mon art de dire est trop martial.

850
     Je ne veux plus rien de spécial.
    Laisse mousser la bière blonde.
 Trop rêvent d'un engin spatial
Pour être de la fin du monde.

Ce vœu en quoi mon vers abonde
 Est refusé presque en entier,
    Mais pour dompter ton feu qui gronde
     J'ai dû apprendre un beau métier.


      Les Paravents

851

     Quand l’avarice du rentier
    Fait fermer les cafés de Flore,
 Vient prendre place en son quartier
Toute une faune qu'il déplore.

Le feu sacré qui va éclore
 Au bas des sombres paravents.
    La bombe rose de l'aurore
     Après la nuit des morts-vivants.

852
     Quand les lumières des savants
    Privent le peuple de lumière,
 De la nuit noire des couvents
Monte vers toi une prière.

J’avancerai donc vers l'arrière
 De ce bas monde en régression,
    Et je mettrai hors de l'ornière
     Le sujet à la dépression.

853
     Quand le sujet à l'obsession
    N’aime la femme qu’en peinture,
 Elle subit la répression
De la plus crasse dictature.

Permets que de la belle ordure
 J’arrange le trop beau portrait,
    Et je pourrai de ta figure
     Avoir moi-même tout l’attrait.

854
     Quand par une oeuvre d’art abstrait
    On se veut noble et secourable,
 Elle est toujours au mur concret
Qui coupe du vrai misérable.

En me rendant bien incapable
 De penser comme un président,
    Face à la peur qui nous accable
     J’afficherai tout ton mordant.

855
     Quand le bon peuple est décadent,
    Gare à la voix qui s'en veut reine :
 À la lueur du pneu ardent,
Elle apprendra que c'est la haine.

J’apprendrai donc à prendre en haine
 Le plus mon propre grand public,
    Et je mettrai ton grand domaine
     Bien à l'abri des yeux du fric.

856
     Quand il faut jouer dans le trafic
    Des véhicules et des drogues,
 Même le port d'un simple bic
Me vaut le cri des bouledogues.

En observant les psychologues
  Agir en bien plus durs voyous,
     Des vents, des vagues et des vogues
     Je ne craindrai plus les cailloux.

857
     Quand je n’obtiens aux interviews
    Qu’un refus clair comme eau de roche,
 Chez la sorcière des bayous
Je cherche un autre son de cloche.

Mon oeil troublé alors décoche
 Un trait de ce rayon laser
    Qui à la dame qui m'accroche
     Sera mortellement amer.

858
     Quand me dénude comme un ver
    Le sage qui se médiatise,
 C'est qu’au Nouvel-Âge de Fer
Seule rapporte sa bêtise.

Permets donc que le baptise
 Comme en ton temps le plus ancien
    Pour qu'un bonheur nouveau attise
     Le grand public qui fut le sien.

859
     Quand nous trahit le musicien
    Au grand profit de sa psychose,
 C'est l'argument du pharmacien
Qui sort gagnant de toute cause.

Me tirera de cette hypnose
 Ton peuple qu'on en dit champion,
    Car c'est le seul qui me propose
     De danser autrement qu'un pion.

860
     Quand on n'est plus pion ni espion
    Dans le jeu où les maîtres jouent,
 On est jeté comme un morpion
Sur ton rivage qu'ils bafouent.

Du cinéma où ils nous clouent,
 Nous brûlerons les paravents.
    Les films de morts-vivants qu'ils louent
     Ne passeront plus pour savants.


      L'Éclair Qui Luit

861

     J’ai eu beau prendre les devants
    Ou rester dans l’arrière-garde,
 Je reste avec les desservants
De l’ordre noir qui me canarde.

Le plan routier que me caviarde
 L'encre pesante de la nuit,
    Mes pas futurs que je regarde
     Se suivre sous l'éclair qui luit.

862
     Quand ta chanson fait un beau bruit
    À me remplir de nostalgie :
 Elle dit ton pays détruit
Par le passage de l’orgie.

J’allumerai donc ma bougie
 Au bal qu'on dit de tes maudits,
    En dansant sur ton énergie
     Je referai ton paradis.

863
     Une fille a les yeux hardis
    Et un suave commérage :
 C'est pour me prendre aux interdits
Qui mettront son parrain en rage.

En montrant bien au loin l'orage
 À la baigneuse au grand soleil,
    Je ferai fondre le mirage
     Qui la maintient en son sommeil.

864
     Quand par le chant d'un dur réveil,
    J’ai voulu faire la lumière,
 C’était branché à l'appareil
Obscurcissant la terre entière.

Je cacherai donc ma prière
 À tout monsieur trop distingué,
    Et en perdant ma tête fière
     J'aurai ta main au doigt bagué.

865
     Pour m’être adolescent ligué
    Aux amateurs de la romance,
 Je suis resté depuis dragué
Par les oiseaux de la démence.

Toutes les fois que semble immense
 Un grand génie à l'horizon,
    Laisse-moi voir que recommence
     La valse de la déraison.

866
     Pensant détruire une prison,
    J’ai mis en branle un drapeau rouge :
 Ce que j’ai gagné pour maison
Est un plus misérable bouge.

Mais quand la grande peur me gouge
 Sous l'avalanche des regrets,
    Fais-moi sentir que mon cœur bouge
     De par tes charmes très secrets.

867
     En me prenant dans les attraits
    Que j’avais crus d’un autre monde,
 J’ai marché pour d’autres décrets
Du même ancien régime immonde.

Quand d'un coup la révolte gronde,
 Fais voir l'argent en grand devoir
    De diffuser sur une autre onde
     Pour ne pas perdre le pouvoir.

868
     Quand il m’a plu de me mouvoir
    Dans ton atoll aux eaux turquoise,
 Le paradis que j’ai cru voir
Cachait ton coeur que l’on déboise.

De crème anglaise à la framboise
 Ne laisse plus fermer mon bec,
    Et je saurai briser l'ardoise
     Tout près de nous laisser à sec.

869
     Une maîtrise en savoir grec
    N’apprend qu’à être un meilleur traître
 D’un peuple voué à son échec
Et le grand art de s'en repaître.

Quand je serai ton enfant maître
 De rien sinon son corps tout nu,
    Tu me feras enfin connaître
     Le savoir le plus malvenu.

870
     Ce que ton peuple a obtenu
    Après sa si glorieuse guerre
 Est un destin si saugrenu
Que j'entends s'esclaffer la terre.

Mais du sol rouge de ta terre
 Où l'adversaire a tout détruit,
    Vers le ciel noir qui nous enserre
     Je vois monter l'éclair qui luit.


      La Haute Tension

8
71
     L'étude que je fais sans fruit
    Mais où sans trêve je m'éreinte
 Est ma seule arme face au bruit
Que fait la loi que j'ai enfreinte.

Le cagibi du Labyrinthe
 Dont le plan-guide fut perdu.
    Le fil d'Ariane sous la plinthe
     Qu'un haut voltage tient tendu.

872
     Raccordé à ton coeur fendu
    Par le chagrin qui est le nôtre,
 Je suis de plus en plus mordu
De ta télévision tout autre.

Le fleuve noir où je me vautre
 Semble n'avoir jamais je fin.
    Je ne serai jamais apôtre
     Au blanc pays de Séraphin.

873
     Quand une belle au ventre fin
    Se fait pour moi bien roucoulante,
 C'est pour m'avoir comme un dauphin
Dans le ruisseau de sa mort lente.

Je deviens sa chaise roulante
 Et lui enseigne plus d’un truc.
    De ma passion la plus violente
     Je reste pris avec le suc.

874
     De son perchoir plus d'un grand-duc
    A fait état de ma noblesse,
 Ici dans ce décor stuc,
C’est un juron dont on nous blesse.

Quand ma voix chante ta tendresse,
 Chacun accuse mon retard
    Et  par son mot couvert me presse
     De mieux éteindre mon regard.

875
     J’ai  beau avec immense égard
    Dire un peu de ta poésie,
 J'affligerais d'un grand écart
L'élémentaire courtoisie.

Mon expression vieille et moisie
 Attenterait à la pudeur ;
    De ma peau de chagrin rosie
     J'apprends à mieux cacher l'odeur.

876
     Quand je dénonce avec ardeur
    Le film d'horreur qui nous entraîne,
 Mon grave manque de fadeur
Me fait passer pour schizophrène.

Quelque posture que je prenne,
 Elle est matière à dérision ;
    Au fil des perles que j'égrène,
     J'épargne en caisse une explosion.

877
     Quand une bonne décision
    Fait des flammèches dans mon crâne,
 On croit n'y voir qu'une illusion
Me faisant ruer ainsi qu'un âne.

Mais à penser que je me damne
 Envers et contre le grand bien,
    J'arrive avec la bête infâme
     À retrancher un autre lien.

878
     J’ai beau monter au ciel indien,
    Me mettre en quête d’un bon maître,
 Je suis traité en moins que chien
Par un nouvel apprenti traître.

Ma soif de vivre et de connaître
 M'a relégué chez les parias :
    Des tiens chez qui je veux renaître
     Je chanterai bien les arias.

879
     Ce sont les noires des norias
    Maintenant mises au chômage
 En larmes sous les magnolias
Qui chantent ton plus bel hommage.

C'est quand à leur plus belle image
 Tu m'auras bien ressuscité
    Que nous ferons un beau dommage
     À mettre en ruines ma cité.

880
     Les gens qu'on dit ma parenté
    Ne m'aiment bien que bien malade.
 Celle pour qui j'ai tant chanté
M'adopte en tant que camarade.

Pour les gérants de mon estrade
 Mon cas est pour toujours perdu,
    Mais vers tes gens laissés en rade,
     Mon être est tout entier tendu.


      Les Interrupteurs

881

     Au bout de mon chemin ardu
    Où sans relâche je pédale,
 Mon petit livre défendu
Parvient enfin au grand scandale.

Mon pied au marbre de la dalle
 Qui cache les interrupteurs,
    La vue entière du dédale
     À la clarté des projecteurs.

882
     De ce que disent les docteurs
    Rien n'est jamais bien angélique :
 Ce n'est jamais qu'aux seuls acteurs
Qu'un souffleur donne la réplique.

C'est non le port d'une relique
 Qui me délivrera du mal,
    Mais le travail où je m'applique
     À caresser bien l'animal.

883
     Quand pour paraître plus normal
    On sacrifie une amourette,
 Le scénario est optimal
Pour faire un four de l'opérette.

Mais qui au fond de sa mirette
 N'a que sa belle à conquérir
    Sait faire aussi battre en retraite
     La bête sans grand coup férir.

884
     Qui n'est capable de chérir
    L’Univers d’oeil que d’architecte
 N'aide qu'à mieux y dépérir
Comme le plus chétif insecte.

Mais qui dans la rivière infecte
 S'amuse mieux qu'un vermisseau
    Verra la dictature abjecte
     Tomber presque en un seul morceau.

885
     Qui se couronne d'un cerceau
    D'entrée en sa grande première
 Voit les étoiles du Verseau
Mettre à leur ombre sa lumière.

Mais qui au fond de sa chaumière
 A établi ton paradis
    Chantera d'une voix altière
     Sans compte à rendre à des bandits.

886
     Quand on consacre à coup d'édits
    La rébellion de son tendre âge,
 On met en place les taudis     
D'un ordre immonde à leur ombrage.

Mais quand sous ton plus bel orage
 On jouit ainsi qu'un bon amant,
    Il n'est aucune foule en rage
     Qu'on ne désarme galamment.

887
     En s'étudiant profondément
    Selon les lois astrologiques,
 On ne devient que plus dément
Sous les piqûres névralgiques.

Mais en dansant sur les musiques
 Que nous impose le parrain,
    On met par terre les logiques
     Se prétendant des lois d'airain.

888
     Qui voit d'un œil calme et serein
    Le monde d'un sommet de givre
 Souscrit au grand malheur sans frein
Des gens qui sont contraints d'y vivre.

Mais qui apprend à rester ivre
 Dans ce qu'on dit être l'enfer
    Entonne un hymne qui délivre
     Du salariat des rois du fer.

889
     Qui me délaisse chaque hiver
    Pour un lieu que le ciel caresse,
 Sait-il donc ô combien amer
Y est le sort de sa maîtresse?

Mais qui ne craint pas la détresse
 Où elle prie encor l'amour,
    Vaincra la foule vengeresse
     À qui bien faire une autre cour.

890
     Qui a le cœur comme un tambour
    Se croyant mûr pour une idylle,
 Devra braver sous son vrai jour
La multitude basse et vile.

Mais qui du jeu trop difficile
 Découvre les interrupteurs
    Va percuter tel un missile
     Sur le QG des corrupteurs.


      Les Bancs Publics

891

     On a beau voir plein de moteurs
    Le monstre que plus d'un implore,
 Le prédateur des prédateurs
N'est que ma chair que je décore.

L'apparition du Minotaure
 Sous le fracas des bancs publics.
    Les étincelles du phosphore
     La mitraillade des déclics.

892
     Au terme de tous les trafics
    Voici l'objet de ma capture,
 Mais ce qui fait grouiller les bics
N'est autre en fait que ma nature.

Mais à quoi bon que me triture
 Le peuple par toi rassemblé?
    Du même feu qui nous torture,
     Chacun est tout aussi comblé.

893
     Je fais valoir mon corps criblé
    Des traits du tien dont je m'enlace,
 Mais on se plaint d'être troublé
Par le trop d'air que je déplace :

Nul ne conquiert de belle place
 Au sein d'un partenaire ardent,
    Sans partager un œil de glace
     Contre un plus digne prétendant.

894
     Je te prétends, me défendant,
    Être un fantasme qui me ronge,
 Mais le public toujours mordant
Se refuse à passer l'éponge :

Nul ne peut bien traduire un songe
 En œuvre à bien entendre ou voir
    Sans empêcher par ce mensonge
     Le vrai sujet de se mouvoir.

895
     Je dis en toi ne percevoir
    Que ton peuple en effervescence,
 Mais là encore aucun devoir
Ne me prévaut de ma jouissance :

Nul ne répand de connaissance
 Utile ou agréable à l'œil
    Qu'en détroussant de leur essence
     Ceux dont il parle avec orgueil.

896
     Je dis avoir quitté Auteuil
    Pour le haut lieu de ta détresse,
 Mais on ne voit que mon fauteuil
Qui trop invite à la paresse :

Nul ne répand de l'allégresse
 Au gré de son bon sentiment
    Sans mettre ailleurs de la détresse
     Au son du même boniment.

897
     Je montre un pauvre garnement
    Qu'a bien soigné ma mélodie,
 Mais l'assistance en parlement 
En veut à ma tête étourdie :

Nul ne résout de tragédie
 Par trop de science ou trop de droit
    Sans préférer la maladie
     Aux gens de ce passage étroit.

898
     Je crois avoir acquis le droit
    De mourir pour ton hérésie,
 Mais le bon peuple toujours froid
Ne veut pas de ma peau rosie :

Nul ne traduit en poésie
 Ce qu'il contemple d'un gros pieu
    Sans à une chanson nazie
     Ou pire encore donner lieu.

899
     Je fais valoir que ton milieu
    Semble apprécier la catastrophe,
 Mais mon discours à la Bourdieu
Me vaut encore une apostrophe

Nul ne devient un philosophe
 Sans usurper son piédestal,
    Car la sagesse qui étoffe
     Plaît moins que le plus lourd métal.

900
     Mon état que l'on croit mental
    Ne semble guère avoir de cure,
 Que le délabrement total
Qu'avec amour ton peuple endure.

C'est quand soi-même on se figure
 Le plus affreux de par ses tics
    Que l'on opère la capture
     Du chef des prédateurs publics.


      La Peur des Bombes

901

     Lorsque se perd dans les trafics
    Cette prière à ma négresse,
 J’entends les femmes et les flics
La prendre au mot qui les agresse.

La peur des bombes que j'adresse
 Au fils du peuple et au dauphin,
    Commencement de ma sagesse
     Bien qu'elle n'en soit point la fin.

902
     Le bel esprit de Séraphin
    A beau voler de phare en phare,
 Le peuple qu'il tient dans la faim
Sait à quel point il est avare.

L'arme atomique qu'il prépare
 Veut irradier tous les humains,
    Épargnant, pour qu'on les répare,
     Manufactures et chemins.

903
     Ogive de divines mains,
    J'aurai l'effet le plus inverse :
 Fleuriront filles et gamins,
Périront villes et commerce.

Au souffle chaud dont je me berce
 Tout ce qui vend du matériel
    Retombera à la renverse
     À l'âge pré-industriel.

904
     L'individu triste et sériel
    Sera mis par ma symphonie
 En grand refus caractériel
De tout ouvrage de génie.

La populace réunie
 Ne s'en prendra plus qu'au cerveau
    Qui va brisant toute harmonie
     Qui le dépasse de niveau.

905
     C'est au niveau du caniveau
    Que je ferai déchoir ma ville
 En abattant d'un vent nouveau
Tout ce qui passe pour habile.

Réduits à tendre la sébile,
 Les médecins de Montréal
    Demanderont pour moi l'asile
     Chez ceux dont tu m'as fait féal.

906
     Quand de mon trop plein d'idéal
    La lueur vive va paraître,
 Explosera l’air boréal
Qui nous en veut simplement d'être.

Nous nous ferons envoyer paître
 Jusqu’à l’étoile du mutin,
    C’est bien ainsi qu’on devient maître
     Du beau gâchis de son destin.

907
     Ici où le fieffé crétin
    Jouit du prestige du génie,
 Je vais renaître ce matin
Fils de ta gent la plus honnie.

Là où par manque d'atonie,
 Tout bienfait passe pour erreur,
    Je vais répandre l'agonie
     De ton haut lieu qui vit l'horreur.

908
     Je vais répandre ta terreur
    Jusqu'à ce qu'on s'en émerveille :
 Tel est le stade avant-coureur
De ta sagesse sans pareille.

Quand la nuit noire se réveille
 Au fond de nos arrières-cours,
    Le grand espoir parle à l'oreille
     Des jouvenceaux privés d'amours.

909
     Quand on loge au dernier recours
    La véritable intelligence,
 Le battement de tes tambours
La tire seul de l'indigence.

Mon mot qui semble la vengeance
 Du dernier des petits frustrés
    Est en fait la haute exigence
     Des talents que l'on veut castrés.

910
     Des groupes qu'on veut sinistrés
    Et enivrés de fleurs de givre,
 Refais des peuples illustrés
Par leur ardeur à vouloir vivre.

Si le grand style de ce livre
 Semble à l'usage du dauphin,
    Je le fais pour que me délivre
     La gent des forçats de la faim.

      Volcan Éteint

911

     Quand mon ogive aura enfin
    Brillé au ciel de l’idolâtre,
 De cette terre de Baffin
Ne restera qu’une eau saumâtre.

Les ruines de l'amphithéâtre,
 Cratère d'un volcan éteint,
    Où humblement triomphe un pâtre
     Du vil spectacle qu'on y tint.

912
     Ton dur pays enfin atteint
    Par l’oeuvre auquel mon coeur procède,
 Brise le mur qui me retint
Dans ma misère bien plus laide.

Mets par la cause que je plaide
 Sur un air de Léo Ferré
    Un terme à la relation d’aide
     Qui tient le monde incarcéré.

913
     Fais que mon cri expectoré
    Brise le rigoureux carême
 Dont ton pays trop adoré
Est devenu pour nous l'emblème ;

Mais fais que le moment suprême
 De la défaite des requins
    L'empêche d'aspirer au même
     Point que les Nord-Américains.

914
     À quoi bon des républicains
    Issus du plus violent séisme
 Si c'est pour être les faquins
Des grands champions de l'égoïsme?

Le dieu des mages du déisme
 Ne fait que perdre la raison :
    Seul le grand mal du Shivaïsme
     Ramène le bien à foison.

915
     C'est non pour tondre du gazon
    Qu'il nous faut vaincre la misère,
 Mais pour remettre en floraison
Le mont que gratte la bergère.

Lorsque sera enfin légère
 La charge de son corbillon,
    Empêche qu'elle fasse et gère
     Des dettes pour un pavillon.

916
     Ne laisse pas un carillon
    Chanter le chant de sa victoire :
 Laisse le vol d'un papillon
Sonner la fin de son déboire.

Laisse passer à son histoire
 Tout l'escalier monumental
    De ce monceau de vaine gloire
     Qu'on dit le monde occidental.

917
     Laisse-là dans l’état mental
    Où la fait monter l’hystérie,
 Laisse crouler tout l'hôpital
Qui se veut notre garderie.

Quand finira la pénurie
 Qui mit ses arbres au charbon,
    Mets-nous aussi dans l'incurie
     Qui lui fait prendre le temps bon.

918
     Romps tout le charme pudibond
    Qu’on dit qui fit notre richesse,
 C'est dans ton plus royal bonbon
Que nous jouerons à ton adresse.

Quand la musique nous agresse
 En direction d'un champ d'honneur,
    Laisse le chant de ma détresse
     En faire un hymne au grand bonheur.

919
     J'entends la voix d'un grand meneur
    Sous la fanfare du commerce :
 Ne laisse plus l'enfant mineur
Sous sa voix sourde qui le berce.

Afin qu'à la lumière perce
 Plus d'un illustre et vrai talent,
    Il faudra que le vent renverse
     Bien des viaducs qui vont croulant.

920
     Afin qu'à ton amour collant
    Fondent les mines trop sérieuses,
 À ton spectacle désolant
Nos stars seront enfin glorieuses.

Quand l'air de tes chansons rieuses
 Sera par nous enfin atteint,
    Nos zones trop industrieuses
     Seront un grand volcan éteint.


      L'Écrin

921

     Tant vont les larmes qu’on retint
    Qu’un plan de guerre s’échafaude.
 Tant va la rage qui déteint
Que le bonheur s'immisce en fraude.

L'étoile de mon émeraude
 Dans ton écrin de velours noir,
    La torche de ma tête chaude
     Brillant sur fond de désespoir.

922
     Décolle-moi de ce perchoir
    Qui tient ma ville déprimée.
 Je n'ai plus crainte de déchoir
Là où la joie est bien grimée.

Si ma nation est trop brimée,
 Tiens-moi loin de ses écrivains.
    Une autre bien plus abîmée
     M'a mis au rang de ses devins.

923
     En écrivant dans les ravins
    Des grands perdants du vandalisme,
 Je n'entendrai plus les bovins
M'accuser de colonialisme.

Le plus parfait somnambulisme
 N'a rien d'afro-dominicain.
    Le seul et vrai cannibalisme
     Est le commerce du coquin.

924
     Quand on en veut à mon bouquin
    De ne pas perdre la mémoire,
 Il n'est aucunement mesquin
Que la magie en soit bien noire.

Rien ne fait mieux briller ta gloire
 Que le chant de la dépression.
    Plus il entraîne un grand déboire,
     Plus grande est l'illumination.

925
     L'arme absolue est l'audition
    Du sermon qui accable l'homme
 Dans un vœu de démolition
Qui me ferait damner par Rome.

Quand de pilules on m'assomme,
 Donne-moi de tes sept douleurs
    Qu'en mâchant comme de la gomme
     Font voir de toutes les couleurs.

926
     Quand sous l'effet de nos chaleurs
    Chacun s'étale à la renverse,
 Tombent à terre les valeurs
Que fait valser le grand commerce.

De temps en temps on ne nous verse
 De quoi prendre un petit morceau
    Que de peur que chacun traverse
     Les bords boueux de ton ruisseau.

927
     Là où s'entasse le monceau
    Des jouets abandonnés du monde
 Nous planterons notre arbrisseau
Donneur de bon fruit à la ronde.

Sur la terre où l'émeute gronde
 Sans autre fruit que des décès
    Notre plus grand espoir se fonde
     De voir renaître le français.

928
     C'est dans la langue des procès
    Les plus pétris d'hypocrisie
 Que le tiers-monde aura accès
À la plus pure poésie.

Là où l'on croit que l'aphasie
 Ne se nourrit que de noyaux,
    Même les sages de l'Asie
     Reconnaîtront de purs joyaux.

929
     Aux sujets les plus déloyaux
    Dont l'Amérique ait l'expérience,
 Les hôtes des palais royaux
Viendront pour demander audience.

Là où la seule malveillance
 Tient lieu, dit-on, de religion,
    Viendront s'unir en sainte alliance
     Les exclus de toute région.

930
     Sous l'effet de la contagion
    De notre chant réputé triste,
 Se formera une légion
Comme on ne croit plus qu'il existe.

Dans ton club si peu optimiste
 Qu'il semble écrin de velours noir
    Brillera comme une améthyste
     La dame en pourpre du Grand Soir.


      Le Souffle Chaud

931

     Quelque feu qui pousse au devoir,
    Seul nous importe qu'il rebrousse
 Le sens du poil que laisse voir
La bête immonde en sa secousse.

Ce même souffle chaud qui pousse
 Depuis la fleur qui va s'ouvrir
    Jusqu'au titan à la rescousse
     Du monde entier qu'il voit souffrir

932
     Quand je crus bon devoir m'offrir
    Pour un emploi de fin du monde,
 Ce ne fut que pour découvrir
Ma propre dépression profonde.

Mais qui n'a pas fait une fronde
 Contre les forces du cosmos
    Reste pris dans la bière blonde
     Où nous font surnager nos boss.

933
     Chaque fois que mû par l'éros
    Je vois en rêve une négresse,
 Elle me parle d'un ethos
Plus dur que de toute la Grèce.

Mais qui par peur de la détresse
 Boucle son âme à double tour
    S'enfonce dans une sagesse
     Qui ne tolère aucun amour.

934
     J'ai cru en jouant de ton tambour
    Mettre tout Manhattan en rage,
 Mais c'est ma seule arrière-cour
Qui fut témoin de mon naufrage.

Qui n'entreprend aucun ouvrage
 Pour triompher du monde bas
    Assiste sans aucun courage
     À ses plus ténébreux sabbats.

935
     J'ai nagé dans tous les débats
    Qui se prétendent de conscience,
 Mais toujours plus d'affreux combats
Ont résulté de ma patience.

Pourtant c'est par trop de méfiance
 Pour son plus bel élan de cœur
    Qu'on tombe faute d'expérience
     Dans l'océan de la rancœur.

936
     J'aurais voulu d'un air vainqueur
    Tuer la bête qui nous tue :
 On m'a fait voir d'un ton moqueur
Ma mine de chienne battue.

Le sujet qui ne se situe
 Dans aucun camp du parlement
    En vérité se prostitue
     Aux forces de l'écrasement.

937
     J'ai cru qu'à mon commandement
    Obéirait ton énergie,
 J'ai failli devenir dément
En allumant trop ma bougie.

Peu importe que la magie
 Soit noire ou blanche de couleur,
    Le tout est que l'âme assagie
     Éloigne le plus grand malheur.

938
     J'aurais voulu comme une fleur
    Tendre un baiser au grand soir lisse.
 C'est de ton noir nuage en pleur
Que tombe l'eau qui le déplisse.

Le blanc lotus dont le calice
 Ne s'ouvre qu'au premier juillet
    Procurera pour tout délice
     D'accompagner un faux billet.

939
     À discourir comme un œillet
    Je me suis cru un pacifiste
 Sans voir que le public baillait
En entendant ma chanson triste.

À moins de se tromper de piste
 Ou d'oublier son appareil,
    On restera toujours touriste
     En ta destination-soleil.

940
     Pensant sonner le grand réveil
    Au grand défi de toute horloge,
 J'étais toujours dans le sommeil
Où nous maintient plus d'une loge.

Mais quand le monde entier s'arroge
 Le droit de nous laisser souffrir,
    Permets un peu que j'interroge
     Le ciel de nuit qu'on voit s'ouvrir.


      Les Vers

941

     À qui donc faire découvrir
    Les théorèmes que je prouve?
 Ce beau collier, à qui l'offrir
Au fil des perles que je trouve?

Ce feu sacré que l'on éprouve
 Au lent martèlement des vers,
    Cette étincelle que l'on couve
     Pour traverser les longs hivers.

942
     Un mien parent trouvait pervers
    Tous les faiseurs de poésie
 Au point qu'il les vouait aux fers
Ou bien du moins à la saisie.

Ce qu'on fait à la poésie,
 On le fait à tous les métiers ;
    Quand on la traite en aphasie,
     On vide aussi tous les chantiers.

943
     On vide aussi tous les quartiers
    Où sous la lune langoureuse
 On promettait à ses moitiés
Une moitié de vie heureuse.

On entretient la foi peureuse
 Qu'adorent les manieurs d'argent
    On rend de plus en plus affreuse
     La mode qu'ils vont exigeant.

944
     On fait japper comme un sergent
    Le préposé le plus minable ;
 Le mot se fait découragent,
L'attente plus interminable.

L'ordre le plus abominable
 Ne se remet plus en question ;
    La science n'est plus estimable
     À moins de discourir gestion.

945
     Quelqu'un fait-il la suggestion
    D'écouter ceux que l'argent prive,
 Il attente à la digestion
De l'actualité sportive.

Plus le manifestant s'active
 À réclamer pour son bon droit,
    Plus la cité reste passive
     Devant le meurtre de sang froid.

946
     De plus en plus le public croit
    Devant pareille épidémie
 Qu'un grand sursaut d'esprit étroit
Seul peut produire l'accalmie.

La vérité par tous vomie
 Fait un horrible mal au cœur,
    C'est par un cours d'anatomie
     Qu'on s'en proclame le vainqueur.

947
     L'expert encercle d'un marqueur
    Le lieu où un forfait s'apprête,
 Mais il suffit d'un mot moqueur
Pour faire terminer l'enquête.

Dans les ténèbres d'une fête
 Un témoin reste à son devoir,
    Mais on se plaint du mal de tête
     Que son histoire fait avoir.

948
     Un homme cherche à faire voir
    De quoi la femme se délecte,
 L'institution du haut savoir
Le chasse ainsi qu'un vil insecte.

Sous l'effet de l'humeur infecte
 On n'entreprend plus de travaux.
    La politique trop correcte
     Fait arrêter tous les cerveaux.

949
     L'école baisse ses niveaux
   Pour ne pas offenser l'enfance
 Qui pourtant va dans les caveaux
Prendre des cours d'autodéfense.

Chacun croit prendre de l'avance
 Sur les trop bonnes intentions
    En se mettant dans la mouvance
     Des gens de grandes dissensions.

950
     On maudit toutes inventions.
    La rigueur passe pour nazie.
 Pour attirer les subventions,
On fonde un club de poésie.

Si cette dite poésie
 Laisse les choses de travers,
    C'est que le bruit de l'aphasie
     Y prend la place des beaux vers.


      Les Couplets

951

     Je ne puis vaincre les pervers
    Qui font pleuvoir sur moi la honte
 Qu'en allant jouer dans leurs enfers
Avec ta force que je dompte.

Ce formidable feu de fonte
 Qui fond les mots de mes couplets,
    Qui chaque fois que trop peu monte
     Laisse les moules incomplets.

952
     Arrête-moi quand je me plais
    À caresser trop ma pensée.
 Laisse-moi voir d'autres reflets
De mon humeur si insensée.

Seule une marche cadencée
 Du genre que l'on croit germain
    Me permettra en ma lancée
     De suivre ton mauvais chemin.

953
     Quand la grand peur du lendemain
    Fait faire toutes les études,
 Je devrai pour rester gamin
Courir des routes bien plus rudes.

Lorsque les normes des gens prudes
 Passent pour lois de liberté,
    C'est sous tes dures latitudes
     Qu'il faut reprendre ma fierté.

954
     La lumière ayant déserté,
    Je marcherai droit à sa suite
 Là où la guerre ou la cherté
Est le seul bruit qui s'en ébruite.

Là où la foi n'est pas détruite
 En un sonnet ou un pantoum,
    Je produirai au point de fuite
     Le plus spectaculaire boum.

955
     Là où goûter comme un loukoum
    Et non loger dans un musée
 Le beau dégât de mon atchoum
Est l'objectif de ma fusée.

La strophe que l'on croit usée
 Reste toujours du meilleur goût
    Pour tenir la plus amusée
     La foule lasse de l'égout.

956
     Quand le propos de mon bagout
    S'écarte trop de ta poussée,
 La forme où bien marquer mon coup
Restera la plus émoussée.

Mais quand ta flamme courroucée
 Triomphe de ma vétusté,
    L'idée à peine éclaboussée
     Trouve un quatrain bien ajusté.

957
     C’est pour avoir trop dégusté
    De ton autorité morale,
 Que je me suis désincrusté
De tous les chants de ma chorale.

Mieux vaut quand le régime est sale
 Être un enfant ta nation :
    Ton identité nationale,
     C'est en fait une vocation.

958
     À fuir au bout de sa passion
    On finit dans l'enfer sur terre;
 Mais avec ton inspiration,
On y fait couple du tonnerre.

Ne permets plus que je m'enserre
 Par peur de l'insécurité.
    C'est dans ton seul ruisseau que j'erre
     Vers quelque havre en vérité.

959
     Dans un moment de charité
    J'ai cru bon vous venir en aide,
 Mais dès que je fus invité,
J'ai vu ma condition plus laide.

Si j'ai repris ma voix qui plaide,
 C'est moi qui veux votre secours ;
    Je veux chanter comme à Tolède
     Dans la plus basse de vos cours.

960
     Elle a beau être sans recours
    Autre qu'un chant analgésique,
 Son concerto pour nos amours
Sera le plus démagogique.

Sans le secours de sa musique
 Pour les bons mots de mes couplets,
    Le seul recours de ma logique
     Ne promettrait que fours complets.


      Mon Moule

961

     Si pâles que soient mes reflets
    De ta voix douce qui roucoule,
 Ils m'ont valu les camouflets
Qu'inflige au trop bon mot la foule.

Les carres fines de mon moule
 Pour vérifier si le degré
    Du souffle chaud dont je me saoule
     Fond bien l'alliage à tout son gré.

962
     Quand le langage est massacré
    Au nom de la pédagogie,
 Comment donc de ton lieu sacré
Redonner goût à l'énergie?

Quand son chant plein de nostalgie
 Me charme par ses mots corrects,
    On prétend noire sa magie
     Typique des pays infects.

963
     Ces gens si sales et abjects
    Méritent qu'on les laisse en guerre
 Par leurs appels les plus directs
Aux forces sous-tendant la terre.

Quand le sol n'est pas à l'équerre
 Et que de plus il reste nu,
    Le paysan tout au mieux erre
     Chez le premier démon venu.

964
     Quand le pays est inconnu
    Et qu’on en juge la culture,
 Un estimé est obtenu
Par l’examen de sa peinture.

La volupté qu'à tous procure
 Ses œuvres trop pleines d'émoi
    Montre bien la nature obscure
     Des entités y faisant loi.

965
     N’est-il pas de mauvais aloi
    Que peindre en terre de cocagne
 Un lieu que les rois de l'effroi
Ont transformé en vaste bagne?

Quel affreux mal que la campagne
 Où croît encore un arbrisseau
    Et où la belle dame en pagne
     Puise de l'eau avec son seau!

966
     Ce tableau digne de Rousseau
    Que le pasteur condamne et fauche
 Occulte en fait l’affreux ruisseau
Qui m'appelle à sa rive gauche.

Ce tableau qui semble une ébauche
 De ce qui fut un paradis
    Fait voir aussi que me chevauche
     La dame du bal des maudits.

967
     Un autre fait voir les lieux dits
    Où le gros nègre et sa maîtresse
 Vont tournoyer les samedis
Sous ce qui reste d'allégresse.

Cette peinture enchanteresse
 Témoigne de l'immense mal
    De charger vers lequel me presse
     L'instinct que j'ai de l'orignal.

968
     Quand je tressaille à son signal
    Je suis traité de chimérique
 Par les bons soins de l'animal
Soignant les nègres d'Amérique.

Observe-le à coups de trique
 Prescrire sa médication.
    C'est en tant que cas psychiatrique
     Qu'il réduit toute ta nation.

969
     Pour mon défaut d'adaptation
    Au mal qu'il veut que l'on endure,
 Il m’a traité d'incarnation
De ton pays en miniature.

J'ai pris au mot sa belle injure,
 J'ai savouré tout son mépris.
    De ton pays qu'il se figure
     Je suis tombé sitôt épris.

970
     Pour redresser nos gens meurtris
    Dont l'univers entier s'écroule,
 J'ai déniché de plus mal pris
Qui vivent sous ta loi maboule.

Une loi qui sera mon moule
 Pour épouser le haut degré
    De ta puissance qui m'enroule
     Nonobstant mon lourd pedigree.

      La Teuf-Teuf

971

     Ne m'as-tu pas bien consacré
    Époux de toi, tornade intense
 Qui va soufflant ton air sucré
Dans le sillage de ta danse?

Les dures marches en cadence
 Que vient de faire ma teuf-teuf,
    Le plein d'essence et d'espérance
     De tuer la bête en plein dans l'œuf.

972
     Plus d'un me pense un triste veuf
    N'ayant pas su fonder famille ;
 En direction d'un monde neuf
Je marche comme une chenille.

On va disant que je gaspille
 Ce qui me reste d'instruction,
    Mais je ne vois espoir qui brille
     Qu'au fil de plus de destruction.

973
     Quand par mauvaise déduction,
    On m'en veut d'être dans la lune,
 C'est ta bobine d'induction
Que je prends seule pour tribune.

Hors du brouillard de ma lagune
 Je ne sais pour être écouté
    Que ton lieu de pire infortune
     Dont parle l'actualité.

974
     Je ne me sens plus excité
    De fuir mon monde qui m'accroche ;
 Ai-je acquis la sérénité
Disant le jour de gloire proche?

Ce n'est que quand paraît fantoche
 Le garde qu'on a cru de fer
    Que même sans un rond en poche
     On est prêt à passer la mer.

975
     Je saurai déserter l'hiver
    En direction de ton rivage
 Quand pris dans ton bien pire enfer
Je chanterai bien son ravage.

Là où combattre l'esclavage
 Est tout ce que les tiens ont pu,
    Tu reprendras mon élevage
     Que les miens ont interrompu.

976
     Quand mon cerveau sera crépu
    Je saurai bien jouer bien dans la mare.
 Face au grossium le plus repu,
Je pourrai luire comme un phare.

Là où on voit comme une tare
 Le trop plein de clarté dans l'œil,
    Il faut d'un monde aussi avare
     Savoir bien célébrer le deuil.

977
     Chacun reproche à mon fauteuil
    Ma position encore à gauche ;
 Permets-moi de franchir ton seuil
Porté par l'ouragan qui fauche.

Dans tes quartiers dont la débauche
 Et le malheur font l'intérêt,
    Fais que m'émeuve et me chevauche
 Ton air qu'on croit qui disparaît.

978
     Fais-moi chanter le temps d'arrêt
    Qu'on ne prend plus en Amérique
 Même si c'est pour être prêt
À recevoir brique sur brique.

Quand la guitare est électrique
 L'air est toujours industriel,
    Et le corps trépidé fabrique
     Toujours de plus en plus de fiel.

979
     Tout instrument artificiel
    Profite à la seule humeur rance.
 Il faut pour diffuser du miel
En refuser la dépendance.

Quand on assiste à la naissance
 D'un printemps musical nouveau
    Le monde crie à l'indécence
     Et au grand mal pour le cerveau.

980
     Je ne veux pas de ce bravo
    Dont la puissance est assurée.
 Contente-moi d'un caniveau
Touchant à la voûte azurée.

Depuis ta hutte peinturée
 Où je dirige ma teuf-teuf
    J'observerai l'aube dorée
     Éclore de ton tout autre œuf.


      La Preuve par Neuf

981

     Mon sang aigri remis à neuf
    À même ton cœur en souffrance,
 Je fonce comme un mâle bœuf
Vers tout un monde à mettre en transe

La langue de la douce France
 Dont notre temps s'était cru veuf,
    La certitude de la chance
     Au bout de la preuve par neuf.

982
     Ne laisse pas les gens du bluff
    Se prévaloir de notre ouvrage.
 Empêche aussi ceux de Pie Neuf
De lui porter un piètre ombrage.

Donne-moi pour clamer ma rage
 Le groupe d'un tout autre roc,
    D'où les bons mots de mon outrage
     En retour frappent de leur choc.

983
     Dans un centre d'achat de toc
    Je ne veux pas finir ma vie.
 De faire le plus affreux troc
Rends manifeste mon envie.

Quand on croira que ma survie
 N'importera sans doute plus,
    Ma désertion sera suivie
     De celle de bien des exclus.

984
     Dans la mer des biens superflus,
    Je suis jeté à la dérive.
 De ce qui tient la vie en flux
Même le médecin me prive.

Pour peu qu'un doux génie écrive
 On l'emprisonne avec les vieux.
    Je crois que sur ton autre rive
     Il fleurirait en fait bien mieux.

985
     Au terme de l'effort studieux
    De soutenance de ta thèse,
 Donne-moi le soleil radieux
Qui brille dans tes yeux de braise.

Procure à la langue française
 Depuis le fond de ton trou noir
    Un autre lieu d'où elle plaise
     Au public las du désespoir.

986
     Au jouvenceau qu'on fait déchoir
    Pour conduite en état d'ivresse,
 Procure un bien plus beau perchoir
D'où faire entendre sa détresse.

Nous écrirons pour la paresse
 Dont on accuse ton sol nu
    De belles lettres de noblesse
     Dispensant de tout revenu.

987
     Partout où l'ordre est maintenu
    Par la menace de chômage,
 Bien plus de bien est obtenu
En chantant ton plus beau dommage.

La chanson qui fait rendre hommage
 Aux forces que l'on dit d'en bas,
    Fait de chaque auditeur un mage
     Triomphateur des faux débats.

988
     Si âpres furent les combats
    Des vainqueurs de la servitude
 Que toujours durent ses sabbats
Dans l'existence la plus rude.

Pour que mon vers enfin exsude
 Le mal auquel je veux convier
    Fais-moi poursuivre ton étude
     Assis à même ton gravier.

989
     Le monde ne m'a fait envier
    Le grand dessein d'une carrière.
 Que dans le but de me dévier
De ton chemin vers la lumière.

Je ne veux plus pour ma première
 Que ton public trop bien instruit
    D'une instruction trop en arrière
     Dans le temps de l’espoir détruit.

990
     Ayant grandi dans le grand bruit
     De l'enrichissement sauvage,
 Je n'aurais pu produire un fruit
Sans passer par ton élevage.

Quand on proclame ton rivage
 De ma culture à jamais veuf,
    Dis le gangster qui le ravage
      Être en fait né près de Pie Neuf. 


      Le Drapeau

991

     Ainsi qu'un père de Brébeuf
    Je ne pratique de mantique
 Que de couver ainsi qu'un oeuf
Le verbe dont faire un cantique.

Les traits brûlants du ciel antique
 Qui ont tanné ma vieille peau,
​   La preuve du feu poétique
     Avant de prendre le drapeau.

992
     J'avais voulu que le troupeau
    Prît place dans mes grands théâtres,
 Mais la chanson de mon appeau
Ne fit venir que des psychiatres.

Quand mes humeurs se font saumâtres
 Je ne veux plus produire d'art
    Que tels qu'en font les joyeux pâtres
     De ton haut lieu resté à part.

993
     Si je me sens prêt au départ,
    C'est non pas vers une autre Troie,
 Mais là où le feu du regard
Ne vous transforme pas en proie.

Si je veux ton endroit qu'on broie
 Aux ordres rauques du corbeau
    C'est pour qu'enfin le monde y croie
     Ce que mon cœur a de plus beau.

994
     Je veux dans le dernier lambeau
    De ton bosquet qu'on oblitère
 Escalader ton escabeau
D'où voir la suite du mystère.
 
Je ne veux plus pour baptistère
 Que l'eau fangeuse du ruisseau.
    Je ne sais plus dur monastère
     Que la maîtresse du puceau.

995
     Si je vois sous si grand assaut
    Ton bord que boudent les plagistes,
 Ce n'est même pas pour le saut
Qu'il fit faire aux esclavagistes.

De ses histoires les plus tristes
 Les scènes ont un ton noceur,
    Car il confie à ses artistes
     De peindre en rose toute horreur.

996
     Chacun s'y fait un point d'honneur
    De respecter chez son confrère
 La source pleine de bonheur
Que jamais il ne laisse taire.

Ils m'ont volé mon baptistère
 Et tout pour me laisser nu-peau,
    Mais pour résoudre ce mystère
     C'est moi qui vole leur drapeau.


      L'Étude

997

     Ne laisse pas dans une expo
    Se perdre ma béatitude :
 Tu sais sous quel autre oripeau
Ma fugue est à jouer en prélude.

Le bien fondé de cette étude
 Que tous les autres pourront voir
    Mon cœur béant de gratitude
     À la lumière du Grand Soir.

998
     Ne me permets pas de m'asseoir
    Sur une France ex-socialiste
 Chacun serait en grand devoir
De me traiter d'impérialiste.

Dans ton pays qui seul m'assiste
 Est le spectacle auquel je tiens
    Pour montrer qu'est encor plus triste
     Le sort bien trop envié des miens.

999
     Je suis classé parmi les chiens
    Au plus meilleur pays du monde
 Pour ne pas prendre les moyens
De la médiocrité profonde.

Les amants de ton trou immonde
 Savent du moins toujours saisir
     Les mots du juste où surabonde
      Le vrai talent qui fait plaisir.

1000
       Pour que refonde de désir
     Mon peuple devenu si prude,
 Brise ses chaînes de loisir,
Ou fais-m'y jouer en interlude.

De ton pays que l'on élude
 Au fil des cours de haut savoir,
    Fais que j'expose bien l'étude
     En quoi consiste ce devoir.