571 Les peintres et les musiciens Dont à Venise on fait parade, Pour occulter les patriciens Qui nous refilent leur salade.
Les beaux choreutes de l'Hellade Dansant au son des bouzoukis Pour soulager mon cœur malade Des lourds concerts des Suzukis.
572 Lorsque j'aurai enfin acquis Ton art de dire qui désarme, Les gens de ce pays conquis Tireront le signal d'alarme.
Qu'on soit sans crainte, je n'ai d'arme Pour déclencher les grands combats Que la remise au jour d'un charme Emprisonné dans les noubas. 573 Quel garde a vu un branle-bas Prometteur de plus gros tonnerre Qu'un trop plein de ferveur en bas De la ceinture qu'il resserre?
Il voudrait réserver la terre Aux membres de sa société ; Je suis trop faible pour sa guerre, Trop mou pour en être exploité.
574 J'ai perdu la capacité D'en être la langue menteuse, Quand ton amour m'a incité À être sa partie honteuse.
Comme la femme est trop frotteuse Et ne veut plus avoir d'amant, Je trotte comme la trotteuse D'une bombe à retardement.
575 C'est non pas un gouvernement Qu'il me faut vaincre en tant qu'artiste, Mais une secte réclamant En vain la fête de Baptiste.
Plus l’artiste a le mot gauchiste, Plus insipide est son morceau, Plus c'est la même chanson triste Qui tient la terre en son cerceau.
576 Lorsque j'aurai comme un pourceau Bien joué dans la fange du monde, Fais-moi sauter sur le Verseau Qui fait pleuvoir sa mauvaise onde.
S'il faut que ce péan réponde À ceux de la perfide Albion, C'est partout où la foi se fonde Sur le signe opposé au Lion.
577 Au temps du livre du Million, La bête entretenait Venise, Avant de prendre le galion Qui l'emmena sur la Tamise.
Ne permets donc plus que Venise, Ce port de style si bâtard Où tout ne fut que marchandise Passe pour une cité d'art.
578 On vanta sous son étendard La liberté de ses flottilles, Mais pour les lettres du mouchard Ses murs ont tous des écoutilles.
Quand dans ses bruits pour des vétilles Prennent refuge les chorus, Ce sont des plans pour des bastilles Qu'au monde entier on vend motus.
579 J'entends pleurer comme un anus Le grand canal que tu surveilles : J'y vois mourir au terminus Tant de promesses de merveilles.
Veille qu'au terme de mes veilles Je reste dans les clairs-obscurs : Nos murs aussi ont des oreilles, Et nos oreilles sont des murs.
580 Quand les premiers soleils futurs Enfin refont un grand spectacle, De tous les petits hommes durs Coulent les baves en débâcle.
Contre le chant de cet oracle Chanté au son des bouzoukis, S'uniront comme par miracle Tous les chauffeurs de Suzukis.